De par ses romans, ses pièces de théâtre, ses poèmes mais aussi ses actions politiques, Victor Hugo (1802-1885) est une figure phare du XIXème siècle. Pourtant méconnu, le dessin a également fait partie de la vie de cet Homme siècle. C’est à partir de 1830 que Victor Hugo réalise pour son plaisir et celui de ses proches des caricatures d’une plume acérée et spirituelle. Le dessin va ensuite l’accompagner durant ses multiples voyages – le plus souvent au crayon, pour conserver la mémoire des lieux ou de détails d’architecture.
Au fil des années, Victor Hugo va acquérir une véritable maîtrise plastique en particulier durant la période de l’exil.
En 2021, le musée Maisons Victor Hugo à Paris a pu exposer un grand nombre de dessins de l’écrivain et a pu permettre aux visiteurs d’entrer la propre intimité de ce dernier. Dessinateur singulier, d’une liberté totale, son œuvre fascine toujours par sa modernité.
Entretien avec Gérard Audinet, Directeur des Maisons de Victor Hugo (Paris/Guernesey).
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Ecrivain, poète, dramaturge, homme politique, dessinateur… Avec une telle multiplicité des activités, était-il un personnage perçu comme génial par ses contemporains ou était-il finalement le reflet de son époque ?
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Victor Hugo connait la gloire très jeune et tout au long de sa carrière. Lui-même entretien sa stature de génie. Être reconnu à la fois comme poète, dramaturge et romancier est rare à l’époque où les écrivains ont tendu sinon à se spécialiser, du moins à être reconnu dans un seul genre. Être à la fois écrivain et homme politique est plus courant même si ce n’est pas le cas de la majorité. Chateaubriand est le grand modèle en la matière et Lamartine un illustre exemple aussi. Quant au dessin, il ne faut pas oublier que c’est pour Hugo une activité intime à laquelle il a donné peu de publicité. Seul un petit nombre d’initiés y ont eu accès.
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Le dessin était pour lui « réservé aux intimes ». Peut-on en étudiant de près ses dessins y voir une personnalité de Victor Hugo ? Est-ce un artiste qui aime faire rire (caricatures) ?
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L’œuvre graphique de Victor Hugo est de l’ordre de l’intime de deux manières. D’abord parce qu’elle est une sorte de jardin secret pour lui. D’approfondissement de son imaginaire par un autre moyen que l’écriture, parce qu’elle brasse souvent des souvenirs, des émotions personnelles ou constitue une forme de rêverie. Ensuite parce que Hugo (sauf les gravures de ses dessins qu’il a autorisées) ne partage ses dessins qu’avec ses proches ou ses amis : les offrant en cadeau, les envoyant comme cartes de vœux, ou les accrochant sur les murs de ses demeures. Les caricatures occupent une place spéciale : elles se situent au début de sa pratique du dessin et s’inscrive dans l’esprit romantique et de sa lutte contre les classiques. C’est une activité du cénacle, au sein d’un groupe qui partage les mêmes buts, la même lutte. Cela relève d’un humour militant. Mais après, il n’a jamais voulu les faire reproduire. A la fin de sa vie, Hugo pratiquera un dessin qui évoque la caricature (ce qu’il appelle ses « figurines »), c’est aussi une forme de militantisme (mais à usage personnel) principalement anticléricale (Le poème de la sorcière), de manière un peu paradoxale chez ce croyant.
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Plus de 3 000 dessins ont été recensés. Victor Hugo est-il un artiste besogneux ?
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Besogneux n’est pas le mot. C’est essentiellement une activité de délassement, un à côté, même s’il y déploie une technique souvent très sophistiquée (à côté de croquis pris sur le vif, de façon « documentaire »). Il s’agit plutôt du débordement de sa force créatrice.
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Les dessins de Victor Hugo sont-ils complexes car ils ne sont pas destinés au grand public ?
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Non il n’y a pas de relation de cause à effet. Quand la technique est sophistiquée ou complexe c’est qu’elle est au service d’une vision poétique. Elle sert à rendre la qualité de sa vision, à restituer son un sentiment poétique ou dramatique, à susciter l’émotion.
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Les dessins reflètent-ils le changement politique de Victor Hugo au cours de sa vie ? (De monarchiste à républicain convaincu)
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Non, je ne le pense pas. Les dessins de Victor Hugo ne sont que très rarement « politiques » (s’ils le sont jamais !) et même les dessins contre la peine de mort – les plus explicites de ce point de vue – ne relèvent pas de cette distinction monarchiste/républicain car son opposition à la peine capitale date de l’époque où il était royaliste.
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Ses dessins montrent-ils une certaine fascination pour les édifices religieux et châteaux médiévaux ?
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C’est avec les ruines médiévales que Hugo commence à dessiner dans ses carnets de voyages des années 1834-1837 (la documentation pour un roman sur le « donjon » qui aurait été le pendant du roman sur « la cathédrale » est le prétexte donné pour ses voyages avec Juliette Drouet). On peut les rattacher au romantisme bien que leur esthétique soit plutôt documentaire. Lorsque le château (le burg) commence à prendre une place prépondérante dans l’œuvre graphique de Victor Hugo, avec les voyages sur les bords du Rhin, c’est justement au moment où il se détache du romantisme pour devenir lui-même, où il redéfinit le romantisme en art plus purement hugolien (voir la préface des Burgraves [1843] et soit dit pour faire vite !). Le burg va devenir le leitmotiv de son œuvre graphique, jusqu’à la fin de sa vie. C’est devenu une sorte de prétexte à dessiner, à poursuivre sa rêverie et son plaisir du dessin.
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Gavroche est-il un personnage que Victor Hugo a besoin de dessiner ?
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Victor Hugo n’a que très exceptionnellement dessiné ses personnages. Les quelques dessins sur lesquels il a porté une mention désignant Gavroche me semblent relever d’un cas très particulier. J’ai le sentiment qu’il s’agit de dessins postérieurs à l’écriture du roman et de figures titrées a posteriori ou bien encore que l’enfant ait immédiatement appelé le nom de Gavroche devenu emblématique. La figure littéraire que Hugo a créée avec Gavroche est indépendante du dessin et s’appuie sans doute sur des expériences ou des souvenirs vécus.
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La femme est-elle avant tout une figure graphique érotique chez Victor Hugo ?
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Hugo dessine relativement peu la figure humaine et généralement sur un mode caricatural ou de déformation expressive. Les figures de femmes que l’on connait sont en effet empreintes d’évocations érotiques (le meilleur exemple en est Sub clara nuda lucerna – censée être sa voisine vue par la fenêtre).
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Qu’est-ce qui vous surprend encore chez Victor Hugo le dessinateur ?
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Ce qui m’étonne encore, la façon dont il crée « sa » technique, une technique qui lui permet de restituer sa visitation poétique et ce qui me fascine toujours, ce sont les liens souterrains que dessin et écriture entretiennent et qui ne sont jamais figés. Parfois sans rapport ni lien, parfois expression de même sentiment, de la même idée par deux modes différents.