Dans une ambiance démesurée au possible, les drag queens sont plus que jamais les stars de notre époque. Talons gigantesques, perruques grand format et maquillage grandiloquent, il y a un esthétique unique chez ces reines de la nuit.

Jean Ranobrac a ajouté son talent dans cet univers-spectacle. Avec l’émission de télévision Drag Race, son livre « Icônes Drag » (Editions Hoëbeke) ou encore son calendrier 2025, le photographe nous plonge dans un monde hors du commun. En plus des modèles, les décors et ambiances reflètent une imagination riche.

Entretien avec Jean Ranobrac, photographe des drags.

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Vous commencez votre carrière de photographe en 2015. Est-ce le milieu de la nuit qui vous a orienté vers cet art ou l’inverse ?

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J’avais déjà un appareil dans les mains depuis environ 2010. Je prends des photos en soirée et j’ai une appétence pour le travail en studio. En 2015, je deviens photographe professionnel. En studio, je réalise des petits projets comme des portraits d’acteurs ou des pochettes d’albums de musique. Pour des séries personnelles, je demandais à des personnes de jouer les modèles

J’étais également engagé pour des photos en soirée. C’était une belle expérience car vous êtes dans une ambiance de fêtes et vous faites plaisir aux invités. J’ai pu ainsi rencontrer du monde notamment une drag. C’était un univers que je ne connaissais pas vraiment. J’avais des préjugés sur ce monde que j’ai souhaité déconstruire. Je suis donc allé poser des questions à cette drag. Ce fut une rencontre fantastique car c’est un univers passionnant.

Je me suis lancé dans l’aventure photo drag. C’est un véritable travail car il nécessite un long travail de préparation. De plus, il y a ensuite beaucoup de retouches à faire. Le milieu drag réclame plus de fantaisie et de créativité. Il faut également gérer les égos (rires). J’ai réussi à être spécialiste car j’ai été très patient et passionné. 
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Au-delà des accessoires, des maquillages et des perruques, que révèle le portrait ?

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Les portraits sont un compte-rendu d’une identité. C’est un instantané. La drag, quant à elle, a une volonté très créative. Par conséquent, ce n’est pas un portrait comme les autres. Une drag peut demander à avoir la peau bleue ou trois têtes afin de soutenir un propos de sa propre identité.

Avec les drags, il y a un aspect théâtral et j’aime cela. Je n’hésite pas à plonger dans le grandiose, le symétrique et le coloré.
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Les couleurs sont-elles des personnages dans vos photos ?

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J’ai réalisé mes dernières photos en noir & blanc il y a si longtemps que je m’en souviens plus. J’adore gérer les couleurs. Avec mes photos, j’aime rendre la vie encore plus belle qu’elle ne l’est. Avant, je n’hésitais pas à mélanger des couleurs opposées : du jaune avec du violet ou du rouge avec du vert. Désormais, je suis plutôt enclin à avoir un homogénéité dans la gamme de couleur, c’est plus doux à l’oeil.

J’aime particulièrement le rose. C’est la couleur de la peau et symbolise la féminité. Je mets en avant le rose pour des raisons esthétiques mais aussi par provocation.   

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A quel moment la conception est-elle la plus passionnante ? Préproduction, réalisation ou postproduction ?

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J’aime le résultat. Tout le long du processus, vous devez sans cesse vous adapter. Ainsi, vous trouverez votre version finale éloquente.

Dans le processus de création, la photo n’a toujours été qu’une étape pour moi. La retouche apporte ensuite beaucoup.  

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Quel fut le modèle le plus incroyable ?

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Il y a eu plusieurs muses et dans différentes époques. Ensemble, nous avons pu former des tandems très créatifs et dynamisants. Messalina Mescalina a été la muse de ma première année en tant que photographe pour drag. Ensuite, il y a eu Tiggy Thorn. Nous avons été voisins pendant des années. Par conséquent, nous étions très souvent ensemble. Cela nous donnait ensemble d’aller toujours plus loin artistiquement.

Depuis 2018, il y a Kam Hugh. Nous avons évolué artistiquement ensemble.       

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Avec les retouches, vous travaillez pour d’autres, agences ou photographes (Jean-Paul Gauthier, Van Cleef & Arpels…). Est-ce une autre façon de créer ?

