De par son pseudonyme (oui ce n’est pas son vrai nom!), Brouette Hurlante surprend son monde. De par son style qui accapare l’étrange, Brouette Hurlante façonne un univers personnel. De par ses histoires, Brouette Hurlante narre le présent et ses failles. Le rire se mêle au macabre, l’exercice de style côtoie le dessin classique.
Depuis plusieurs numéros, Brouette Hurlante s’installe dans les pages de Métal Hurlant. Ce qui se ressemble s’assemble…
En échangeant, Brouette Hurlante parle de sa passion pour le cinéma, les écrits de Lovecraft et les illustrations bizarres du couple noir Jean-Michel Nicollet et Kelleck.
Entretien avec la dessinatrice Brouette Hurlante.
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A partir de quel moment le dessin est devenu une évidence pour vous ?
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Le dessin a été mon premier langage. Je me souviens d’avoir toujours dessiné. Dès l’école primaire, j’échangeais des illustrations contre des exercices de mathématiques.
Je publie depuis longtemps mais sous la forme de fanzines. Par conséquent, c’était ciblé et réservé à des espaces de diffusion restreints. Avec le retour de Métal Hurlant, j’ai pu connaître une diffusion plus importante. Il s’agit d’une revue qui ouvre le champ large à la créativité artistique.
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D’où vient le nom d’artiste Brouette Hurlante ?
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J’avais besoin d’un pseudonyme pour des raisons professionnelles mais aussi car j’en avais assez que l’on me range dans une catégorie précise d’artistes ou une classe d’âge. Je les refuse toutes apriori.
Le nom Brouette Hurlante est si stupide et abstrait qu’il empêche toute projection possible. C’est aussi un pseudonyme qui me protège.
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Êtes-vous donc condamnée à une certaine fantaisie ?
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Cela sonne comme une tragédie grecque ! Mais je n’ai rien à voir avec Prométhée ou Sisyphe (rires). Mais oui, il y a de la fantaisie et aussi une mise à distance. Une brouette, ça ne représente personne et ça n’appartient à aucun genre. Je ne souhaite pas être assignée à des thématiques que je n’aborde pas nécessairement ou alors de manière liminaire. Ce n’est pas parce que je suis une femme que je dois me sentir obligée, surtout par le regard des autres, à m’engager dans des BD forcément féministes. Je ne veux qu’on me limite à : c’est une autrice qui parle des femmes. C’est très restrictif ! Bien sûr que j’en parle, mais ça ne viendrait pas à l’idée que les gens ramènent systématiquement un auteur homme à ses personnages hommes. Être femme traverse mes BD, tout autant que le fait d’être simplement une humaine. On a souvent tendance à lier le genre de l’artiste au contenu de sa BD, c’est un automatisme qui me dérange. Mon pseudo m’épargne, entre autres, ce genre de considération. Même si paradoxalement, je l’explique souvent, alors je me piège à mon propre jeu peut-être !
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Vous êtes une passionnée de cinéma. Il y a de la mise en scène dans vos dessins tout comme des hommages au 7ème art. Les films vous transportent-ils plus que la bande dessinée ?
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Pas du tout. J’aime le cinéma car c’est un art très complet entre l’image en mouvement, la narration, le son, le montage, etc. J’adore l’enseigner d’ailleurs. Cependant, il y a de véritables différences entre le cinéma et la bande dessinée. Et le premier est pour moi plutôt un complément nutritif. La BD, l’illustration, le dessin, c’est l’art que j’aime pratiquer, en plus de le dévorer.
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Métal Hurlant a-t-il toujours été une référence ?
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Être publiée chez Métal c’est pour moi le top et en même temps un rêve de gamine qui se réalise. Le rédacteur-en-chef actuel Jerry Frissen avec toute l’équipe des rédacteurs et des éditeurs réalisent un excellent travail. Ils ont la volonté et la capacité d’ouvrir de grands champs et les portes du magazine à de nouveaux artistes. Ce n’est pas un exercice facile dans le monde de la bande dessinée où la production est massive, la pression des éditeurs, les nouveaux formats, genre Web Toons etc. L’équipe de Métal arrive à alimenter cette nouvelle âme de Métal Hurlant et lui insuffler une identité propre.
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Dans le numéro sur les Monstres, vous avez écrit « Trophées ». Vous avez aimé l’exercice ?
