De 1971 à 1981, le plateau du Larzac a été au cœur d’une lutte qui a mobilisé des centaines de milliers de personnes. Tout a débuté lors de l’annonce de l’extension du camp militaire situé sur le plateau. Menacés d’expropriation, les agriculteurs s’engagèrent dans la luta del Larzac qui, durant une décennie, mobilisa autour d’eux un large et hétéroclite mouvement, dynamisé par les comités sur tout le territoire.

À travers cette lutte paysanne, le Larzac reste encore aujourd’hui un symbole de résistance, de mobilisation pour la défense de l’environnement, de l’aménagement du territoire. Docteur en histoire contemporaine de l’Université Paul-Valéry Montpellier III et spécialiste de la lutte, Pierre-Marie Terral s’est associé avec le dessinateur Sébastien Verdier pour conter cette époque sous le format bande dessinée.
Récit dense et à l’image impeccable, « Larzac : Histoire d’une résistance paysanne » (éditions Dargaud) est une vraie réussite sur tous les points.

Entretien avec Pierre-Marie Terral et Sébastien Verdier.

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Comment est né le projet de raconter l’ensemble de la lutte du Larzac en bande dessinée ?

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Pierre-Marie Terral : Ce projet est né d’une rencontre entre Sébastien Verdier et moi-même autour de l’idée que je lui ai proposée. Ayant longuement étudié ce mouvement, j’en connaissais la richesse, la variété, ainsi que l’humour déployé, la bande dessinée me semblait un support particulièrement adapté. Aussi, après le bel album Orwell dessiné sur un scénario de Pierre Christin, j’ai proposé l’idée à Sébastien, qui s’est montré séduit et très constructif, pour me guider dans la face de réalisation.

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En quoi ce nouveau format (BD) apporte à la recherche (ou au moins à l’enseignement) sur la lutte dans le Larzac ?

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Pierre-Marie Terral : Comme nous le constatons auprès des premiers lecteurs, lors des dédicaces chez les libraires, des parents ou grands-parents sont soucieux d’offrir ce livre, pour assurer la transmission de son contenu, c’est-à-dire la lutte qu’ils ont vécue. Nous avons aussi rencontré de jeunes gens, militants ou non, désireux de connaître ce qui s’était passé. La bande dessinée est un formidable vecteur pour sensibiliser un public plus large, plus jeune peut-être, du moins pour que cette transmission soit durable, car à ce bel objet qu’est ce livre.

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« Larzac » est aussi un hommage aux caricatures réalisées pendant la lutte. Cabu y apparaît même. Etait-ce un plaisir de faire une recherche sur l’iconographie mais également de l’adapter au livre ?

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Pierre-Marie Terral : Merci, vous avez en effet repéré ces « clins d’œil », extrêmement importants pour nous. José Bové, dans sa préface, souligne l’importance des dessinateurs, tels Cabu, Wolinski et d’autres, qui ont contribué à leur façon à populariser le mouvement, en tournant en dérision l’armée et en mettant les rieurs du côté des paysans. D’où l’importance d’avoir obtenu le droit d’insérer d’authentiques planches de Cabu, celles de ses « bd-reportages » sur le plateau. C’est aussi cela l’histoire du Larzac, avec des dizaines de dessinateurs, connus ou inconnus, qui ont croqué ce qui s’y passait. Et n’oublions pas que cette popularisation du mouvement de la décennie 1970 doit beaucoup à la presse alternative et satirique, à la manière en 1972 de La gueule ouverte, du journaliste et dessinateur Pierre Fournier.

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Sébastien Verdier : Après « Orwell », vous proposez à nouveau une bande dessinée avec une couverture rouge. « Larzac » est-il aussi une œuvre militante ?

