Remarquable observateur de son temps, Ronald Searle (1920-2011) reste encore de nos jours une véritable référence du dessin. Les séries « St. Trinian’s », les illustrations glaçantes des camps d’internement japonais, le personnage Nigel Molesworth, le procès du nazi Adolf Eichmann en 1961… L’artiste anglais et francophile a toujours mêlé avec génie toutes les émotions. L’humour noir voire grinçant n’était jamais oublié…

Après un échange sur sa carrière au Centre Georges Pompidou en 2023, la dessinatrice Posy Simmonds nous livre sa passion et ses liens avec Ronald Searle.

Entretien londonien.

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Quand avez-vous découvert les œuvres de Ronald Searle ?
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Je devais avoir environ 6 ans. Mes parents possédaient des recueils de ses dessins et ils étaient également abonnés au magazine Punch où Searle était publié. Son travail avait un côté subversif et un certain aspect anti-adultes qui me plaisait quand j’étais enfant. Il dessinait également pour la publicité. Je garde précieusement quelques magazines des années 40 et 50.

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Tout au long de votre carrière, le travail de Ronald Searle a-t-il été pour vous une grande source d’inspiration ?

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Il m’a influencé dès l’enfance. Cela a continué lorsque j’étais étudiante en art et au début de ma carrière de dessinatrice. J’ai souvent emprunté certains détails des dessins de Searle, comme les chaussures pointues que portaient ses personnages. Leurs grands yeux me plaisaient beaucoup également. J’ai aimé ses chiens et ses chats tout comme la façon dont il dessinait de façon naturelle l’architecture. Je dois avouer que c’était très difficile d’imiter Searle. Puis à un moment, j’ai commencé à développer mon propre « langage » de dessin.

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« Quand vous perdez toute liberté, vous n’avez envie de faire qu’une seule chose : Retranscrire ce qui se passe ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, en tant que prisonnier des troupes japonaises à Singapour, le soldat Searle a dessiné pour témoigner des terribles conditions qu’il vivait. 300 de ses œuvres ont survécu à la guerre. En tant que dessinateur, pensez-vous qu’il est crucial de témoigner ?

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Absolument. Malgré le danger permanent et les conditions épouvantables qu’il a connu dans la prison de Changi, puis dans la jungle de Kwaï, Ronald Searle a dessiné et donc documenté la vie (et la mort) autour de lui. Ses dessins – de codétenus, de soldats japonais, des baraquements, des travaux forcés – étaient cachés sous les matelas des victimes du choléra. Encore de nos jours, ils constituent un témoignage extraordinaire de la brutalité humaine – et de la survie. Searle a publié son travail après la guerre.

Le malaise et le macabre sont omniprésents. Malgré tout, les dessins sont souvent teintés d’humour. Searle montre une vision narquoise voire mordante de l’humanité. Je pense que c’était une façon pour lui de combattre ses démons.

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Pensez-vous qu’à travers ses dessins, Ronald Searle glisse des leçons et des conseils aux enfants ?

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Ronald Searle dessinait surtout pour un public adulte mais une grande partie de son travail m’attirait lorsque j’étais enfant. Les dessins étaient souvent effrayants. Les enfants aiment bien les choses qui font peur : les contes de fées regorgent d’ailleurs de terribles événements. Je me souviens avoir été frappée en particulier par un dessin de Searle intitulé The Child Hater : au coin d’une rue, un homme étrange donne des ballons à des petits enfants. Plus loin, on remarque que certains d’entre eux s’envolent dans le ciel avec les ballons puis disparaissent.

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Avec la série “St. Trinian’s”, Ronald Searle dépeint la violence qui sévit dans un internat pour jeunes filles. Même si le lecteur rit, les châtiments corporels étaient monnaie courante à l’époque en Grande-Bretagne.

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Searle a commencé à dessiner “St. Trinian’s” en 1941 avant qu’il soit fait prisonnier par les Japonais. Les premiers dessins ne sont pas aussi sombres que ceux qu’il a réalisés après la guerre. Searle a indubitablement a été influencé par ses dures années de captivité.