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J’ai adoré, en particulier parce que je suis une grande fan du film « Massacre à la tronçonneuse » (1974) et parce que c’était une carte blanche.
J’ai toujours eu l’habitude d’écrire même si je n’ai pas le réflexe de publier forcément. J’aime également l’illustration car c’est aussi une forme de narration. Selon moi, l’écriture c’est ce premier processus de la bande dessinée, qui se fait à la fois en images et en mots, c’est quelque chose de fascinant et merveilleux je trouve.
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Comment les idées vous viennent ?
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Pour trouver la bonne histoire, il faut accepter que le bon moment de création s’inscrive dans un processus parfois fulgurant et parfois très lent. J’ai toujours un carnet avec moi afin de noter les idées qui me viennent subitement. Puis je laisse murir les projets (une semaine voire une année). Il me faut du temps et heureusement Métal Hurlant et mon éditrice Cécile Chabraud sont patients.
Je ne suis jamais seule dans le processus de création.
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Les animaux sont-ils une vraie inspiration ?
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Oui. Des thèmes comme le sauvage ou le domestique me passionnent. Finalement, je ne ramasse que ce que le réel apporte.
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« Minou Minou » votre histoire dans le hors-série Métal Hurlant spécial chats est-elle une autobiographie ?
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Pas du tout. Je l’ai dédicacée à ma cousine qui travaille dans une association qui accompagne la réinsertion d’hommes condamnés pour des violences conjugales. Je respecte infiniment toutes ces femmes invisibilisées, parfois elles-mêmes résilientes, justes et droites, qui travaillent à pardonner, à intégrer et respecter la justice. Quand j’écoute les histoires de travailleurs sociaux, leur quotidien, je trouve leur foi en l’humanité admirable. Cela m’a inspiré une partie de l’histoire de « Minou Minou », mais j’ai eu envie d’ajouter de l’impartialité et de l’injustice. D’aller quelque part totalement à contresens de tout ça et basculer dans le body horror, l’instinct de survie frappe tôt ou tard, de manière très radicale. Au même titre que « Massacre de la tronçonneuse » où l’absurde est omniprésent, la vie repose également sous des situations extrêmes ou impossibles, avec des glissements qui mènent l’humain à l’indicible ou l’intolérable.
Les grands auteurs de bande dessinée tels que Philippe Druillet, dont je suis une très grande fan, ont su traiter ces aspects.
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Comment avez-vous imaginé l’enquête des lectrices d’Ah ! Nana – hommage à la dessinatrice Trina Robbins aujourd’hui disparue ?
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Je crains, vu le peu d’hommages qui lui ont été rendus, que sa disparition ne lui donne pas la visibilité qu’elle mérite, en France en tout cas. A travers cette illustration, je voulais mettre en avant cette merveilleuse artiste. Elle est intrépide dans son traits, ses sujets, sa manière de poser le quotidien de personnages que la société veut rendre invisible, et en faire des personnages forts et attachants. Quand on regarde une BD comme « Hedy la pute », republiée dans le Métal Hurlant spécial Ah !Nana, c’est incroyablement contemporain, piquant, drôle et touchant. Mais si peu de gens la connaissent. Trina Robbins a pourtant fait partie des autrices (tout comme Nicole Claveloux ou Julie Doucet) qui même si elles ont été invisibilisées sont les fondations du « matrimoine » de la BD et du Fanzine et continuent a influencer de nombreux artistes.
J’ai été de plus ravie de participer à cet hors-série car un hommage a aussi été rendu à une artiste que j’aime beaucoup : Keleck. Elle a d’ailleurs réalisé une couverture de Métal que j’adore. Cette femme au sourire étrange et carnassier donne envie de se faire croquer par elle. Voilà encore une grande artiste dont on ne parle pas assez.
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Lorsqu’on illustre H.P. Lovecraft, y’a-t-il des limites ?
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Son écriture est difficile car très nébuleuse et paradoxalement sa lecture nous donne des images très nettes, parfois même olfactives ou sonores ! Pourtant Lovecraft ne décrit rien précisément. Seule l’ambiance, l’ensemble de la narration attise l’imagination du lecteur. Par conséquent, il est vraiment difficile de représenter en images les histoires de Lovecraft, car chacun y projette sa propre vision ou vérité.
