De par nos voyages, nos rencontres et nos sentiments,… nous souhaitons toujours garder le souvenir. Alors que certains se contentent de prendre des photos, d’autres tracent des traits sur une feuille blanche. Le dessin a toujours accompagné Alain Bouldouyre dans ses pérégrinations. Infatigable voyageur et passionné d’automobiles, l’artiste-lauréat de multiples prix a su magnifiquement illustrer la collection des dictionnaires amoureux des éditions Plon.

Le pouvoir, Victor Hugo, le polar, les oiseaux, l’espionnage, la Bretagne,… Tous ont été racontés avec amour par de multiples personnalités. Un grand nombre de ses dictionnaires ont été dessinés par un seul et même artiste : Alain Bouldouyre.

Entretien.

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Quand est née votre passion pour le dessin ?

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Je dessine depuis l’âge de 4 ans. Ma mère conserve d’ailleurs tout ce que je produisais et j’ai gardé cette habitude du dessin. J’ai toujours aimé apprendre de l’autre. Un de mes professeurs de dessin au Petit Condorcet monsieur Papadacci disait à ses élèves que la base de l’art était le dessin. J’ai appris les hachures, l’encre de chine et la plume. Mon professeur m’a fait comprendre qu’il ne fallait jamais saturer les ombres. Pendant les vacances, nous devions lui envoyer des cartes postales avec nos dessins. J’utilise ce procédé plastique pour mes vignettes de la collection des Dictionnaires amoureux.

Cependant, je n’aimais pas trop être confronté au regard des autres alors je participais à de nombreux concours tels que ceux du journal de Mickey ou de Tintin.  J’ai même gagné une voiture, une Dauphine avec le magazine Pilote. J’avais 15 ans et pas le permis(!). La compétition me faisait cependant apprendre l’humilité. Je crois beaucoup à l’apprentissage.

J’ai ensuite suivi des cours dans un atelier à Montparnasse où le niveau était très élevé. Je me suis rendu compte que finalement je ne savais pas bien dessiner. Mais j’ai été lauréat du Concours général des lycées (en Première et en Terminale). Par deux fois, j’ai reçu le prix de dessin. Je rêvais d’entrer ensuite dans une école d’art ou d’architecture, mais à l’époque il fallait être très très fort en maths (Maths sup et Maths spé). J’ai donc fait des études de lettres à l’Université de Nanterre puis j’ai intégré sur dérogation l’Ecole Duperré dans le 3ème arrondissement de Paris afin de suivre aux Arts appliqués la formation en esthétique Industrielle. J’ai remporté le Prix Jacques Vienot puis une Bourse de la Vocation.

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A 19 ans, vous partez à bord d’un cargo pour les Etats-Unis et vous vivez plusieurs mois à New York. Est-ce que ce fut la meilleure des expériences ?

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Au début du printemps 1966, j’avais écrit à la compagnie maritime Louis-Dreyfus pour leur proposer des dessins en embarquant à bord d’un de leurs cargos à destination des Etats-Unis. On m’a répondu très rapidement que si je pouvais me rendre à Brème dans les prochains jours, je serais le bienvenu dans un bateau qui transportait 900 Volkswagen pour Detroit.  J’ai sauté dans un train pour l’Allemagne et j’ai fait du stop de la gare de Brème jusqu’au port. Pendant les 15 jours de traversée, j’étais abrité dans la cale du navire. Mais le voyage fut un cauchemar pour moi à cause d’un mal de mer dès les Iles Hébrides au Nord de l’Ecosse. Je pouvais à peine apercevoir par le hublot de la cabine les icebergs en dérive au-delà du Groenland.

A Trois-Rivières, avant les Grandes écluses, je débarque et je prends la route pour me rendre à New-York. Je ne connaissais rien ni personne là-bas. C’était une période particulière puisque c’était la fin du mouvement des beatniks et le début des hippies. Je loge dans une auberge de jeunesse et je m’arrange avec le gérant : je devais réaliser deux dessins de son établissement et j’avais en contrepartie le logement gratuit pendant un mois. Au retour du cargo, je suis retourné Trois rivières en Greyhound .. Le navire transportait cette fois du grain et le capitaine m’a proposé une vraie chambre.

A l’époque encore je ne pouvais croire que l’on puisse vivre de son « art ». 

Après mon service militaire en Allemagne dans les chars, je suis devenu directeur artistique puis Directeur de création dans la publicité.  Dans les années 90 j’ai dirigé la communication de la ville de Nice. En 1998, je suis revenu à Paris. Et j’ai vendu mes premiers dessins pour le lancement du Pavillon des Antiquaires, concurrent de la Biennale.

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Qu’est-ce qu’apporte le dessin dans les relations humaines ?

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Partout où j’ai été dans le monde, j’ai remarqué que le dessin plaît. Au fin fond du Niger, j’ai dessiné une case avec le personnage de Tintin (Boula Matari!) et offert ce gribouillis aux gens du village, sous les quolibets du Marabout . 25 ans plus tard, on me parle d’un dessin conservé dans un village reculé du Niger. « c’est de toi! »

La photographie est certes un véritable témoignage alors que le dessin est perçu comme une aimable fantaisie.

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Les automobiles sont-elles les meilleurs modèles ?

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En tous cas les plus faciles.

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Paris est-elle toujours une ville de dessinateurs ?

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J’ai toujours aimé les villes – Toutes… Elles m’inspirent. Dans une ville, vous pouvez marcher pendant des heures sans vous ennuyer.  A Paris, J’ai eu la chance d’être invité par l’architecte en chef des monuments historiques pour visiter la nuit les toits du Grand Palais, de l’Opéra Garnier et de l’Opéra Bastille. L’Art moderne est né avec la perception partagée par le plus grand nombre de la vue depuis le dernier étage de la Tour Eiffel. Pour la première fois, on pouvait monter à 300 mètres et regarder le monde.