Il est vrai que les châtiments corporels ont été pratiqués dans les écoles britanniques jusqu’au milieu des années 1980. Une canne était l’arme habituel contre des garçons. Les écoles publiques écossaises utilisaient même une bande de cuir appelée tawse. Les internats pour filles comportaient des punitions différentes mais rien d’aussi violent que ce que Searle illustre dans “St. Trinian’s”. La violence était plus morale : Il était par exemple demandé de tricoter une pelote de ficelle encore et encore.

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Grands, maigres avec des yeux globuleux… Les personnages de Ronald Searle sont assez de véritables caricatures mais pourquoi les aime-t-on autant ?

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Enfant, je les trouvais très drôles. “St Trinian’s » et les illustrations réalisées par Searle pour “Down With Skool!: A Guide to School Life for Tiny Pupils and Their Parents” (1953) étaient particulièrement attrayantes. C’était anar parfois méchant. Searle aimait se moquer des enseignants, des parents et de l’horrible nourriture servie dans les cantines.

Ce n’est que plus tard qu’il fut considéré comme un très grand artiste. Searle provoquait une multitude d’émotions au lecteur comme le rire, la joie, la pitié, le chagrin ou le chagrin. C’était un dessinateur qui avait un grand sens du détail. Searle pouvait être très méticuleux quand il dessinait une tenue vestimentaire, une posture ou une démarche. Il a même su dessiner des escargots amoureux se baladant dans les boulevards de Paris.

Même je n’ai malheureusement jamais rencontré Ronald Searle, à partir des années 80, nous avons eu une correspondance épistolaire. Ils nous arrivaient même de s’envoyer des livres. A chaque fois, les colis de Searle étaient impeccablement emballés et on pouvait remarquer sur l’enveloppe sa magnifique écriture. 

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Ronald Searle a finalement quitté le Royaume-Uni pour devenir dessinateur de presse.

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Suite à son divorce, Searle est venu vivre en France. “St Trinian’s” l’avait rendu célèbre en Grande-Bretagne, mais il en avait assez de cette série. À Paris, il réussit à trouver une nouvelle inspiration en travaillant, entre autres, pour The New Yorker et LIFE. Au milieu des années 1990, Searle a dessiné pour Le Monde.

Tout au long de sa carrière de dessinateur de presse, il a été influencé par les caricaturistes et satiristes anglais du XVIIIe siècle tels que William Hogarth, Thomas Rowlandson et James Gillray. Tous trois étaient, comme Searle, de fins observateurs de la société.

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Comme Ronald Searle, vous avez vécu en France. Ce pays est-il une merveilleuse source d’inspiration pour les dessinateurs ?

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La France a été le premier pays étranger que j’ai visité. Paris fut la première ville où j’ai vécue.

Ce fut une expérience exceptionnelle car avant je venais de la campagne anglaise. Je ne connaissais rien aux villes. Étudiante à Paris au début des années 60, je me suis retrouvée soudain seule et libre. Le fait même de marcher dans les rues était pour moi un vrai bonheur. Je passais également des heures au Musée du Jeu de Paume et j’ai aimé boire du vrai café (je n’avais bu que du Nescafé – il était difficile de trouver du vrai café dans la Grande-Bretagne d’après-guerre, surtout à la campagne.).

En discutant avec les étudiants français, j’ai aussi entendu des opinions et des points de vue différents de ce que j’ai connus auparavant.

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« Pour créer, il faut être isolé », disait Ronald Searle. Êtes-vous d’accord ?

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Oui, jusqu’à un certain point. Je dois m’isoler lorsque je réfléchis et lorsque j’écris. Dessiner, c’est un processus différent. J’aime échanger avec d’autres, jouer de la musique, chanter, écouter la radio. Ce n’est que lorsqu’un dessin ou une séquence sont compliqués à réaliser, j’ai besoin de retourner dans la solitude.

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