Profondément marqué par le choc de la Première Guerre mondiale, les années 20 sont marquées une grande révolution sur le plan artistique. Le chrononyme Années folles rappelle ce tourbillon. L’Europe détruite découvre le jazz, l’art déco, l’expressionisme, le surréalisme et la coupe garçonne. L’actrice américaine devient l’étendard d’une libération vestimentaire et des mœurs. De New York à Berlin, de Londres à Paris, on peut croiser dans les lieux prisés des figures androgynes et longilignes. La garçonne préfigure à la femme contemporaine.
L’illustratrice Mélanie Boureau (avec son compte Madame Rétrographe et son livre à colorier « Années folles« – Editions Marabout) rend hommage à ces figures libres. L’exercice est historique mais surtout folie...
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Entretien avec Mélanie Boureau.
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Depuis quand date votre intérêt pour les années folles ?
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J’ai toujours aimé le style « garçonne ». J’ai commencé à dessiner, petite, en essayant de reproduire « La femme piège » (1986), bande dessinée d’Enki Bilal. Il y avait un exemplaire dans la bibliothèque parentale. J’étais fascinée par cette femme à la fois très féminine dans les courbes, et masculine avec ses cheveux courts et son visage anguleux.
J’ai bien sûr développé depuis mon propre style, mais j’ai toujours gardé cet idéal féminin un peu androgyne, cheveux courts, avec le côté graphique que cela donne au visage et à la silhouette.
Tout naturellement, le style des années folles a représenté pour moi l’incarnation de la féminité mélangée à l’audace et à l’indépendance… c’est un peu la naissance de la femme moderne. A cette époque, quelques femmes ont pu se débarrasser du corset et des crinolines qui les contraignaient. Pour la première fois, elles se sont appropriées le vestiaire masculin et les cheveux courts. Tout a changé dans leur façon de se tenir, de bouger et d’aborder de monde… Il y a quelque chose de moderne et d’intemporel dans ce style, à la fois minimaliste et sophistiqué.
J’aime aussi l’énergie artistique de l’époque, l’art déco, le jazz, la mode, la littérature, la publicité, le design… Cette période continue d’ailleurs d’inspirer de nombreux artistes aujourd’hui.
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Réalisez-vous des recherches sur la mode des années 20 ou vous laissez tout de même une certaine indépendance graphique ?
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Je connaissais déjà assez bien l’époque mais j’ai en effet étudié l’histoire de l’art et plus particulièrement l’histoire des arts décoratifs et de la mode – l’âge d’or des arts décoratifs.
Je me suis imprégnée de l’époque à travers les artistes, et surtout les illustrateurs de presse et de mode comme Erté, Georges Barbier, Gerda Wegener qui est une grande inspiration pour moi.
Toutefois mes influences sont diverses, et d’autres styles m’inspirent. Je peux puiser autant dans le classicisme, que dans l’univers du tatouage. Je ne cherche pas à copier le style de l’époque mais plutôt à le réinterpréter.
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Le choix des couleurs est-il parfois difficile ?
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Quand cela devient trop âpre, je prends la décision de dessiner en noir et blanc.
Pourtant j’aime les couleurs, je les aime tellement que j’ai du mal à me décider. Je cherche, je doute, je n’arrive jamais à être tout à fait satisfaite de mes choix… Alors par facilité, je finis presque toujours par utiliser la même palette de couleurs dans les tons ocre, rose, rouge et vert de gris.
Le noir reste la couleur la plus présente dans mes dessins – donne toujours du caractère et de l’élégance et accentue le côté graphique.
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Y’a-t-il une approche cinématographique dans vos dessins ?
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Je dirais plutôt photographique. Je reprends les codes de la photographie de boudoir, en vogue au début du XXème siècle, des modèles représentées dans la vie intérieure, partiellement dénudées dans des poses lascives, parfois amusantes ou grivoises.
Les actrices du cinéma muet m’inspirent également, mais plutôt pour les mises en scène improbables et par les poses qu’elles prenaient pour les photos, avec des attitudes et des expressions du visage très exagérées. Tout cela leur donne un coté amusant et irréel, à la fois glamour et grotesque.
Mon trait est aussi exagérément lisse, comme les contours des photos en noir et blanc de l’époque.
