Dès le premier regard, on relève de l’audace dans les œuvres de Sonia Sieff. Après le décapant « Les Françaises » (2017) nourri par l’amitié et l’intimité, « Rendez-vous! » (2024) est une véritable exploration du nu masculin. Les couleurs, le décor et les regards soulignent une mise en scène soignée, passionnée et poétique. Sonia Sieff aime la photo et par dessus tout ses modèles.
« Rendez-vous! » est également une création à part car en plus d’exposer la beauté masculine, le livre s’accompagne d’un parfum qui selon la photographe serait « un grand féminin que les hommes auraient envie de porter ».
Les femmes et les hommes n’en finissent pas d’être explorés sous tous les angles.
Entretien-portrait avec Sonia Sieff, photographe passionnée et passionnante.
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Votre père, Jeanloup Sieff, reste encore une référence pour beaucoup d’artistes. Son travail vous inspire-t-il toujours ou vous vous en êtes détaché ?
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Mon style est en effet très différent de celui de mon père. Il travaillait en noir et blanc ,en vertical et au grand angle.
Cependant, que ce soit pour la mode, le paysage, le reportage ou encore le portrait, nous aimons brouiller les pistes !
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Photographier la nudité est-ce aussi du courage ?
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Oui comme il faut beaucoup de courage pour accepter d’être photographié dans son intimité. J’aime le nu car il cumule de nombreux aspects. Sans vêtements, il n’y a pas de travestissement, pas d’artifice. La peau est un aspect organique qui ne peut mentir. Au lieu de parler de nudité, je parlerais plutôt de portrait déshabillé. J’aime photographier le visage, les détails comme un regard ou des épaules. Lorsque vous êtes nu, votre attitude n’est plus la même.
Rendez-vous ! (2024) sera un livre très différent des Françaises (2017). Même le titre me convient davantage.
Mon éditeur est américain donc le titre des Françaises avait été soigneusement choisi. Je ne considère pas que mon premier livre montre l’ensemble des Françaises. Il s’agissait avant tout de portraits d’amies, de femmes issues d’une partie de mon univers artistique, parisien et bourgeois.
Pour Rendez-vous ! j’ai voyagé dans toute l’Europe et j’ai photographié des hommes que je ne connaissais pas et dans des lieux inconnus. J’ai également été plus loin dans l’intime. Même le traitement était radicalement différent. Les Françaises laissait une grande place à l’architecture – je ne cherchais pas cela pour Rendez-vous ! J’ai laissé place à mon instinct.
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La pellicule est-elle belle car brute et authentique ?
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J’aime surtout le fait que lorsque je prends la photo, je ne me concentre pas sur un écran mais sur la personne photographiée. Avec le numérique, nous n’avons plus la même connexion entre modèle et photographe.
La pellicule est également magique car vous êtes dans l’attente du résultat. Après un passage au laboratoire, je vois enfin le développement et c’est une sensation extraordinaire. Il y a de vraies belles surprises et des aspects que l’on ne voit pas lors du shooting.
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La différence de sexe a-t-elle été un obstacle pour Rendez-vous ! ?
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L’exercice a finalement été tout à fait différent. Ce n’était pas évident pour des hommes de poser nu. Il y a cette image ultra-sexualisée et homosexuelle du nu masculin. La quasi-totalité des hommes à qui j’ai demandé de poser nu a accepté. Ils m’ont fait confiance. Cependant, les éditeurs étaient hésitants sur le projet. Le nu masculin fait peur.
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Les hommes détestent-ils leur corps ?
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Pas du tout, mais dans une société dirigée par des hommes, la place est avant tout donnée au nu féminin car il est sujet à fantasmes. Nos sociétés confondent malheureusement la sexualité et l’art. L’homme nu, qu’importe sa morphologie, est sublime. Nous avons besoin de le voir. Si les codes se renversent cela ferait beaucoup de bien. Tout corps peut être beau.
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Y’a-t-il eu des moments intimistes ?
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Chaque shooting a été différent. Certains hommes ont beaucoup parlé, d’autres restaient silencieux. J’en ai rencontré certains avant, d’autres non. De toute façon, il y a toujours une connexion.
