Accéléré au début des années 2000 par les grands projets de Richard Branson, fondateur de Virgin, le tourisme spatial connaît un véritable succès auprès des milliardaires de la planète. Steve Bezos ou encore Elon Musk ambitionnent d’être les premiers à nous propulser hors de la Terre et de nous ramener comme s’il agissait d’une escapade.

Le tourisme spatial fait rêver mais il reste pour l’instant limité et hors de prix. Les prochains siècles permettront peut-être de nous faire découvrir l’apesanteur dans les airs et de nous faire visiter les étoiles.

Après avoir échangé à propos des extraterrestres et de la lune, nous abordons avec Jacques Arnould, Historien des sciences, théologien et expert éthique au Centre National des Études Spatiales (CNES), la possibilité aux non-astronautes de venir visiter l’espace. Le rêve sera-t-il possible ?

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Au cours des millénaires, le voyage hors de Terre est-il le plus grand des fantasmes car il est une fenêtre vers l’inconnu ?

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J’ai coutume de dire que, durant des millénaires, le voyage « extra-terrestre » a été interdit aux Terriens, pour la simple raison que, pour de nombreuses cultures, « le ciel » était trop parfait pour recevoir la visite d’êtres aussi imparfaits que nous. Il y avait ainsi une frontière, grosso modo gardée par la Lune, que les Terriens ne pouvaient pas franchir, du moins avec leurs corps, épais et lourds. Seuls les mystiques, durant de brefs instants, ou les esprits les plus élevés une fois « débarrassés » de leurs corps pouvaient espérer rejoindre le séjour des dieux, des anges…

Puis est survenue la révolution copernicienne. Galilée et Kepler ont écarté l’idée de cosmos pour parler d’un univers : une unique matière, de mêmes lois pour toute la réalité, céleste et terrestre. Dès lors, le voyage extra-terrestre pouvait devenir un fantasme, un rêve… et être réalisé.

Certes, le ciel est inconnu, mal connu ; mais notre imagination a tôt de le peupler. Et, au début du XVIIe siècle, Kepler invite son ami Galilée à tracer les cartes nécessaires aux futures navigations célestes ; l’espace n’est donc plus un domaine complètement inconnu.

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Aller dans l’espace amène de nouvelles sensations (l’apesanteur, être entouré d’une obscurité quasi-totale, apercevoir la Terre). Tout cela a cependant un coût… La conquête spatiale est-elle en train de se démocratiser ou finalement se cantonne-t-elle à s’ouvrir uniquement aux plus riches de la planète ?

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Tout le monde s’accorde pour dire que le terme de « démocratiser » est exagéré ! Le moindre billet, même pour un vol suborbital, reste onéreux ; chez Virgin Galactic, il est actuellement d’environ 500 000 dollars… En revanche, il y a effectivement des réalisations moins coûteuses qui cherchent à reproduire et à procurer des sensations analogues à celles ressenties lors d’un vol dans l’espace : l’apesanteur (à bord de l’Airbus ZéroG) mais aussi l’accélération (l’attraction LunExplorer de la Cité de l’Espace), la vue de la Terre à haute altitude (le ballon de Zéphalto). Sans oublier les space camps pour mieux connaître l’entraînement et la vie des astronautes, etc. En cela, nous avons la chance de vivre une période de démocratisation de l’espace. Ce dont nous pouvons nous réjouir.

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Avec les tensions russo-américaines, le tourisme spatial peut-il être freiné voire être menacé selon vous ?

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Bien entendu, les tensions internationales ont une influence sur les formes de tourisme qui dépendent des coopérations ; mais cela devient marginal, puisque, par exemple, les Américains possèdent désormais des moyens de vol habité indépendants des Russes. Axiom propose des séjours dans l’espace en recourant aux services de SpaceX… À écouter les aficionados du tourisme spatial, celui-ci serait même un facteur de développement des activités spatiales.

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Virgin Galactic, Blue origin, Space X, World View,… L’émergence des compagnies privées spatiales montre-t-elle un certain épuisement de la part d’agences gouvernementales comme la NASA ?