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Sébastien Verdier : Pour dire un mot sur la couverture, il n’y avait pas de volonté de créer un lien entre « Larzac » et « Orwell ». Il se trouve qu’après nos discussions avec l’éditeur sur les différentes idées de couvertures proposées, et qui n’emportaient pas l’adhésion, nous avons abouti à cette image. C’est après coup, que nous avons pensé que cela pouvait induire l’impression d’une collection alors qu’il n’y en a pas. Pourtant, en y regardant de près, on peut bien voir entre les deux albums, et ce malgré les différences d’époques, de lieux et de sociologies, un lien : Orwell a forgé, au gré de ses différentes expériences, le concept de « décence ordinaire » et je trouve qu’on peut voir cette « décence ordinaire » à l’œuvre dans ce qui anime les paysans et leurs soutiens divers tout au long de leur lutte. Aussi, comme « Larzac » narre le vécu de ces militants de tous poils, on peut l’assimiler à une œuvre militante, son principal objet étant de montrer quels ingrédients (parmi lesquels cette « décence ordinaire », la non-violence, l’imagination, la joie dans l’action et l’opiniâtreté) peuvent permettre à un combat légitime de trouver une issue favorable. Ceci étant, la vocation principale de cette BD est de participer, avec des films comme « Tous au Larzac » de Christian Rouaud, les livres de Pierre-Marie, Christiane Burguière, Solveig Letord et d’autres, à la mémoire de cette page de notre Histoire collective et des personnes admirables qui l’écrivirent.

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Quel est le rôle des photos d’archives ?

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Pierre-Marie Terral : Comme les dessins, les photos d’archives ont un document à part entière que nous souhaitions insérer pour faire de cet album un véritable document, et c’était aussi une priorité de l’éditeur François Le Bescond, chez Dargaud. Pour le lecteur, et pour le scénariste que je suis, c’est l’opportunité de constater l’immense talent et le réalisme saisissant des dessins de Sébastien Verdier, mais l’objectif initial était bien de coller au plus près de la réalité du mouvement, en en livrant quelques traces.

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Face aux contestataires, il y a les paysans favorables à l’extension du camp militaire et les soldats. Souhaitiez-vous également montrer que la lutte du Larzac avait connu des oppositions ?
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Pierre-Marie Terral : Même si nous ne nous sommes pas privés de manier l’humour, à travers jeux de mots et anecdotes dessinées, qui restituent l’atmosphère conviviale et joyeuse du mouvement, il ne s’agissait pas d’en masquer les aspects plus sombres. En 1975, une famille et ses 7 enfants, qui incarne la volonté de rester sur le Larzac, est visée par une bombe qui explose de nuit dans sa maison, dans le village de La Blaquière. Le mouvement a duré dix ans, mais n’a pas été linéaire, et a dû faire face à des difficultés, internes, des dissensions pouvant exister, et externes, en étant sans cesse obligé d’adapter sa stratégie aux décisions étatiques, comme les enquêtes parcellaires et expropriations.

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Paysans, intellectuels, prêtres, objecteurs de conscience, Indiens… Est-ce que ce fut difficile de représenter un grand ensemble de militants ?

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Sébastien Verdier : Quand Pierre-Marie m’a parlé de son scénario tiré de sa thèse sur la lutte du Larzac, je me suis d’abord dit que ce serait simple, voire répétitif, à dessiner : des paysages austères, des brebis et des paysans portant béret. Ce qui montre mon ignorance du sujet et renvoie à la nécessité déjà exprimée de raconter cette histoire. Aussi, la richesse de la matière que j’ai découverte en lisant le projet fut une belle surprise. En me lançant ensuite dans la recherche de documents pour compléter ce que Pierre-Marie m’avait déjà fourni, je me suis retrouvé face à une montagne d’archives vidéo et photographiques qui ont facilité la représentation des différents types de protagonistes. Et je crois que j’avais à peu près l’ensemble des personnages principaux sous toutes les coutures. La plus grande difficulté, au-delà de la ressemblance ou de la vraisemblance, était d’essayer de rendre tout ce monde vivant.

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Le Larzac est-il un environnement difficile à dessiner ?

