Personnage méconnu de l’Histoire, John Muir (1838-1914) est pourtant une figure qui a su faire le lien entre l’Ecosse, son pays de naissance, et l’Amérique, sa terre d’adoption. Passionnée par la flore, il est aussi l’un des premiers naturalistes modernes et reste encore de nos jours un pilier de la protection de la nature.

Suite à un accident, le jeune homme devient aveugle mais retrouve la vue quelques semaines plus tard. L’épisode (miraculeux) aura des conséquences : John Muir décide alors de réaliser son rêve : Explorer les Etats-Unis à partir du Midwest afin d’étudier les plantes qu’il observera sur son chemin.

Une aventure qui ne pouvait que plaire à l’artiste Lomig, dessinateur autodictate et déjà auteur du surprenant « Dans la Forêt » (Editions Sarbacanne). « Au Cœur des solitudes » (Editions Sarbacanne) narre l’histoire d’un voyageur passionné, plongeant dans un univers sauvage et en noir & blanc. Tout au fil des pages, le lecteur voyage avec John, ce naturaliste qui ira jusqu’à convaincre en 1890 le Congrès américain de faire de la vallée du Yosemite (Californie) un immense parc national.


Entretien avec Lomig.

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Vous avez écrit et dessiné « Au Cœur des solitudes ». Avec plus de 150 pages et des paysages urbains et rurales impressionnants, une diversité de personnages,… Avez-vous pris du plaisir à réaliser seul cette œuvre ?

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Oui, bien sûr, c’était un réel plaisir de travailler sur ce projet.  Après il y a forcément eu aussi des passages un peu compliqués sur ces trois ans de création. Je me rend compte que j’ai pris autant de temps à dessiner ce grand voyage inspiré de la vie John Muir – le premier écologiste moderne – que lui à le vivre. En 1868, il va miraculeusement recouvrer la vue, après avoir failli la perdre lors d’un accident dans une scierie, et se lancer dans une marche à pied de 1500 kilomètres. Il va partir de l’Indiana et faire cap au Sud, en empruntant l’itinéraire le plus sauvage possible. J’ai donc eu l’opportunité de dessiner des paysages très variés, les forêts de chênes du Kentucky, les montagnes de Géorgie, les marais de la Floride, et plus encore puisque le périple de John Muir ne s’arrête pas là…  J’étais dans une sorte de méditation lors de la finalisation des planches. J’avais l’impression de passer mes journées en pleine nature, à marcher à ses côtés.

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Pourquoi le choix du noir & blanc ?

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J’avais déjà utilisé cette technique dans mon précédent album « Dans la forêt », l’adaptation graphique du best-seller de Jean Hegland. Il y a une forme de continuité entre ces histoires, ce sont deux hymnes à la nature, alors je ne voyais pas changer de style. J’ai choisi de faire des illustrations très fouillées pour que les lecteurs aient envie de ralentir la lecture pour les regarder, avec la même attention que John Muir portait à son environnement. Cette finalisation à la mine de plomb demande beaucoup de soin – et de patience – mais permet de créer une ambiance texturée, pleine de douceur et de lumière. Il n’y a pas le côté froid d’un noir et blanc classique. Bien sûr il faut imaginer soi-même les couleurs, mais d’après ce que certaines personnes m’ont dit, elles arrivent très vite.

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L’histoire se situe en à la fin des années 1860 soit après la Guerre de Sécession. Malgré la beauté des paysages, avez-vous voulu montrer une Amérique blessée ?

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C’est vrai, il y a une opposition assez radicale entre la beauté des panoramas et la misère des hommes dans les Etats du Sud. Certains venaient juste d’être libérés de leur condition d’esclave, d’autres étaient des brigands de grand chemin, des anciens militaires de l’armée confédérée ou encore des riches propriétaires de plantations de coton. Il y avait très peu d’informations sur eux dans les carnets de voyage qui ont inspiré ce récit, aussi j’avais une grande liberté pour les incarner et pour romancer ces temps d’échanges. C’était bien sûr l’occasion de faire vivre Muir à travers le regard des autres et de donner corps à cette période de l’histoire.

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Pour quelles raisons avez-vous été touché par l’aventure de John Muir ?

