Figure incontournable de la littérature française, Madame de Sévigné (et ses correspondances avec sa chère fille, Françoise) ne finit pas de faire parler d’elle. Isabelle Brocard n’a pas seulement réalisé un film (audacieux), elle a également écrit le livre « Madame de Sévigné – L’Excessive tendresse« . Les deux œuvres se font certes écho mais présentent chacune une identité propre.

Même au XVIIème siècle, Isabelle Brocard nous conte la colère, l’amour, la tristesse… En d’autres termes : les relations humaines.

Entretien.
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Quand Madame de Sévigné est entrée dans votre vie ? Malgré vos études de lettres, vous n’aviez pas lu ses écrits.

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Par l’intermédiaire des relations mère-fille et en particulier grâce à un livre de la psychanalyste Marie-Hélène Lessana qui analysait plusieurs histoires dont celle de Madame de Sévigné avec sa fille Madame de Grignan. Je trouvais que l’article sur elles était passionnant mais assez à charge contre Madame de Sévigné. Y étaient cités de longs extraits de lettres qui m’ont donné envie d’en lire plus. J’ai lu ensuite la totalité de la correspondance publiée par Roger Duchêne dans la collection de la Pléiade, une édition scientifique et très documentée. Il y a une grande incertitude concernant l’authenticité de certaines des lettres mais peu importe. J’ai lu, relu et j’ai été jusqu’à recopier des passages qui me serviraient ensuite pour les dialogues. J’étais fascinée et j’ai eu envie de raconter ce qui avait pu se passer entre les lettres entre la mère et la fille.

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Le film et ce livre adapté du scénario se nourrissent-ils mutuellement ?

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Le livre a été un hasard. Peu avant le tournage, une éditrice souhaitait la novélisation du film. J’ai donné mon accord mais à la lecture du premier chapitre, je n’aimais pas le style proposé. Fayard m’a alors suggéré d’écrire moi-même ce livre.

J’ai commencé à écrire juste à la fin de la postproduction. Par conséquent, j’avais la liberté d’introduire des aspects des personnages que je n’avais pas pu développer avant. Cela m’a notamment permis d’en raconter davantage sur Charles, le fils de Madame de Sévigné. Le livre a été un prolongement du film. Pour les deux, en aucun cas, je n’ai voulu faire un biopic ou une biographie. Ce ne sont que des interprétations personnelles et intimes du XVIIème siècle et de personnes qui y ont vécu.

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Etait-ce aussi une façon de ne pas quitter Madame de Sévigné ?

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Oui sans le vouloir c’était agréable de ne pas avoir à les abandonner trop vite. Le livre m’a permis d’être davantage dans le point de vue de la fille. Le film traite surtout du point de vue de la mère, Madame de Sévigné. 

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Quel est l’apport des dessins de Violette Vaisse ?

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Les illustrations sont une demande de Fayard mais  c’est moi qui ai proposé Violette. C’est une jeune illustratrice qui pouvait apporter une autre forme de modernité. Le dessin permet parfois aussi de montrer ce que je n’avais pas pu filmer. Faute de budget conséquent, il m’a en effet été impossible de mettre en scène le carrosse  posé sur un chaland, par exemple. Au XVIIème siècle, c’était un moyen de transport fréquent et qui aurait pu être une image de cinéma incroyable. Je n’ai pas tourné au château des Rochers mais Violette l’a dessiné.

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Avez-vous délibérément mis de côté les descriptions de la société du XVIIème siècle pour rendre l’histoire plus contemporaine ?

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J’ai toujours aimé le côté palpable de l’Histoire. C’est intéressant de lier de manière presque sensitive notre propre époque au passé. Ce sont donc les détails très concrets sur lesquels je m’appuie. Je ne suis pas historienne et je ne me sentais pas autorisée à creuser trop loin de ce côté là.  De plus, j’ai dû écrire le livre rapidement, à peine plus de deux mois. J’ai eu toute la liberté d’écrire ce que je voulais comme le voulais – j’ai eu le souhait de rendre « Madame de Sévigné – l’Excessive tendresse » accessible à un jeune public aussi.