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Sébastien Verdier : Aller sur le plateau du Larzac pour prendre des photos était évidemment incontournable. Pierre Marie m’a donc fait visiter les endroits emblématiques avec son père : le village de La Blaquière avec la bergerie illégale des Guiraud, Montredon, les Baumes, Potensac … Mais également le Rajal del Gorp. Quand j’ai vu le paysage du Rajal, je peux vous dire que j’ai été trop content. Enfant, j’adorais les pages de gardes de Blueberry que je m’échinais à reproduire, et j’avais soudain face à moi un paysage qui pouvait passer pour un décor de western. Avec ce décor et après avoir lu le scénario de Pierre-Marie, je me suis soudain senti projeté dans un film à la John Ford où l’armée américaine tenterait de déplacer une tribu d’Indiens qui déploierait toutes les ruses pour se défendre. Sauf que là, ce qui n’arrive jamais, les Indiens gagnent à la fin.

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François Mitterrand est-il le sauveur du Larzac ?

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Pierre-Marie Terral : A l’été 1974, il est certain que François Mitterrand n’est pas accueilli en « homme providentiel » sur le plateau, alors qu’il est malmené par des militants hostiles, et qu’il n’a pas prévenu les paysans du Larzac de sa venue à leur grand rassemblement estival. Malgré ce premier rendez-vous délicat, Mitterrand va se tenir renseigné sur ce mouvement, jusqu’à lui donner la victoire, par une décision politique et symbolique, en 1981. Mais cela aura été de haute lutte pour les paysans et leurs familles, qui grâce leur détermination, ainsi qu’à un large mouvement de soutien, ont réussi à tenir, dix ans durant, et ont « obligé » en quelque sorte Mitterrand à tenir sa promesse, malgré les réticences de son ministre de la Défense, Charles Hernu…

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« Larzac » montre une foule d’anonymes. Comment l’album a-t-il été perçu par ceux et celles qui sont représentés et qui ont lutté pendant toutes ces années ?

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Pierre-Marie Terral : Beaucoup de militants se sont reconnus, ou ont retrouvé des amis ou membres de leurs familles. Mais beaucoup plus encore s’y sont retrouvés, dans les événements et les ambiances que l’on a essayé de restituer, espérons que cela ne soit que le début des belles rencontres que nous faisons depuis la sortie de cet album, il y a environ un mois.

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Alors que la lutte du Larzac a mobilisé une large palette de personnalités, il s’agissait d’un mouvement avant tout progressiste. Quelles ont été les évolutions après 1981 ?

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Pierre-Marie Terral : L’une des réussites du Larzac a été de s’affranchir du syndicalisme agricole majoritaire, la FNSEA, tout en conservant le soutien, grâce à Raymond Lacombe, syndicaliste aveyronnais, qui de la FDSEA gravira tous les échelons de son syndicat. Mais en parallèle, les paysans du Larzac ont noué de véritables liens, avec Bernard Lambert, le tribun des paysans-travailleurs, dont le courant se retrouvera au cœur de la naissance de la Confédération paysanne en 1987. Ainsi, en raison d’un large mouvement de soutien, le Larzac s’est rapidement extrait de revendications uniquement corporatistes. Et c’est en se rapprochant de mouvements internationaux, par le biais notamment de la Confédération Paysanne, que le Larzac et Millau se sont érigé en haut-lieu de la contestation altermondialiste, avec le démontage du Mc Donald’s de Millau, en 1999, puis avec le rassemblement Larzac 2003, et ses 300 000 manifestants venus espérer « d’autres mondes possibles ». Il s’agissait moins de repli que d’ouverture internationale, en affirmant le droit à la souveraineté alimentaires des peuples…

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Qu’est-ce qui vous a surprend dans ce projet bande dessinée ?

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Sébastien Verdier : Le plus étonnant pour moi a été de me rendre compte que le Larzac a occupé de façon quasi-quotidienne l’actualité de la décennie et a constitué une des luttes sociales principales de ces années-là avec les luttes féministes et les combats écologistes et anti-nucléaires. Une facilité serait de penser que le Larzac doit sa victoire à l’élection de Mitterrand, mais la victoire de Mitterrand doit peut-être aussi quelque chose à ces différentes luttes, dont celle du Larzac, qui mobilisèrent au-delà des militants classés à gauche.

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