A travers les steppes de Mongolie, les pontons de Venise ou encore à bord du Transsibérien, un personnage à la belle allure avance. Fruit de l’imagination du dessinateur italien Hugo Pratt, la figure de Corto Maltese fascine les lecteurs. Jeune, beau, sans peur, le marin mystérieux a en effet tout pour plaire. Icone de la bande dessinée, Corto est un ami de longue date.
Sa relation avec Hugo Pratt, les personnages historiques qu’il croise ou bien les pays qu’il parcourt sont tout aussi passionnant. Ses aventures peuvent être commandées chez Casterman.
Entretien avec l’historien et auteur des « Corto Maltese – Mémoires« , Michel Pierre.
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Corto Maltese apparaît pour la première fois dans « La Ballade de la mer salée » (1967). Il n’est pourtant pas le personnage principal du célèbre livre. Comment Corto Maltese s’est-il imposé à Hugo Pratt ?
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Il n’a même rien d’un héros au début de « La Ballade de la mer salée » puisqu’abandonné sur la mer par des mélanésiens pour s’être mal comporté envers une jeune femme. Dans ce long récit de 163 planches, il n’est qu’un personnage parmi d’autres. C’est en acceptant la proposition du rédacteur en chef de Pif Gadget de créer des récits complets avec un personnage principal et récurrent qu’il décide de le choisir. Il va en résulter 21 épisodes des aventures de Corto Maltese de mars 1970 à avril 1973 dans ce magazine avant qu’il ne soit accueilli dans les pages du mensuel (À Suivre) à partir de février 1978.
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Hugo Pratt disait qu’il était un écrivain qui dessine ou un dessinateur qui écrit. Prend-t-il également la forme de ses personnages principaux ?
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Comme pour tout créateur, Hugo Pratt est dans ses personnages. Il donne à Corto Maltese un certain détachement, une forme de scepticisme, une fidélité en amitiés, un goût pour les causes perdues qui étaient présents chez Pratt. Sans oublier un pouvoir de séduction qui était aussi le sien. Il faut aussi prendre en considération la violence sous-jacente des récits en lien avec les années de guerre du jeune Hugo Pratt en Éthiopie de 1937 à 1942 (avec ainsi la mort de son père dans un camp de prisonniers) puis à Venise dans les années tourmentées menant jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La force d’Hugo Pratt aura été d’avoir trouvé le support idéal pour faire d’éléments de sa propre vie, ceux de ses créations. Il aurait certainement aimé le faire également par le cinéma mais la bande dessinée lui a parfaitement convenue.
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Corto Maltese est-il un descendant d’Ulysse (Hugo Pratt étant un passionné pour l’Odyssée) ?
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Corto Maltese a plusieurs pères. Homère certainement mais sans doute plus encore R.L Stevenson mais aussi Jack London (que rencontre Corto Maltese), Henry Rider Hagard (l’auteur des Mines du roi Salomon), Kipling, B. Traven (Le trésor de la Sierra Madre) etc… Pour l’image, Corto Maltese est inspiré de Burt Lancaster et sa naissance crucifiée sur les flots est une séquence du film Le Réveil de la sorcière rouge (1948) avec John Wayne montré en cette fâcheuse position.
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Pour voyager, Hugo Pratt ajustait ses planches. Etait-il un artiste qui imposait ses voyages à son travail ?
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Pas spécialement, il ne s’est ainsi jamais rendu en Chine ni en Asie centrale qu’il met cependant en images. Par contre, il connait les géographies d’Afrique de l’Est, d’Argentine et bien évidemment de Venise. Lorsqu’il n’a pas de connaissance visuelle, il fait appel à sa documentation et à une bibliothèque d’importance. Mais il est vrai que dans tous les voyages qu’il entreprend, ainsi lorsqu’il effectue en 1992, trois ans avant sa mort, un long périple dans le Pacifique, il multiplie les croquis mais aussi les aquarelles, un art qu’il aime de plus en plus pratiquer.
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Les femmes dessinées sont-elles des figures fantasmées ? Celles qui entourent Corto Maltese sont-elles parfois des déceptions ?
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Je ne pense pas que ce soit des déceptions mais toujours des relations fortes dans des processus de séduction. Ce sont toujours des femmes exceptionnelles, des aventureuses dont Corto doit se méfier et s’en détacher pour diverses raisons.
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Grand séducteur, Corto Maltese semble pourtant prude ou en tout cas discret. La sexualité est-elle mise de côté dans l’univers d’Hugo Pratt ?
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Dans les épisodes de Corto Maltese, la sexualité n’est pas explicite. Ne serait-ce que par le support de leur publication, un hebdomadaire pour jeunes. Et Hugo Pratt n’a jamais considéré comme nécessaire de montrer ses héros dans des scènes intimes. Ce qui ne l’a pas empêché de faire de nombreux dessins érotiques, ainsi pour ne citer qu’un exemple, ceux illustrant les sonnets érotiques de Giorgio Baffo, poète et sénateur de la République de Venise au XVIIIe siècle. Un livre publié en 2000 et réédité par la suite.
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Soldats britanniques, indiens, allemands, italiens,… Hugo Pratt est-il avant tout un passionné d’uniformes ?
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C’est un univers découvert dans l’enfance lorsqu’il collectionnait des vignettes de soldats en uniformes que l’on trouvait dans les paquets de cigarettes Player’s en 1938. De plus, la justesse des uniformes crédibilise une action sans oublier qu’ils constituent des éléments graphiques qui ajoutent au plaisir de lecture.
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Qui est Raspoutine pour Hugo Pratt ?
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C’est un double de Corto Maltese mais sans foi ni loi. Un meurtrier psychopathe, un chercheur de trésors compulsif, un mal élevé, un exalté. Il est sans limites ni frein moral et permet à son créateur d’inventer une infinité de situations, y compris les plus farfelues.
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Les histoires de Corto Maltese par Hugo Pratt ne vont pas plus loin que les années 20. Le personnage principal s’arrête-t-il au moment où l’auteur commence sa vie ?
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Je pense que pour Pratt, la période historique de la fin du XIXe siècle et du premier quart des XXe siècle est fondatrice. C’est celle de l’apogée des empires coloniaux, de l’émergence du Japon comme puissance mondiale, de la Première Guerre mondiale, de la révolution russe et des débuts de la révolution chinoise, de la naissance du fascisme, de transformations techniques inouïes. C’est une période d’une telle richesse avec de tels bouleversements qu’elle permet tous les scénarios possibles et des théâtres d’opérations fort divers.
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Que pensez-vous des suites de Corto Maltese (Par Canales/Pellejero, Quenehen/Vivès) ?
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Beaucoup de bien. Ce sont des suites qui prolongent avec intelligence l’œuvre d’Hugo Pratt ainsi lorsque Corto se retrouve rajeuni par le talent de Bastien Vivès.
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Qu’est-ce qui vous surprend encore chez Hugo Pratt et Corto Maltese ?
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Comme chez tous les grands créateurs, romanciers, peintres, metteurs en scène, il y a toujours un détail à trouver et à décrypter, une allusion qui ne se dévoile pas nécessairement à la première lecture, une intelligence de montage cachée sous la fluidité du récit. C’est à la fois simple et complexe avec toujours plusieurs registres de lecture. On ne s’en lasse pas.
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