Par les sérigraphies ou dessins qu’il colle sur les murs de nos villes, Ernest Pignon-Ernest met en évidence ce qui s’y voit comme ce qui ne s’y voit plus. Pour provoquer la pensée et la mémoire, le street artiste cite les maîtres tels qu’El Greco, Le Caravage, Luca Giordano, Rubens ou encore Ingres. Ces citations sont des détails de leurs œuvres qu’Ernest Pignon-Ernest récupère ou “corrige”, qu’il “traduit” pour que, sur telle ou telle façade, ils trouvent la place qui devait être la leur. De telles expressions ouvrent des parenthèses dans les murs pour que s’éveille la conscience.

Entretien avec Pascal Bonafoux, auteur du livre « Ernest Pignon-Ernest : « Le dessin, la mémoire ou la poésie » (Editions Actes Sud).
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Vous nommez Le Caravage, Sodoma ou encore Luca Giordano (artistes du XVI-XVIIème siècles italiens). Vous rappelez l’importance de la mémoire historique (La Commune, Guernica,…). Pour bien comprendre Ernest Pignon-Ernest, faut-il étudier l’art et les faits bien avant sa naissance (en 1942) ?
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Comment une œuvre comme la sienne pourrait-elle ne pas tenir compte de ce qui est notre histoire ? Comment pourrait-elle ne pas reconnaître les mythes comme les faits dont cette histoire est chargée ? Comme d’une autre manière Pier Paolo Pasolini a pu, d’œuvre en œuvre, affirmer ses choix politiques et avoir recours à la mythologie, Ernest Pignon-Ernest affronte les évènements du temps qui est le sien et met en évidence la puissance de ces mythes qui fondent notre imaginaire.
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Le dessin d’Ernest Pignon-Ernest s’inscrit dans une tradition classique (voire académique). Y’a-t-il tout de même un aspect novateur (voire décapant) ?
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Le dessin qu’il pratique n’a que faire, me semble-t-il, d’un qualificatif comme « classique » … Parce qu’il est avant tout la « traduction » d’œuvres anciennes. Ce dessin dit « classique » est souvent préparatoire à une œuvre et, s’il ne l’est pas, il se doit d’être rigoureusement fidèle au modèle. Ce dessin classique n’est donc pas le sien dans la mesure où, par cette traduction, il accorde les œuvres qui lui tiennent lieu de modèle au lieu auquel il le destine. Quitte à ne pas « respecter » son modèle. Quitte encore, aux yeux de puristes et autres intégristes qui n’admettent pas que l’on porte atteinte aux œuvres de maîtres, à leur paraître « hérétique ».
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Marie-Madeleine, Hildegarde de Bingen, Catherine de Sienne,… Comment Ernest Pignon-Ernest représente la figure féminine ? Le corps est-il magnifié ?
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Il est, avant tout, rendu à une sensualité qui s’est défaite de la défroque de l’érotisme.
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Le fait d’exposer dans la rue était-il une façon d’imposer l’art au simple passant ? de permettre « la rencontre » ?
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Imposer ! La démarche de générosité d’Ernest Pignon-Ernest n’a que faire d’imposer ! En revanche, que surpris tout à coup par une apparition inattendue dans une rue par laquelle il passe depuis des années peut-être, le passant en vienne à s’interroger, à se poser des questions qui iront de « Qu’est-ce que ça représente ? » à « Qu’est-ce que ça fait -là ? » ou encore « Qu’est-ce que ça veut dire ? », est essentiel. Et qu’importe que ce passant, cette passante n’ait pas toutes les réponses. Qui sait si cet « accident », cette apparition dans sa vie quotidienne, n’aura pas déclencher « quelque chose » dont elle ne mesurera l’importance que, peut-être des années plus tard. C’est à un autre regard que convient les interventions d’Ernest Pignon-Ernest. Sur notre place dans la société comme sur l’art et la poésie qui sont les plus surs moyens d’aborder le monde.
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Des œuvres d’Ernest Pignon-Ernest dans l’espace public – seules des photographies existent à présent. Cette disparition renforce-t-elle une certaine « magie » artistique ?

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A une époque où une certaine Intelligence artificielle pervertit les consciences comme elle congédie la mémoire, il n’est pas inutile de prendre conscience de l’éphémère comme de la nécessité et de l’importance de cette mémoire aujourd’hui bafouée …
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La disparition des cabines téléphoniques en France donne-t-elle plus de force aux figures d’Ernest Pignon-Ernest ?
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La disparition de ces cabines, pour autant que je le sache, n’a pas mis fin au sentiment de solitude de celles et de ceux qui sont des heures et des heures penchés sur l’écran de leur portable.Les cabines représentées sont-elles autre chose que les cellules de cette solitude ?
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Naples, Paris, Brest, le plateau d’Albion,… En quoi le lieu devient le véritable sujet d’Ernest Pignon-Ernest ?
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Qui, sinon Ernest Pignon-Ernest, a su non pas « décorer » la rue mais lui donner le statut d’œuvre ?

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La passion selon Ernest Pignon-Ernest dans la rue est-elle une façon de ramener le Christ au-delà du sacré ?
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Ces corps d’hommes tombés à terre ont sans doute parfois pour « modèle » celui du Christ mort. Mais leur présence est avant tout un rappel à l’ordre : les arts, dont ces dessins sont un signe, ont pour première raison d’être de dire la dignité de l’Homme. C’est le corps de l’homme, c’est celui de la femme qui est ce qui est ce qu’il y a de plus sacré. Quel totalitarisme n’a pas pour premier souci de l’humilier, de le bafouer, le blesser, le nier ?
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