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Il ne faudrait pas parler d’épuisement, mais plutôt de reconfiguration du paysage spatial. La NASA a été la première agence à s’appuyer sur les entreprises privées pour assurer ses missions ; elle n’est désormais plus la seule. L’Inde, la Chine possèdent des agences spatiales gouvernementales très actives, tout en soutenant des initiatives privées. Quant à l’Europe, elle est actuellement en difficulté, mais la cause n’en est pas seulement l’existence de compagnies privées ou le développement du tourisme ; les raisons sont plus profondes, en particulier politiques.

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World View et Space X proposent des voyages moins onéreux avec l’aide d’un ballon géant. Le « low cost » peut-il banaliser l’espace ?

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Je le répète, l’idée de low cost reste toute relative. Le billet pour monter à bord du futur ballon de Zéphalto, est tout de même de 170 000 euros ! Quoi qu’il en soit, je ne vois pas de mal à « banaliser » l’espace ! Très honnêtement, il ne craint pas grand-chose, si je puis m’exprimer ainsi…

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Le phénomène peut-il accroître l’ampleur des débris spatiaux ou finalement permettre la création de routes moins dangereuses ?

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Vous avez raison : l’un des défis actuels est vraiment la gestion de la circulation dans l’espace et celle des débris. Pour l’heure, les vols touristiques ne constituent qu’une infime partie des activités autour de la Terre ; et je ne pense pas que les acteurs du spatial soient prêts à réserver des orbites pour les activités touristiques (d’ailleurs, les débris finissent par perdre de l’altitude et croiser des orbites inférieures). Les touristes et les agences de tourisme spatial pourraient-ils avoir une influence sur la gestion commune des orbites autour de la Terre ? Il est parfois avancé que le tourisme sur Terre peut avoir une influence bénéfique sur le respect de l’environnement ; mais nous constatons aussi que le tourisme se développe dans des régions jusqu’à présent préservées (les flancs de l’Everest, l’Antarctique). Alors que penser ?

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Les missions spatiales font tout leur possible pour qu’aucun membre d’équipage ne puisse mourir à l’extérieur de la Terre. Avec la multiplication du tourisme spatial, pourrait-on avoir des faits de morts dans l’espace ? Serait-ce la fin d’un tabou ?

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Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un tabou ! Personne, y compris un opérateur de voyage touristique, n’a envie de subir un décès dans l’espace. Mais, bien entendu, la multiplication des voyages, même avec un risque d’accident maîtrisé, augmente la possibilité d’une telle tragédie. Dans tous les cas se pose la question de l’effet que pourrait avoir le premier accident mortel lors d’un voyage touristique, dans l’espace mais aussi au départ ou au retour, sur l’avenir de l’activité. Tout le monde sait que les activités spatiales restent dangereuses ; mais le jour où la catastrophe aura lieu…

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Le tourisme spatial peut-il permettre des voyages plus longs et plus ambitieux à l’avenir ?

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Aucune exploration sur Terre n’a été menée par un touriste ! Le tourisme est un loisir et n’a pas grand-chose à voir avec la découverte de l’inconnu. Le touriste peut rêver de mettre ses pas sur les traces de Youri Gagarine ou de Neil Armstrong ; mais il ne les remplacera pas. Quant à financer les programmes d’exploration, ceux-ci sont tellement coûteux qu’ils ne seront jamais financés par des activités touristiques…

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Aimeriez-vous vous-même venir et revenir de l’espace ?

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Bien entendu, je serais très curieux de vivre l’expérience d’un vol dans l’espace. Mais je sais que j’en suis physiquement incapable : je ne passerais pas la première batterie de tests médicaux ! J’ai simplement eu la chance de voler à bord d’un avion ZéroG. Je me console en me rappelant une histoire charmante : un astronaute était allé dans une classe pour rencontrer de jeunes enfants. Tous s’étaient agglutinés autour de lui, sauf un petit garçon qui était sagement resté assis à sa table. Intrigué, peut-être un peu vexé, l’astronaute lui avait demandé : « N’as-tu pas envie de parler avec quelqu’un qui a volé dans l’espace ? » Le garçon a répondu : « Mais tout le monde vole dans l’espace ! » D’un point de vue astronomique il avait parfaitement raison et notre planète constitue un excellent vaisseau spatial. Profitons-en.

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