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« Les Années folles » a-t-il un bel exercice « de mode » ?
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Tout a commencé avec une commande des éditions Marabout. Les femmes que je dessinais à ce moment-là étaient légèrement vêtues… Le projet de livre était destiné à un large public (un album à colorier). Il a donc fallu habiller ces dames ! J’ai donc fait des recherches plus approfondies sur la mode de l’époque. Grâce aux archives de la BNF et du Musée des Arts décoratifs, j’ai pu consulter les revues de mode et les catalogues des grands magasins, les photos de presse de l’époque. J’ai eu le souhait de rester assez fidèle aux vêtements de l’époque. Ce fut également un long travail de reconstitution des décors de cette période, grâce aux photos des anciennes revues comme « art et décoration ».
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Dessinez-vous des femmes libres, loin de la présence masculine ?
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Absolument. Elles s’habillent- ou se déshabillent -pour elles-mêmes – souvent dans l’intimité de leur chambre. Ces femmes dessinées ne cherchent pas à plaire à quelqu’un d’autre mais seulement à elles-mêmes. Quand elles veulent séduire – on ne sait pas à qui… cela peut être un à homme comme à une femme.
La femme est souvent représentée par le prisme du désir masculin. Néanmoins, si elle reprend souvent les codes des fantasmes des hommes, c’est plus pour s’en amuser que pour susciter le désir.
Je me rends compte que je laisse libre cours à la projection. J’ai d’ailleurs un public autant féminin que masculin.
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L’érotisme est-il un personnage principal dans vos dessins ?
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Il n’y a pas, de ma part, d’intention érotique. Je suis d’ailleurs toujours surprise quand je subis la censure des réseaux sociaux…
Mon travail est plutôt le fruit d’une recherche purement esthétique, et surtout une envie de représenter la légèreté, la frivolité et l’insouciance.
C’est aussi une façon d’explorer la féminité ; comme le font les adolescentes, en passant des heures devant le miroir à essayer différentes tenues, coiffures et maquillage, prendre des poses et des attitudes, avant de finalement enfiler un t-shirt et un jean pour sortir.
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Y’a-t-il des clins d’œil au XXIème siècle ?
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Les femmes que je dessine sont le contre-modèle des femmes que nous sommes censées être aujourd’hui ; elles sont égocentrées, superficielles, paresseuses, elles ne savent rien faire, n’ont aucune fonction sociale. Mes modèles ne sont ni des épouses, ni des mères, ni des travailleuses…
Il n’y a personne autour pour leur imposer quoi que ce soit, elles n’ont rien à faire et s’ennuient. Ces femmes ont juste le temps de rêver. Elles sont une ode à l’insouciance et à l’oisiveté dans un monde où tout est grave, où les injonctions envers les femmes sont incessantes et souvent contradictoires.
L’oisiveté est le summum du subversif à une époque où il faut être efficace, volontaire, performante… c’est ma forme de résistance au modèle auquel je suis un peu obligée de me conformer dans la vraie vie.
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En dessinant les fleurs et les animaux, avez-vous une approche quasi scientifique ?
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Oui, Je suis quelqu’un de très attentive aux détails, j’ai commencé l’illustration en faisant des dessins d’inspiration historique, avec un style très minutieux, inspiré des gravures de la renaissance. J’ai beaucoup copié des motifs anciens avec une rigueur très scolaire pour les intégrer à des compositions plus modernes.
Je dessine à l’envers. Je ne sais pas spontanément aller à l’essentiel, alors je commence toujours par un dessin très détaillé, et ensuite j’efface les détails pour ne garder que le plus important.
Cela me chagrine car j’aimerais être capable de dessiner de façon plus stylisée, mais j’y travaille…
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Les années 20 ont-elles de l’avenir auprès de vous ?
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Je ne sais pas encore. Je vais continuer encore un moment parce que ça m’amuse et me réconforte, c’est un peu mon monde, mon « refuge ». Cependant, je ne suis pas figée dans cette époque.
J’ai un problème, je me laisse facilement influencer. Toutes les cultures, toutes les époques m’intéressent alors je ne sais pas où cela va me mener.
D’ailleurs j’ai d’autres projets en cours qui ne se situent pas dans les années folles… Par contre, je vais rester dans le domaine de la féminité.
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