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J’ai commencé à travailler en tant que retoucheur en 2019 grâce à de belles opportunités. J’ai ainsi fait de la retouche pendant quelques années. Le champ d’exercice est très large, il m’arrive parfois de passer de la retouche de sacs à main à des images pour les marques de maquillage ou de vêtement. J’ai toujours aimé l’humain. A tel point que je donne des noms à ces modèles que je ne connais pas personnellement mais j’enjolive avec mes logiciels.

J’ai repris les photos avec les drags depuis 3 ans. Le genre a évolué dans le bon sens du terme et il y a de nouvelles créativités. J’ai appris à être plus exigeant dans le déroulé. Je veux que mes modèles racontent des histoires en photo. 

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Le métier de photographe a-t-il aussi un côté psychologue ?

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Le studio est un espace clos. Avec les échanges, les drags peuvent se confier facilement. J’aime ce côté social.
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En vous inspirant des thèmes classiques et de la peinture du XVIIème siècle (men on canvas) êtes-vous devenu un artiste très pointilleux ? Vos photographies sont-elles conçues comme des peintures ?
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Au tout début de son histoire, la photographie avait pour but de remplacer progressivement la peinture. Par conséquent, les deux genres ont un lien fort entre eux. Enfant, j’ai toujours connu la peinture en allant visiter les musées d’art. Je connais les codes du classicisme et du romantisme. J’emprunte beaucoup à l’art divin. Mes photographies se nourrissent de mes connaissances.
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Les calendriers drag ont-ils été un défi ?

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J’en ai réalisé deux. Pour le dernier, j’ai eu beaucoup de liberté. Je voulais la meilleure représentation possible dans mes modèles, que ce soit drag-queen, drag-king, drag-queer ou encore clubkid. J’aimais aussi l’idée de proposer ce calendrier au milieu de celui des pompiers et des rugbymen.
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Paris est-elle la capitale des drag-queens ?

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C’est le lieu de la polarité en France. Paris a un effet aimant, où beaucoup d’événements se passe. Mais ailleurs dans le monde, les drag-queens sont également très présentes. J’ai pu voyager récemment à Londres, à Milan et à Berlin. J’y ai vu beaucoup de créativité.
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Avec l’émission Drag Race et en même temps une homophobie de plus en plus forte, notre époque est-elle clivante selon vous ?

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Plus vous êtes connus, plus vous recevez de l’amour et de la haine. J’ai pu le constater lors de l’ascension de Kam Hugh. Cependant, ce n’est pas une particularité de la drag-queen. Cela arrive de la même façon pour un autre artiste ou une personnalité politique.

Je pense qu’il y a de l’agression lorsqu’il y a de l’incompréhension. Drag Race a permis de faire de la pédagogie. Auparavant, le milieu était cantonné uniquement au monde de la nuit. A la télévision sur le service public, les drag ont pu rentrer dans les foyers. Le public ne se limite plus aux homosexuels. De nouvelles personnes s’intéressent à la créativité et au spectacle drag – ce qui est la raison première de la transformation.  
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Avez-vous été tenté l’expérience d’être vous-même drag-queen ?

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En 2015, j’avais réalisé une série sur les drags de Lyon. Mes modèles m’ont proposé de les suivre dans ce monde de paillettes et de démesure. J’ai donc participé à un atelier et j’ai été drag pendant un an. Je n’ai jamais fait de performances mais cela m’a permis d’accepter ma part de féminité (et celle des autres) et de comprendre beaucoup de choses. Pour la première soirée, je me suis rendu en tenue avec ma sœur aînée chez des amis. Le taxi nous dépose devant l’appartement. Nous sommes tout de suite sifflés par une bande de mecs. J’ai alors compris le sentiment d’insécurité que vivent les femmes au quotidien.

Porter des talons, se maquiller,… tout cela demande beaucoup d’exigences. Beaucoup d’hommes ne sont pas conscients de cela.

Puis, j’ai choisi de retourner dans l’ombre. Je préfère être un rouage dans la créativité des autres. De plus, ma créativité est avant tout avec l’appareil photo.      
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Quels sont vos projets ?

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La prochaine saison de Drag Race se prépare. J’ai hâte de voir les réalisations. Je vais réaliser une nouvelle série de photos. Il y aura des fonds développés avec l’intelligence artificielle. J’ai toujours voulu réaliser des fonds incroyables – proches de mes fantasmes. 
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