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Quel pays mérite d’être dessiné ?

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Dans chaque circonstance, j’ai toujours voulu dessiner.

Il a fallu que j’attende 77 ans pour découvrir le Japon. J’y étais en décembre dernier. Je craignais l’incompréhension de la langue et des signes. J’avais l’impression que les Japonais dans leur insularité refusaient tout partage. Or, depuis les Jeux Olympiques de 2020, le pays a doublé sa signalétique en anglais. Et j’ai découvert une harmonie douce entre la ville et la campagne. Pas de pollution. Et un paradis de dessinateur.

Je me souviens également avoir visité en 1976 l’Egypte et, bien sur les pyramides. Sur les traces de Blake et Mortimer. Un guide me conseille l’ascension de la Grande pyramide. Ce n’est, en fait, qu’un gigantesque escalier. Au sommet, qui est en fait une sorte de plateforme, les soldats de Napoléon y ont gravé dans une belle écriture cursive leur nom. Street art avant la lettre. A la descente, cependant, la police égyptienne m’attendait pour m’infliger une très lourde amende. Mais j’ai fait l’ascension de Khéops.

J’adorerais visiter l’Île de Pâques. Ayant travaillé en Nouvelle-Zélande, j’aurais pu y aller mais par 2 fois l’avion n’a pas réussi s’y poser.  L’écrivain Pierre Loti en a fait un superbe carnet de Voyage.

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Comment est née votre collaboration avec les dictionnaires amoureux ?

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Au début des années 2000, l’académicien Dominique Fernandez souhaitait écrire une œuvre originale qui s’intitulait « Dictionnaire Amoureux de l’Italie ». Jean Claude Simoën, chez Plon, voulut en savoir plus sur le projet. Fernandez répond qu’il souhaitait uniquement écrire sur ce qui lui plaisait en Italie. Simoën a alors l’idée de lancer une collection audacieuse et très originale avec des virgules dessinées inspirées du Petit Larousse illustré. Après deux ou trois succès il a l’idée de confier à un illustrateur différent chaque futur Dictionnaire. L’illustratrice Florine Asch est proposée par le chef cuisinier Alain Ducasse pour son « Dictionnaire amoureux de la gastronomie ». Mais pour celui de l’Islam écrit par Malek Chebel, à part moi, personne ne se présente. Je rencontre l’auteur afin de m’entendre avec lui sur les illustrations et je propose même un alphabet.

Pour « Le Dictionnaire amoureux de Venise », Philippe Sollers n’accepte pas la proposition d’engager une nouvelle dessinatrice, Catherine Dubreuil.  Elle venait de réaliser un joli livre sur Venise avec un texte de Fernandez. Or Sollers et Dubreuil ne s’entendent pas sur la vision de la Sérénissime. Plus docile, je réalise mon deuxième dictionnaire. Et je me suis très bien entendu avec Philippe Sollers.

Au fil du temps, je suis devenu le dessinateur plus ou moins officiel des dictionnaires amoureux et je travaille très bien avec le directeur de la collection, Gregory Berthier-Saudrais.

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Vous illustrez alors la presque totalité des dictionnaires amoureux publiés par Plon. L’exercice est-il difficile, usant ou/et passionnant ?

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Dans un tel exercice, vous êtes au service d’un vrai texte.  8 académiciens se sont confrontés à l’exercice. Et j’ai toujours adoré rencontrer et échanger avec les différents auteurs. C’est le meilleur moment.

 Je pose une multitude de questions aux auteurs tout en notant et en faisant des croquis préparatoires. On se pique mutuellement de curiosité. Puis, en l’espace de trois semaines, je dois ensuite réaliser les 100 illustrations. Un rendez-vous est organisé avec l’éditeur et l’auteur du dictionnaire afin de commenter les dessins.

Même si je n’ai pas pu participer à certains dictionnaires comme celui du Louvre, de la Provence ou encore de la bêtise, j’ai collaboré à plus de 160 ouvrages. Je conserve plus de 15 000 dessins.

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Quel est le dictionnaire le plus passionnant à illustrer ?

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J’ai beaucoup aimé participer au « Dictionnaire de la traduction » de Josée Kamoun tout comme à celui de Tintin avec Albert Algoud. Les éditions Moulinsart interdisant de dessiner les personnages d’Hergé, il fallait ruser. Pour le capitaine Haddock, j’ai proposé un…haddock et pour la Castafiore un rossignol milanais…  Je suis resté très ami avec Albert Algoud. Un homme délicieux.

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Quels sont vos projets ?

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J’ai des cheveux et une barbe grise, ma femme me compare à un loup. Comme elle est une excellente nageuse, je la vois comme une sirène. Alors je m’amuse à dessiner de brèves histoires de loup et de sirène. Chaque matin, mon épouse a la surprise de voir une nouvelle image. C’est parfois acide mais toujours tendre. Elle doit en avoir plus de 5000.

J’aime toujours autant dessiner et j’accumule de beaux projets professionnels. C’est une revanche parce qu’il a fallu que j’attende 50 ans avant de vendre un de mes dessins. Avant mon retour à Paris, je n’en ai jamais eu l’occasion. De nos jours, je réalise des dessins pour Louis Vuitton, Porsche, le Carlton, le Negresco, Eden Rock, le Brenners ou encore la Principauté de Monaco. 

Enfant, je m’amusais à dessiner des timbres. Aujourd’hui j’en fait des …vrais (rires).

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