De par son trait élégant, ses couleurs chaudes et ses énigmes fines, Laurent Durieux a su illustrer (et donc interpréter) le cinéma à sa manière. « Les Dents de la Mer », « Driver », « Le Parrain », « Le Géant de fer », « Le Mépris », « Pulp Fiction »… Tous ces classiques du 7ème art sont redécouverts en une seule image – Il s’agit même d’un dialogue avec le spectateur cinéphile. Admirés par des réalisateurs comme Francis Ford Coppola ou Steven Spielberg, Laurent Durieux maîtrise son œuvre, au-delà du support affiche, avec une finesse et signature impeccables.

Entretien avec Laurent Durieux, artiste belge qui nous transporte ailleurs.

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En tant que graphiste, vous aviez l’habitude de toujours raconter une histoire. Créer une affiche c’est toujours aller au-delà d’une belle esthétique ?

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Tout d’abord, une image doit avoir du sens. En tant que graphiste, j’avais appris que pour vendre une image il fallait avant tout raconter une histoire.

L’esthétique est également capitale car c’est devenu rare de voir de la beauté de nos jours. Nous sommes entourés de laideur…

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A-t-on le droit d’en dire plus que le film ou au moins de bifurquer ?

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Je révèle bien souvent plus que certains affichistes mais en aucun cas je ne veux être plus bavard que le réalisateur. Je ne fais que m’inspirer du film en question. Par contre, je vais mettre en valeur des points particuliers. J’aime les détails. Ainsi, vous pouvez créer une connivence avec celles et ceux qui ont déjà vu le film.

L’affiche alternative est comme un jeu voire une relecture. Les grands films, même 60 ans après leur sortie, peuvent encore avoir des choses à dire.

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Vous concevez une de vos premières affiches alternatives avec « Les Dents de la mer » (1975). Même si nous sommes hors de l’eau, le requin est-il votre personnage principal de votre dessin ?

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Non. Lorsque j’ai travaillé sur cette affiche avec mon frère, Jack, dès le départ de notre réflexion, nous voulions réaliser une image typique des années 70. Le requin est au contraire mis de côté afin de valoriser les autres aspects du film de Steven Spielberg. Je peux même dire que ma proposition alternative est l’anti-affiche réalisée par Roger Kastel où le squale est clairement dévoilé. 

J’ai voulu montrer un bord de mer qui semble tranquille. Mais, comme dans le film, finalement le véritable danger c’est ce qu’on ne voit pas. 

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Quelle est l’affiche que vous avez conçue qui vous a le plus surpris ?

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Mes premières esquisses sont déjà pleines de détails. Il y a finalement peu d’évolutions et pas d’improvisation. Je dois en général réaliser une image en l’espace d’un mois. Par conséquent, je suis limité dans le temps.

Mon projet d’affiche « Les Dents de la mer » a été surprenant car ce fut un long processus. Je me suis interrogé sur le fait de proposer une autre image que celle de Roger Kastel qui est à la fois emblématique et effrayante. Puis au fur et à mesure du projet, je me suis convaincu que l’affiche avait du sens. Lorsqu’elle a été présentée au public, ma proposition alternative n’a pas eu de succès. Ce n’est qu’au fil de temps que les réactions sont arrivées : Certaines personnes ont pu déceler les détails dissimulés. Le parasol au premier plan cache un aileron de requin. Le succès tardif a donc été une bonne surprise pour moi.

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Avant de concevoir une affiche, vous regardez deux fois le film. Qu’apporte le premier visionnage puis le second ?

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Le premier me permet de redécouvrir le film en tant que simple spectateur. Le second visionnage nécessite plus de concentration et de travail. Je retiens plusieurs scènes et j’analyse le scénario. Tout le long de cette deuxième séance, j’ai un regard critique. Y’a-t-il une sous-lecture de l’intrigue ? d’autres points de vue ? Plus le film est bon, plus il est facile de trouver de bonnes idées visuelles.

J’ai remarqué que les artistes anglo-saxons disposent d’un grand savoir-faire mais finalement peu d’analyse. Les Européens proposent quant à eux de grandes relectures et des approches originales. Je n’ai jamais eu de code marketing. Je privilégie toujours le dessin.

La réalisation de l’affiche alternative a aussi pour but de donner envie aux spectateurs de revoir le film en question. J’aime aiguiser les regards.

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Voulez-vous vous détacher de l’influence d’Edward Hopper ?

