Qu’elles soient en couleurs ou en noir & blanc, en studio ou à l’extérieur, les photographies d’Arnaud Baumann se distinguent : Il y a toujours une attention particulière pour celui ou celle qui regarde l’image. Les regards, les postures et la lumière – tout est retenu pour offrir un spectacle à nos yeux. Aussi à l’aise au glorieux Palace, à la salle de rédaction d’Hara Kiri ou encore face aux stars de cinéma, Arnaud Baumann a toujours quelque chose à nous dire. Son appareil photo est bavard.
En ce début d’année, la galerie Idan à Paris a exposé quelques-unes des œuvres du photographe et vous pouvez toujours vous y rendre pour les consulter voire les admirer.
Entretien avec Arnaud Baumann, témoin des époques.
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Vous avez suivi des études d’architecture, pourquoi avoir finalement décidé de devenir photographe ?
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C’est plutôt la photographie qui s’est emparée de moi. J’ai commencé à prendre des photos à l’âge de 17 ans. J’avais l’ambition de devenir réalisateur mais j’étais persuadé qu’un certain vécu et des années d’apprentissage étaient nécessaires avant d’être en capacité de sortir un film.
J’avais également l’envie de quitter Dijon. J’ai donc choisi des études qui ne pouvaient pas se faire là-bas. Je suis devenu étudiant en architecture. À la fin du cursus, j’ai pris la décision d’arrêter sans passer le diplôme. Ai-je bien fait ? Je n’ai jamais eu aucun regret dans ma vie.
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Vous formez un duo artistique original avec Xavier Lambours. Pourquoi une telle union ?
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J’ai rencontré Xavier, j’avais environ vingt ans. Nous fréquentions la même maison de jeunes. Nous sommes devenus les meilleurs amis. Pendant sept ans, nous avons vécu de grands moments artistiques, partagé des rencontres, y compris des conquêtes féminines (rires).
J’ai croisé par hasard dans le métro l’imprimeur d’Hara Kiri qui m’a conduit jusqu’à Cavanna, Choron et sa bande de génies. Avec Xavier, nous nous sommes faits adopter jusqu’à pouvoir les prendre en photo durant leur travail. C’était l’époque de « L’An 01 », la bande dessinée libertaire de Gébé. J’ai tenté d’adopter ce mode de vie. Avec Xavier et un autre pote, nous avons partagé à 3 un job d’été dans un atelier tenu par un patron de gauche, lecteur de Charlie Hebdo. Nous avons réalisé cette utopie mais les employés n’appréciaient pas de voir l’un de nous le lundi, un autre le mardi, et le mercredi un troisième. Ça a mis un sacré bordel dans la boîte (rires). Par la suite, j’ai même proposé à Xavier de partager un compte en banque. Suivant les réussites financières de l’un, l’autre pouvait en profiter.
Nous avons arrêté ce lien fusionnel lorsque nous avons rencontré nos épouses respectives (rires).
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Pendant plus de 10 ans vous avez pris en photo l’équipe d’Hara Kiri. Au cours des réunions de rédaction, les engueulades étaient-elles aussi belles que les rires ?
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Avec Xavier, nous apportions nos photos de rue, que Choron et Gébé détournaient avec des bulles. Au début le Prof nous avait interdit de photographier l’équipe. Petit à petit nous nous sommes faits accepter, à condition de ne jamais vendre les photos dans la presse.
En 2015, le massacre dont le monde entier a entendu parler nous a conduits à publier le livre « Dans le Ventre de Hara-Kiri » (Éditions De La Martinière 2015).
Ceux qui ont fait Hara Kiri étaient des gens authentiques. Les rires autant que les disputes étaient sincères et les rapports entre eux toujours vrais. Des bosseurs ! À cette école, je suis devenu un professionnel fiable.
Ils n’aimaient pas poser. Sauf Reiser, pour mon livre « Carnet d’adresses » (Éditions du DTV 1984) car il m’avait dit des années auparavant qu’il aurait aimé se voir pris en tenue de chevalier. Sur la photo, il est nu, l’armure écroulée à ses pieds. À le regarder dessiner, Reiser était passionnant. Son visage prenait les expressions du personnage qu’il croquait. Par sa taille et son visage à la Vercingétorix, Cavanna avait de l’allure et en imposait physiquement. Gébé à la tête de cheval et au rire éclatant, Choron à l’énergie débordante, Cabu au physique de Duduche (son personnage dessiné), Wolinski à l’humour fin fumant des cigares cubains, ils avaient tous quelque chose d’exceptionnel et d’attachant. C’était des amis que j’aimais. De cette génération nous restent Willem, l’immense dessinateur de presse, Delfeil De Ton, le journaliste à la plume aiguisée et Jackie Berroyer, l’homme aux talents multiples (écrivain, scénariste, comédien, réalisateur et philosophe à ses heures).
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En allant photographier les fêtes du Palace, vous avez capturé une certaine insouciance. Ce fut un moment important dans votre carrière ?