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Pour quelles raisons Charles n’a pas eu la même attention de sa mère que sa sœur ?

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Selon moi, le fils et la mère se ressemblaient beaucoup. Par conséquent, il y avait sûrement plus de confiance et moins d’attention. Les différences entre les êtres sont susceptibles de susciter plus de fascination, de malentendu, de passion et d’obsession. Dans le film, j’ai demandé à Anna Girardot de donner une forme d’opacité à Madame de Grignan. Madame de Sévigné semble avoir eu des relations assez fluides avec Charles, ce qui n’était pas le cas avec Françoise.

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Madame de la Fayette, le cardinal de Retz, François de La Rochefoucauld,… Avez-vous voulu rendre ses personnages de haut de rang abordables ?

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J’ai cherché à raconter ces salons où des aristocrates se réunissaient pour parler de philosophie, de politique, de littérature et sans doute de beaucoup d’autres sujets. Cependant, je ne voulais pas représenter ces personnages de manière caricaturale, un éventail à la main, ou encore en souligner les problèmes d’hygiène de l’époque. Françoise de Chandernagor dans son livre « L’Allée du roi » (1981) que j’ai lue à l’adolescence parvenait à donner cette impression d’intimité avec des personnages historiques qui m’avait beaucoup séduite.
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© Julien Panié
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Y’a-t-il de la jalousie entre Marie et Françoise et entre Marie et le comte de Grignan ?

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Lors du tournage, Cédric Kahn m’a dit qu’il pensait que Madame de Sévigné était jalouse de la jeunesse de sa fille. Je ne crois pas. Encore une fois je ne peux pas parler des personnes réelles mais seulement de mes personnages. Madame de Sévigné a un programme pour sa fille, elle semble savoir comment faire son bonheur et le fait qu’elle puisse tomber amoureuse de son mari, le comte de Grignan, la dépasse totalement. Elle-même a été très blessée par son mariage avec Henri de Sévigné qui est mort en duel pour une autre.

Il faut aussi rappeler que le XVIIème siècle est une époque où la religion est essentielle : ce qui compte le plus c’est Dieu. Je n’aborde pratiquement pas cet aspect dans le film ou dans le roman mais c’est pourtant un aspect primordial pour comprendre cette époque. Madame de Sévigné va s’abandonner à la Providence – ce qui l’aidera à se réconcilier avec sa fille. 

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Avez-vous pu consulter les lettres de Madame de Sévigné exposées au Musée Carnavalet ?

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De mémoire on n’a pas grand-chose. J’ai vu un billet autographe qui est exposé à Carnavalet et reproduit en fac similé dans le livre. Pour le film, nous avons engagé une calligraphe qui fait la doublure main de Karin Viard. Nous ne pouvions pas être vraiment fidèle à l’écriture de Madame de Sévigné mais nous avons cherché à en donner une évocation crédible.

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Entre Marie et Françoise – Pour qui vous avez le plus de tendresse (excessive) ?

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Vous devenez d’une certaine manière tous vos personnages – même le cardinal de Retz qui est pourtant odieux dans le film. Si vous n’arrivez pas à défendre un des rôles, vous ne pouvez pas l’écrire.

L’interprétation d’Ana Girardot m’a permis d’aimer davantage Françoise de Grignan. Elle lui a apporté un mélange de puissance et de fêlure. 

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Souhaitez-vous revenir auprès de Madame de Sévigné (théâtre, nouveau livre…) ?

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Je pense avoir suffisamment parlé de Madame de Sévigné. Cependant, grâce à elle, pendant des années, j’ai pu me plonger dans un univers singulier, à la fois proche et lointain du mien. L’idée de tourner à nouveau un film d’époque me plairait beaucoup. Mais je tiens à dire qu’il n’y aura pas de « Madame de Sévigné 2 » (rires).

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© Julien Panié

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