Pour le Pop Icons sur Lovecraft, j’ai choisi d’illustrer en noir et blanc la nouvelle « La Couleur tombée du ciel » (1927) car c’est pour moi l’un des plus beaux textes de science-fiction qui, à un moment dans le récit, met en scène une couleur impossible à représenter et pourtant qu’on est tous capables d’imaginer. J’ai aimé cette ambiance crépusculaire et bucolique, l’Horreur qui nait dans les entrailles de la ruralité, je trouve ça génial.
L’autre nouvelle est « Horreur à Red Hook » (1927) probablement l’un des textes le plus ouvertement xénophobe de Lovecraft. Il y a une vraie question actuellement sur le rapport entre l’œuvre et l’artiste, c’est aussi passionnant que complexe et délicat comme sujet. C’était donc compliqué, car j’ai dû dessiner cette ambiance tordue et imprégnée par la peur poisseuse de l’auteur, une peur panique et déraisonnée tournée vers l’autre, sans adhérer à ce biais.
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“Le Temple interdit- Le Porno dont vous êtes le héros” a-t-il été un exercice sérieux ou un certain jeu (ré)créatif avec Shadow?
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Totalement récréatif ! Mais quand on fait des projets de fanzine et donc de l’auto-édition, ça ne veut pas dire qu’on n’est pas exigeant ! Surtout pour l’érotisme, qui est un objet vraiment délicat. J’adore l’illustration érotique, même si ça manque encore de femmes. Je parle d’artistes…pas de modèles ou de personnages ! Pour ce projet, on s’est dit qu’on allait fabriquer quelque chose qui puisse se lire/jouer seul.e ou à deux, en moins d’une heure. On voulait quelque chose qui puisse être drôle sans être vulgaire, un imaginaire qui titille avec légèreté, tout en faisant référence aux livres cultes : le livre dont vous êtes le héros. On est très fans tous les deux des « BD cul » édités par les Requins Marteaux, cette collection est fabuleuse, je ne me lasse pas de les relire. Je suis aussi une inconditionnelle de la collection « Patte de Mouche » de l’Association. L’objectif c’était d’être dans l’esprit de l’un et le format de l’autre, on est très ambitieux ! Finalement, ce fanzine est un peu plus grand que prévu, mais on a essayé de garder un récit assez serré. C’est un projet récréatif mais finalement très exigeant. On travaille sur le prochain, j’espère qu’on va arriver à le mener à terme…car le précédent ne s’est pas fait sans étincelles ! J’adorerais inviter des auteurices pour faire une petite collection, alors l’idée est là, tapie dans l’ombre dans un coin de ma tête, je ne doute pas qu’elle saura ressurgir à un moment ou ce sera possible de lui donner une plus grande ampleur.
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Qu’est-ce qu’un herbier des douleurs ?
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C’est quelque chose de plus personnel que je développe pour un projet de livre avec Ben Sanair, un artiste sérigraphe. Je souffre de maladies chroniques. Afin de rendre la douleur moins insupportable, sur les conseils d’un soignant, j’ai pris la décision de l’illustrer formellement, d’en suivre les contours, les couleurs. Ainsi je rationnalise mes maux. J’ai souhaité que ça prenne la forme d’un herbier, qui est un objet qui m’intéresse beaucoup. Je voulais aussi que ça se rapproche des dessins d’observation botanique que l’on retrouve aussi bien en occident qu’en extrême orient.
Même si je ne suis jamais allée au Japon – c’est un pays qui m’inspire beaucoup graphiquement. Enfin, j’y suis beaucoup allée avec les livres ! Les artistes du XIXème siècle comme Tsukioka Yoshitoshi, tout autant que Junji Ito à notre époque ont le don de rendre beau des aspects horrifiques voire répugnants tels que la mort et la guerre, la douleur aussi.
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Quels sont vos projets ?
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J’espère que Métal Hurlant va continuer à me faire confiance (rires) pour publier encore longtemps chez eux.
Je continue aussi de travailler avec la Septième obsession, Pop Icons. J’essaye de toujours laisser de la place au fanzine, mais ça demande beaucoup de travail…et avec les humains, le collectif est chronophage !
On verra bien, mais tant que je me sens libre d’explorer des idées ou des formes graphiques, de faire des expériences et de continuer à rencontrer des artistes avec qui échanger, tout ira bien !
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