Depuis 2017, nous nous interrogeons toujours sur l’utilité d’une introduction pour chaque entretien. Est-ce pertinent d’écrire une brève présentation ? La mise en situation finalement barbante ? Nos textes sont-ils lus (s’il vous plaît prévenez-nous !) ?

François Morel et Valentin Morel, respectivement père et fils, ont accepté de relever le défi du dictionnaire amoureux – mais attention pas n’importe lequel : Celui de l’inutile. Publié en 2020 (en pleine pandémie de Covid!), le livre a même connu une version illustrée 2 ans plus tard. Alors que la pluie battait son plein, nous avons rencontré les deux auteurs quelque part à Chelles (Seine-et-Marne), cité chère aux Mérovingiens.

Entretien qui cherche toujours son utilité…

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Etait-ce bien utile de réaliser ce dictionnaire à deux ?

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François Morel : Jean-Loup Chiflet, auteur des dictionnaires amoureux sur l’humour et sur le mot d’esprit, m’avait encouragé à en écrire un. J’en ai parlé à mon fils Valentin qui me proposa alors de réfléchir sur le thème de la gentillesse. Je n’ai pas trouvé cela pertinent. Qui aimerait lire le dictionnaire amoureux de la gentillesse ? Je pense que celui de la méchanceté aurait eu plus de succès.

L’idée d’un dictionnaire amoureux de l’inutile est venue par la suite au fil des réflexions. Je ne souhaitais pas l’écrire seul. Comme Valentin a un certain style (je le sais je suis ton père !), je lui ai donc proposé de travailler à mes côtés sur ce dictionnaire.

Valentin Morel : Ce fut utile pour notre relation père-fils.

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Ce dictionnaire a-t-il été parfois un dialogue contrarié ?

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Valentin Morel : Nous étions souvent d’accord. J’ai un regard plutôt négatif sur le sujet des éoliennes, tandis que mon père les défend. Il a fallu changer le pronom utilisé afin d’adoucir le propos. Au final, l’article sur les éoliennes nous a satisfait tous les deux. Nous n’avons pas eu d’autres désaccords.

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Vous traitez dans le dictionnaire de l’art autoroutier. Êtes-vous favorables à davantage de construction de cette expression artistique atypique ?

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François Morel : C’est Valentin le spécialiste.

Valentin Morel : Je voulais écrire sur le 1% artistique. Créée en 1951, cette loi impose, lors de la construction de bâtiments publics, de consacrer 1% du coût total à l’acquisition de biens culturels. Les aires et bords d’autoroutes sont concernés. Ce n’est pas une mauvaise chose en somme mais je voulais me moquer du côté obligatoire.

Ce sont des œuvres immenses, imposantes et parfois bien laides.

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Vous arrive-t-il d’écrire des cartes postales ?

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François Morel : Cela n’a plus le côté systématique d’une certaine époque. Dans mon enfance, envoyer une carte postale était une corvée. A chaque fois que nous partions quelque part, il fallait écrire à la famille et aux proches.

De nos jours, le caractère de la carte postale est plus souple. J’aime en écrire et en recevoir de temps en temps.

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Le facteur Ferdinand Cheval (1836-1924), artiste original, a-t-il été finalement utile après sa mort ?

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François Morel : De son vivant, les personnes le prenaient pour un allumé. Lorsque le ministre de la culture, André Malraux, contre l’avis de la plupart des fonctionnaires qui l’entouraient, a pris la décision de classer le palais du facteur Cheval au titre de monument historique, le regard du public a changé. L’œuvre de l’artiste est même perçu de nos jours comme poétique.

Valentin Morel : Grâce à ce palais « idéal », le village d’Hauterives dans la Drôme vit pleinement de ce haut lieu culturel.

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Pourquoi selon vous on rêve d’être gardien de phare ?

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François Morel : Pour fuir l’humanité.

Valentin Morel : Après avoir vu le film d’horreur « The Lighthouse » (2019) de Robert Eggers, je rêve moins d’être gardien de phare…

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Maître du calembour, prophète du désordre verbal, fabuleux mime, Raymond Devos aurait pu avoir sa place dans « Le Dictionnaire amoureux de l’Inutile » aux côtés de Jean Carmet et de la moustache de Jean Rochefort ?

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François Morel : Bien sûr. Un second tome pourrait très bien se faire. Le sujet est quasiment infini. L’inutile est une notion fluctuante. Tout dépend du moment et de la personne. Le peigne est utile pour les cheveux mais pas pour le chauve…

Valentin Morel : Nous devions juste trouver un angle et un argumentaire afin de justifier l’inutilité même si je reconnais que nous avons été souvent de mauvaise foi.

François Morel : Ce dictionnaire a été également l’occasion de rencontres. Pierre Richard était venu me voir au théâtre pour « J’ai des Doutes », spectacle consacré à Raymond Devos. Nous avons dîné ensemble et il m’a raconté de superbes anecdotes à propos de Jean Carmet. Avec Valentin, nous sommes venus le voir et avons enregistré les histoires de Pierre. La panoplie d’homosexuels nous a notamment bien fait rire.

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Le casque du kamikaze est-il l’empereur de l’inutile ?

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François Morel : C’est en effet l’essence de l’inutile même si on se demande si les pilotes ne gardaient tout de même pas espoir de s’en sortir.
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Peut-on envier le spectateur qui dort au théâtre ou au cinéma parce qu’il s’échappe ?

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François Morel : Il m’est arrivé de m’endormir. J’étais venu féliciter une actrice après un spectacle. J’étais au premier rang. Elle a donc remarqué que je m’étais endormi… (rires)

Voyons le côté positif : lorsqu’on dort cela veut dire que le spectacle ne nous met pas en colère. Il n’y a pas pire situation lorsqu’on s’ennuie et on attend avec impatience la fin.

J’aime dormir au cinéma.
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« Le Dictionnaire de l’Inutile » a demandé une certaine somme de travail. Avez-vous eu la tentation d’abandonner le projet ?

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Valentin Morel : Dès le départ, nous avons considéré qu’il était utile d’aller au bout.

François Morel : Comme un spectacle, le livre peut être vu comme inutile mais du moment que vous éprouvez du plaisir…

La vie ne doit pas uniquement être pleine de rentabilité. L’inutilité est une ode à la vie. Un verre en terrasse avec des amis peut vous donner juste du plaisir.

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Quel est votre moment inutile préféré ?

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Valentin Morel : J’aime me réveiller deux heures avant l’heure butoir. Il y a le plaisir de se rendormir en toute tranquillité.

François Morel : Le philosophe Pascal demandait à ce qu’on le réveille durant la nuit pour avoir le plaisir de se rendormir.

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Quel est votre animal inutile préféré ?

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François Morel : Si vous n’utilisez pas votre chien pour la garde ou pour la chasse, il est bien inutile. Cependant, vous l’avez pour le plaisir de sa compagnie.

Valentin Morel : C’est d’ailleurs le refrain d’une chanson d’Alexis HK : « Je veux un chien un vrai, un chien qui sert à rien ».  Cela nous a permis d’écrire sur le chien que nous avons eu dans la famille.
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Cette interview a-t-elle été utile ?

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François Morel : Absolument pas donc tout va bien : c’est cohérent.

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Photo de couverture et dernière photo : © Brieuc CUDENNEC
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