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Sa force est de créer des images qui résument des ambiances mystérieuses. Seuls quelques individus apparaissent dans les peintures de Hopper. Il a prouvé que vous pouvez raconter des histoires avec peu. 

Je n’aime pas non plus dessiner des scènes d’actions. Il y a des moments calmes qui révèlent tant. Dans les œuvres du peintre Fernand Khnopff, il y a aussi des silences révélateurs.

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Qu’est-ce qui vous a convaincu de réaliser l’affiche de « La Dernière tentation des Belges » (2021) ?

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Le film m’a beaucoup plu. Jan Bucquoy est un réalisateur que j’admire. Il a un côté anar pertinent. Dans « La Dernière tentation des Belges », Jan s’est confié et pour cela c’est une œuvre touchante. Le film est à la fois drôle et sincère.

Pour l’affiche, je me suis inspiré des tableaux de Paul Delvaux. J’ai dessiné une gare typiquement belge qui reflète une certaine mélancolie voire un côté surnaturel. Il s’agit d’une de mes affiches préférées.

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Que ce soit pour « Furyo » (1983) ou encore « Apocalypse Now » (1979), la dualité est dévoilée. C’est aussi une part de votre identité artistique ?

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Pour les deux films, l’histoire m’a guidé. « Furyo » est clairement une histoire d’affrontement et d’attirance entre deux hommes. « Apocalypse Now » montre le lien entre le capitaine Willard (Martin Sheen) et le colonel Kurtz (Marlon Brando). Le premier étant un chasseur et le second, la proie, un ermite qui prétend être un demi-dieu. Mais finalement, les deux personnages sont très proches. Ils sont touchés par la folie.

J’ai toujours aimé les films de Francis Ford Coppola. C’est un cinéaste indépendant qui a connu le succès. J’attends avec impatience de voir son prochain film « Megalopolis » (2024). Je souhaite que ce soit une œuvre expérimentale car c’est là où Coppola excelle.

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Selon les pays, l’affiche d’un film ou d’un disque pouvait être réalisée par un artiste local. Rêvez-vous d’un retour de la multitude des points de vue ?

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Je ne rêve de rien (rires). Ce qui me plaît le plus c’est de dessiner mais avec la multitude de commandes que je reçois, il est vrai que je constate que cet esprit de regard alternatif revient en force. Par ce processus, les majors veulent sortir du lot. Quand un film connaît le succès en salle, il y a l’envie de le remodeler.

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En 2019, vous avez réalisé les couleurs du « Dernier Pharaon », aventure de Blake et Mortimer dessinée par François Schuiten. L’exercice vous a plu ?

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Ce fut en effet un vrai plaisir. J’ai toujours aimé les aventures de Blake & Mortimer et dès mon adolescence, j’ai adoré le travail de Schuiten. 30 ans plus tard, lorsque que l’artiste que vous avez tant admiré vous propose de participer à un aussi beau projet, vous ne pouvez pas refuser. De plus, à partir du moment où François fait confiance à un autre dessinateur, vous avez une grande liberté.

J’ai pu faire la mise en couleurs du « Dernier Pharaon » comme je réalise mes affiches. Ce procédé est avant tout narratif. Avant même de travailler, j’analyse les scènes et leurs ambiances. Au fur et à mesure du projet, j’envoyais les pages à François. Il était ravi par la tournure que cela prenait. Pendant un an, nous avons échangé jour et nuit.  De plus, les scénaristes, Jaco Van Dormael et Thomas Gunzig, ont eux aussi été formidables et disponibles.

Je n’ai jamais été un très bon élève. En me confiant les couleurs de son Blake & Mortimer, François m’a permis de réparer ma propre assurance. « Le Dernier Pharaon » a été un cadeau magnifique. C’était si beau que je n’ai plus envie de refaire une telle expérience. La rareté a parfois un côté très agréable.

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Quels sont vos projets ?

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Je réalise actuellement un livre avec James Huth, le réalisateur de « Brice de Nice » (2005), et son épouse Sonja Shillito. Ce projet de quelques pages fera partie d’une collection de Dargaud où la règle est qu’un dessinateur s’associe avec d’autres artistes. James et Sonja écrivent le scénario et je dessine une trentaine d’illustrations. Le livre aura pour sujet Blake & Mortimer. L’approche est originale car mes dessins sont réalisés au crayon. 

C’est une revanche pour James car il y a des années il avait tenté de réaliser une adaptation cinématographique de l’album « La Marque jaune ».

J’ai beaucoup de projets. Mon travail ne s’arrête pas qu’aux affiches de cinéma.

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