Pour « Les Françaises », comme c’était des amies, nous avions l’habitude de prendre un thé avant et de beaucoup parler. Avec Rendez-vous ! l’exercice a été inconfortable pour moi car il a fallu affronter mes peurs, la barrière de la langue (certains ne parlaient ni anglais, ni français)… Mais une fois lancée, j’ai photographié plus de personnes que pour « Les Françaises » (30 femmes).
Je veux que Rendez-vous ! ait un écho car il est aussi un postulat politique. Que signifie être un homme aujourd’hui ? quelle évolution cela implique dans une société dans laquelle les femmes ne veulent plus être assignées au rôle que les hommes leur ont attribué ? Celui, limité, de les accompagner, pour leur permettre, à leur tour, de se réaliser, en étant indépendantes et libres. On assiste à un rééquilibrage, nécessaire et heureux.
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Rendez-vous ! additionne un grand nombre de modèles masculins. Y’a-t-il eu une boulimie de travail ?
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J’aurais pu ne jamais arrêter. Ce projet m’a appris beaucoup de choses sur moi-même.
Le livre avait pour titre initial Réconciliation. Aujourd’hui, les hommes et les femmes ne se comprennent pas bien et j’avais envie de cette réconciliation. Le comportement et la brutalité des hommes m’ont toujours heurtée. J’avais besoin de les mettre à nu afin de comprendre leur fragilité. J’aime la dualité chez l’être humain. Si le masculin accepte sa part de vulnérabilité, de ce que l’on nomme « féminin » – tout est gagné. Les femmes demandent aux hommes d’être plus sensibles tout en étant viril. Il est délicat de trouver le bon équilibre.
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L’homme modèle est-il passionnant car il est multiple ?
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L’émotion se situe dans le regard que l’on porte. Tous les hommes qui ont accepté de poser nu avaient quelque chose d’émouvant à exprimer. Il n’y a pas eu de mauvaise rencontre.
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Vous êtes également réalisatrice et scénariste. C’est un exercice plus délicat ?
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J’ai commencé comme photographe de plateau et j’ai eu envie d’aller plus loin dans cet univers. Être réalisatrice c’est le travail ultime, car il rassemble une multitude de talents pour une seule œuvre. Cela peut s’apparenter à de la chorégraphie. Chaque personne est nécessaire pour créer de la magie. Il s’agit de réussir à bien travailler ensemble, en étant généreux et à l’écoute.
Cependant, faire un film demande des années de travail et beaucoup d’argent. Le travail de photographe peut parfois être comparé à une parenthèse par rapport au métier de réalisatrice. En quelques clics, dans n’importe lieu, vous arrivez à créer. La lenteur d’un projet cinématographique peut vous irriter. Je suis quelqu’un d’instinctif donc c’est très pesant pour moi. J’aime passer d’un univers à l’autre, osciller de la légèreté au poids que représente un film.
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Votre travail est-il autobiographique ?
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Bien sûr. Je suis à l’aise avec la complexité psychologique et le dialogue. Ce travail sur les hommes a été introspectif, je suis partie en reporter, avec des contacts dans des villes, à l’aventure.
J’ai toujours admiré les reporters. Ils sont sur le terrain et affrontent, souvent confrontés à la violence. Moi je suis incapable de travailler dans une zone de conflits, car la violence m’épouvante.
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Que souhaitez-vous explorer à présent ?
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Je suis en effet une exploratrice. J’ai l’envie de réaliser mon premier long métrage. Après Les Françaises, je ne voulais pas travailler de suite sur un autre projet photographique tel que le nu masculin. J’ai d’abord voyagé pour me reposer. J’ai été en Algérie, au Chili et en Bolivie. L’être humain me prend ou me donne, mais ensuite j’ai besoin d’une pause. Rencontrer une personne et la photographier, ce sont des moments extraordinaires et prenants émotionnellement.
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Aimez-vous revoir vos projets antérieurs ?
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Pas particulièrement. Je n’aime pas toujours ce que j’ai fait, et à titre d’exemple, le monde de la mode vieillit souvent mal. Le vêtement et le style que vous avez photographiés il y a quelques années témoignent d’une époque. Le nu est intemporel.
Réaliser un long métrage va être une expérience formidable car je vais être dans ma bulle pendant un beau moment, et j’adore me lancer dans un nouveau projet !
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Photo de couverture : Rencontre d’été – Ricardo 2021
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Toutes les photos appartiennent à © Sonia Sieff