Au premier regard, la couverture du livre surprend. L’ouvrage est-il à l’endroit ? A quoi pense cette femme plongée dans une baignoire ? Pourquoi l’enfant nous fixe ?
Avec « Ma Famille imaginaire » (Editions Agrume), la dessinatrice Edith Chambon tente la difficile épreuve de l’autographie BD. Les pages sont riches de cases, de grandes illustrations et de scènes poignantes. Une femme d’une trentaine se trouve, du jour au lendemain, terrorisée, tétanisée, clouée au sol. Quelque chose en elle s’est réveillé ou rompu, mais elle ne comprend ni quoi ni pourquoi… « Ma Famille imaginaire » révèle de lourds secrets mais est également un récit d’amour.
Entretien avec Edith Chambon.
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En tant qu’illustratrice, vous avez réalisé les visuels de plusieurs livres. Est-ce avant tout un travail d’interprète ?
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Oui c’est exactement ça. On essaie par l’illustration d’incarner au mieux des situations et de rendre des émotions, d’autant qu’il s’agit de se plonger et de s’adapter à l’écriture d’un·e autre ! Il y a également un travail important de composition et de mise en scène, qui est une partie du travail que j’affectionne particulièrement.
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L’autobiographie est-elle un exercice rassurant ou au contraire douloureux (beaucoup de réflexion sur soi-même) selon vous ?
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Au départ, je ne pensais pas du tout écrire un récit autobiographique… l’idée même me rebutait et n’était donc pas une option, car je trouvais ça complaisant et presque “trop évident” comparé à l’écriture de fiction qui me semblait être une forme artistique plus noble. J’ai eu l’occasion de réviser mon jugement et de réaliser que ce postulat était surtout une posture, plus qu’une réelle conscience de ce qu’est la création.
L’exercice a été en effet passablement douloureux, mais rédempteur. L’écriture a émergé de façon assez spontanée et naturelle, ce qui a rendu l’expérience plaisante pour moi et j’espère également pour les lecteur·ices, car je suis convaincue qu’il faut prendre du plaisir pour en donner.
Finalement les “réflexions sur moi-même” étaient là depuis bien longtemps, au cours de ma vie et de mon travail psy, donc l’écriture, dans ce sens a été plutôt libératrice.
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« L’Autel des mariages » est devenu « Ma Famille imaginaire ». L’évolution de votre récit vous a-t-il surpris ?
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Oui effectivement je ne m’étais pas du tout projetée là-dedans ! C’est en arrivant en résidence de création à la Maison des Auteurs d’Angoulême que j’ai dû me confronter à ce projet de comédie satirique, et il s’est avéré qu’en creusant mon sujet et mes motivations, j’ai pu constater que c’était l’institution du Mariage comme projet de société qui me posait question.
Donc, en explorant ce qui me dérangeait dans la question de la romantisation du mariage à travers l’idée de l’union amoureuse, j’ai découvert que j’étais révoltée à l’idée qu’on efface la fonction sociétale de ce mythe qui, à l’origine, avait pour fonction l’union des familles en tant que clan, notamment à travers le travail reproductif des femmes. Les femmes passaient du nom de leurs pères à celui de leurs maris. J’ai alors réalisé que ces considérations féministes étaient le fruit de ma propre expérience de ce qu’est la famille et de ce qu’elle peut renfermer…
J’ai donc pris la décision de “crever l’abcès” en quelque sorte !
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Le début du projet était envahi par la colère. Comment avez-vous réussi à introduire de la légèreté ?
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Je pense que j’ai grandi dans cette culture de la dissimulation et du contrôle de ses émotions, et qu’il me semblait que, bien au-delà de nous en protéger, elle protège surtout celles et ceux qui en sont parfois à l’origine… la colère ne vient pas de nulle part et il me semblait vital de l’extérioriser pour la sublimer. Je crois que la colère émerge souvent d’un sentiment d’injustice ou d’incompréhension, et qu’il est donc important de la reconnaitre et de la tourner de la meilleure façon vers ce qui semble en être l’objet.
J’ai toujours utilisé l’humour comme outil de défense et de diversion de mes peines et douleurs, parce que le rire permet également de désamorcer pas mal de conflits. C’était donc naturel pour moi de chercher un peu de dérision dans tout ce “drame” car, sans relativiser, je voulais aussi montrer que la vie continue, que la joie et possible et que les pauvres lecteur·ices méritent bien un peu de fun !! Et plus sérieusement, j’avais peur de traiter ce sujet lourd, et c’était donc fondamental dans ma démarche de l’enrober d’une certaine légèreté. Un peu à l’image de comment j’ai vécu toute cette histoire, la brutalité des révélations qui viennent rompre une vie légère et amusante.
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Votre style est libre avec des double-pages, des pages sans cases, des bulles à gogo,… y’a-t-il une part à l’improvisation ?
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Comme je le disais, j’avais besoin de prendre du plaisir, de trouver de la légèreté et de l’amusement dans ce projet, et la composition libre et colorée était pour moi une façon de jouir de ce travail. J’ai varié les mises en page afin de pas m’ennuyer et qu’on ne s’ennuie pas en me lisant ! Il fallait créer la surprise tout au long des pages.