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Quand j’ai découvert son parcours incroyable, j’ai été très impressionné. J’étais surpris de ne pas en avoir entendu parlé plus tôt, mais je me suis vite rendu compte qu’il était bizarrement très peu connu en France. Au delà d’être un grand voyageur, c’est aventurier, un botaniste, un géologue, un écrivain bien sûr, mais surtout un militant écologiste. Il a essayé de sensibiliser ses contemporains à la nécessité de préserver des espaces sauvages durant toute sa vie. Lorsque j’ai commencé à le lire, j’ai été totalement séduit par la poésie et l’humilité qui émanent de chacun de ses textes. Il parvient à faire ressentir la respiration de la terre et à partager l’émerveillement que lui inspire les beautés du monde sauvage. Je me suis dit que sa vision pourrait être une véritable source d’inspiration pour nous aider à faire évoluer notre rapport à la nature, avant qu’il ne soit trop tard.

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Avez-vous fait beaucoup de recherches historiques ou vous avez souhaité au contraire vous en détacher ?

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Il y a eu un énorme travail de recherches au départ. Comme je le disais, j’ai commencé par lire tous les livres de John Muir. Puis j’ai traduit sa correspondance avec sa femme, des membres de sa famille, des amis. J’avais besoin d’accéder à son intime pour mieux le connaître. J’ai également eu la possibilité d’aller un mois en Californie pour marcher sur ses traces dans les grands parcs naturels. J’en ai profité pour visiter son musée à Martinez et pour consulter ses archives dans l’université du Pacifique de Stockton. C’était vraiment émouvant de tenir ses dessins et ses carnets de voyages authentiques – de plus de cent cinquante ans – entre mes mains. A côté de cela, j’ai collecté tellement d’images sur Internet pour être capable de représenter la faune et la flore de chaque Etat qu’il traversait. Ce travail s’appliquait aussi aux villes, aux habitations, aux véhicules, aux vêtements et cetera. C’était important pour moi de bien représenter cette Amérique de la fin du XIXème siècle.

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Tout au long de son périple, John Muir semble être incompris par ceux et celles qu’il croise. Pourtant, il est respecté et bien accueilli. Est-il une figure christique ?

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Une figure christique, je ne pense pas. Mais ce qui est sûr c’est qu’il va vivre une véritable quête spirituelle dans cette histoire. Il va même connaître un moment de grâce, de reconnexion à la nature, qui va complètement changer sa destinée et sceller son engagement à venir. J’ai l’impression que ces croyances sont, au final, assez proches de celles du chamanisme, de l’animiste, ou du taoïsme. Je pense que c’était quelqu’un de très sociable, qui aimait partager ce qu’il savait, mais sans être un donneur de leçons pour autant. Il avait aussi beaucoup d’humour et savait écouter les autres et éviter de se mettre en opposition pour ne pas créer de conflit. Toutes ces qualités faisaient de lui quelqu’un qui était apprécié par des personnes issues de toutes les classes sociales. En revanche, comme tout précurseur, il était forcément incompris à son époque. Ses contemporains ne voyaient, en général, que le côté menaçant de la nature, ou les ressources qui la composent et qui pourraient leur permettre de faire du profit. Il faut dire que les espaces vierges étaient alors immenses et qu’ils ne voyaient pas encore la nécessité de les protéger. Pourtant, si John Muir n’avait pas convaincu le président Théodore Roosevelt de créer un parc fédéral à Yosemite, il n’y aurait probablement plus un seul séquoia géant à l’heure actuelle, car les bûcherons ne connaissaient aucune limite. Aujourd’hui, certains spécimens ont 3 000 ans, et c’est un peu grâce à lui…

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La flore est-elle un personnage à part entière dans les yeux de John ?

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Je pense que John Muir ne voyait plus la nature comme quelque chose d’extérieur au final, mais plutôt comme une partie de ce que nous sommes. La maltraiter est, selon lui, aussi stupide que de se mutiler directement. Elle est vivante et nous en faisons partie, comme chaque plante, chaque animal, tout est interconnecté et interdépendant. Il aimerait que nous apprenions à l’aimer davantage, pour avoir envie ensuite de la célébrer, de la protéger comme tout ce qui est cher à notre coeur.

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Avec « Au Cœur des solitudes », avez-vous eu envie d’explorer davantage les Etats-Unis ?

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C’est un territoire tellement immense, avec une grande variété de paysages, qui pourraient me donner des envies bien sûr. Mais je ne sais pas encore où me mènera mon prochain album. Je vais déjà tâcher de trouver l’inspiration en me promenant dans des espaces naturels plus proches de chez moi, en Bretagne.

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Tous les visuels appartiennent aux Editions Sarbacanne.

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