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Tout jeune photographe de presse, il m’arrivait d’être invité à des fêtes. Entre 1979 et 1983, le Palace représentait un phare allumé dans la nuit parisienne. C’était un lieu aussi dingue que le comité de rédaction d’Hara-Kiri. Nous rêvions toutes et tous d’aller boire et danser dans les lasers et la musique inventive du passeur de disque Guy Cuevas (on ne parlait pas encore de DJ). C’était captivant d’être ainsi témoin d’un mélange des genres et des couches sociales que seul Fabrice Emaer, l’inventeur du Palace avait su créer.
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Avec « Carnet d’adresses », votre premier livre, vous réalisez une série de portraits de nus célèbres. Pourquoi une telle idée ?
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Lycéen, j’étais fasciné par le travail du photographe Leslie Krims. Une photo en noir & blanc m’avait particulièrement marqué où une femme nue pose avec un masque de Minnie Mouse devant une grande croix constituée de ballons en forme de tête de Mickey.
J’ai eu l’idée de « Carnet d’adresses » alors que j’étais en plein doute. Je vivais à Paris depuis cinq ans et je me demandais si la photographie était ma voie. J’hésitais à abandonner mes études au profit de la photo. Dans un coup de folie, j’ai ouvert mon carnet d’adresses et j’ai demandé à mes contacts de poser nus pour un projet de livre. Au début, ce furent des ami(e)s. Cela ne m’a pas guéri de ma déprime et j’ai décidé d’aller en finir à La Réunion, mon île natale. Après avoir renoncé au suicide je suis revenu à Paris avec ma compagne devenue ma femme et la mère de nos enfants. Elle m’a encouragé à poursuivre mon projet. J’ai alors demandé de poser à des célébrités que j’avais pu approcher. Pour les convaincre, je montrais une photo de moi nu, bondissant dans ma chambre, la première image qui avait donné naissance au projet. Cela faisait rire. Seuls Serge Gainsbourg et Jacques Higelin ont refusé.
Pour conclure, j’ai à nouveau posé sans vêtements mais le corps en feu. Je m’étais aspergé d’essence volatile. C’était une façon de remercier toutes celles et ceux qui avaient accepté de participer.
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Qu’est-ce qui est le plus passionnant quand on prend des photos de célébrités ?
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J’ai pratiqué le portrait car je savais que cela allait me faire vivre. Passionné de 7ème art, j’ai apprécié de rencontrer des artistes de cinéma. Ce ne sont pas toujours des modèles faciles mais j’aime quand ils me résistent. Cela motive à se dépasser. Il faut aussi savoir improviser et s’adapter. J’ai parfois arraché un portrait en 2 minutes. Lors du Festival de Cannes, Johnny Depp allait répondre à une interview de Laurent Weil. J’ai demandé au journaliste de Canal+ si je pouvais prendre une photo pendant que l’ingé-son équipait l’acteur. J’ai proposé à Johnny Depp de serrer les poings à la façon de Robert Mitchum dans « La Nuit du chasseur » (1955). Nos regards se sont croisés. Il a compris la référence et pris une pose à lui. Deux ans plus tard, de retour à Cannes, je disposais cette fois d’un rendez-vous de vingt minutes avec la star. Après la séance, je lui ai offert un exemplaire de la photo précédente et lui ai demandé de signer à mon intention un tirage identique. Je n’ai eu cette démarche qu’avec lui et Sean Connery… En voyant la photo, Johnny Depp est resté muet pendant plusieurs minutes. D’autres photographes attendaient leur tour et me fusillaient du regard. Il a fini par dédicacer la photo « Avec l’honneur d’avoir été de l’autre côté de l’objectif ».
Une autre fois, alors que je travaillais pour un quotidien, une interview de Dustin Hoffman était prévue avec une journaliste. Elle disposait de vingt minutes. Je lui ai demandé de m’accorder deux minutes de son temps. Parti tôt le matin, peut-être un peu mal éveillé, j’ai eu l’idée de proposer à Dustin Hoffman d’ouvrir les yeux puis de les fermer pendant les deux minutes de pose. Non seulement j’ai réussi ce triptyque dont je suis particulièrement fier, mais j’avais respecté mon engagement.
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De nos jours, avec la démocratisation du numérique, la photographie amateure connaît un certain succès. La photo professionnelle a-t-elle un avenir selon vous ?
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C’est un vrai sujet de réflexion. La démocratisation de la photographiie est un progrès mais il y a des dérives. Beaucoup de personnes pensent que c’est l’appareil qui fait la photo. Au début de ma carrière, j’étais farouchement opposé aux écoles de photographie. Mais, depuis une vingtaine d’années, je conseille aux jeunes de passer par elles pour acquérir la rigueur et la précision de la technique en plus d’une bonne culture de l’image et une large connaissance dans le domaine des arts (littérature, peinture, musique, cinéma…). C’est ce qui fera la différence avec un autodidacte.
Le statut de photographe, dans la presse en particulier, a connu une grande dégringolade. Beaucoup, même très doués, ont dû abandonner. Être photographe ne va pas forcément vous rendre riche. Vous courrez assurément le risque d’être exploités.
Être photographe est un vrai métier qui exige des années d’apprentissage et d’expériences. Le talent ne garantit pas d’en vivre. Afin de garder sa liberté de création sans verser dans la précarité, je conseillerais d’avoir une autre activité professionnelle en parallèle. En attendant le succès !
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Toutes les photos sont la propriété d’ ©Arnaud Baumann