En ce sens la structure n’est pas du tout improvisée ni même le découpage et la composition des pages, car c’est ce qui rend l’histoire lisible et intelligible. L’histoire était très touffue et s’étalait sur beaucoup de temps, avec également des rêves et des flashbacks, ce qui donnait beaucoup de complexité à la narration. J’ai donc fait tout un travail de notes, d’organisation chronologique et de fluidité dans les d’enchaînements pour donner un certain rythme de lecture, afin qu’on éprouve le besoin de continuer de tourner les pages plutôt que de poser le livre !
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Il y a un nombre impressionnant de visages et une part majeure à la foule. Y’a-t-il un effet oppressant ?
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Ce n’était en aucun cas l’effet recherché, parce que j’adore les gens, la diversité des visages et des personnes, et après presque 10 ans à vivre à Paris, j’avais toute cette foule en moi. Je pense que c’était aussi une façon de montrer que la foule, la société, n’est en fait que la somme d’une multitude de ce qu’on appelle “l’intime”.
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La nudité représente-t-elle un certain mal-être ?
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Non, la nudité était avant tout la façon la plus crue et honnête de me représenter, et matchait bien aussi avec cette idée de représenter l’intimité. Je voulais également monter ma perception du corps d’une femme, des femmes, bien loin des représentations enfermantes et stéréotypées que nous propose encore souvent la bande dessinée.
Et je voulais aussi donner aux hommes l’opportunité de vivre une expérience du corps féminin de l’intérieur, leur donner la “chance” de désacraliser le corps des femmes comme objet de désir ou comme matrice reproductive. Nos corps ne sont pas comme des vêtements que porteraient nos âmes, ils sont ce que nous sommes.
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Comment avez-vous eu l’idée de la couverture de “Ma Famille imaginaire” ?
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J’essayais de gagner du temps sur mon travail de crayonné qui était au point mort, et j’ai donc commencé à griffonner un croquis de couv… l’idée, à l’origine, était de jouer avec les lettres du titre les M et les A en les faisant épouser la forme des parties intimes. Mais c’était censé être une idée privée, cachée, c’était juste entre moi et moi, dans le sens où ça n’était pas fait pour être consciemment perçu. N’empêche que cette idée à induit la posture à l’envers du personnage féminin, ce qui beaucoup plu à l’éditeur.
J’ai donc retravaillé à partir de cette idée où elle était d’abord dans une baignoire, ce qui rendait la posture raide et enfermée. Donc je l’ai sortie de la baignoire, et j’ai réalisé que sa jambe pliée qui devait donner du mouvement à la composition, faisait alors penser à la carte du pendu dans le Tarot de Marseille, ce qui m’a beaucoup plu ! (Les amateur·ices comprendront sûrement pourquoi…)
J’ai ensuite modifié le titre pour qu’il couvre les seins, car bien que le personnage soit nu dans la BD, je ne voulais pas vendre un livre à une paire de seins sur la couverture !! Est apparu alors l’idée des intestins qui collait parfaitement au sens de l’histoire. J’ai finalement rajouté l’enfant, laissant planer le doute sur le fait que ce soit son enfant ou elle en tant qu’enfant, les deux personnages regardant dans notre direction (décision prise à après plusieurs essais de regards…)
J’ai fait également deux autres propositions (juste en crayonné) où il s’agissait d’un repas de famille où tous les protagonistes avaient le visage caché sauf le personnage principal.
Il y a donc eu en tout plus de 4 ou 5 propositions !
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Les couleurs ont une grande place dans vos dessins. Est-ce une partie que vous aimez réaliser ?
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Contrairement à ce que j’explique concernant la composition des pages et le parti-pris narratif, la colorisation était de l’improvisation totale ! J’ai senti à ce moment-là que le plaisir à prendre était celui de l’instinct et de la liberté intuitive des choses, plus proche d’un travail pictural (ou du moins de l’idée que je m’en fais !)
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Votre mère a-t-elle apprécié la version finale de « La Famille imaginaire » ?
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Elle était dans la confidence dès le début du projet (comme je le raconte dans les dernières pages du livre, où l’histoire prend fin là où le livre commence en quelque sorte, comme une boucle), et elle avait tellement d’angoisse et d’appréhension durant le processus, qu’elle a été soulagée je crois, bien qu’heurtée par la lecture.
Elle voulait simplement que sur la quatrième de couverture figure le fait qu’elle s’est sentie obligée de me révéler les secrets de famille, car je crois qu’elle voulait s’assurer que ses frères et sœurs ne lui en voudraient pas de m’avoir dit tout ça… afin qu’ils comprennent que ça lui a échappé, dans le sens où elle n’est pas responsable de ce que j’ai choisi de faire de cette histoire et de ces révélations.
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Que voulez-vous raconter à présent ?
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J’essaye maintenant d’écrire de la fiction, car l’autobiographie était liée à une histoire très particulière, à un besoin de vital de rétablir ma vérité pour avancer, mais ce n’est pas dans l’absolu ma forme de récit de prédilection.
J’écris en ce moment quelque chose qui parle du couple, de la conjugalité, de la place de l’amour là-dedans et des deuils nécessaires qui façonnent notre rapport à la vie. J’espère qu’il s’agira une nouvelle fois d’une histoire d’émancipation, et si elle peut être inspirante c’est encore mieux !
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