Apprécié dans le monde entier pour ses films si singuliers et pour sa musique jeune et percutante (la K-pop), la culture coréenne est constituée d’une multitude de trésors. « Le Vieux jardin » (2000) de Sok-Yong Hwang, « Pachinko » (2017) de Min Jin Lee ou encore « Sang chaud » (2020) de Kim Un-Su sont des livres qui ont su captiver l’attention du plus grand monde.

La Corée a incontestablement un rythme, une énergie alimentée par l’histoire du pays mais également par les problématiques actuelles : la place dans la société, les relations femmes-hommes ou encore les liens avec l’intelligence artificielle.

Jean-Claude de Crescenzo, Membre de l’Institut de Recherches Asiatiques et Président de l’Association pour la Coopération France-Corée, propose une véritable réflexion sur cette littérature venue d’Orient dans « Promenades dans la littérature coréenne« .

Entretien.

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Peut-on résumer les caractéristiques de la littérature coréenne ?

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Pour résumer la littérature coréenne traduite, je conseillerai de lire d’abord une période littéraire, eu égard à l’histoire de la Corée. En dehors de la littérature et de la poésie classiques, on pourra lire des textes rédigés pendant l’occupation japonaise ou la période de la guerre, bien qu’il y ait assez peu de traductions en français.  Les gens de ma génération ont aimé la période des années 70-90, période de dictature et de modernisation de la Corée avec des textes forts, critiques, qui ont marqué à jamais l’histoire de la littérature coréenne, avec des auteurs comme Yi Cheong-jun, Yi Munyol, Choe Yun, par exemple  ; la période des années 2000, littérature de la démocratie et de l’accès à la consommation de masse, mais aussi littérature des drames de la conscience avec des auteurs comme Hwang Sok-yong, Lee Seung-u, Yi In-seong ; des années 2010 à aujourd’hui une littérature fortement marquée par la dystopie, la science-fiction, la critique sociale du pays et les angoisses modernes, avec Kim Ae-ran, Pyun Hye-young, Kim Cho-yeop… En fonction de ses goûts, de sa génération, on préférera telle ou telle période, bien que toutes proposent une vision critique assez marquée de la société. Le lecteur curieux pourra se promener sur un large spectre de textes de chaque période.

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Avec l’intérêt croissant pour le cinéma, la musique et la mode sud-coréenne, la littérature doit-elle également être à découvrir ?

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Toutes les littératures sont à découvrir pour la beauté de leurs textes, en particulier la littérature coréenne parce qu’elle est à un carrefour de son histoire. Cette littérature dominée au milieu des littératures installées de longue date dans le paysage mondial, est en train de conquérir de nouveaux lecteurs. Mais je ne crois pas qu’on découvre la littérature coréenne comme on découvre sa cuisine ou sa mode. Les publics sont segmentés et les effets de décloisonnage sont souvent minces ou inopérants. Certes, la vague Hallyu née du soft-power coréen a pour fonction de montrer la Corée du Sud sous son aspect le plus séduisant et inévitablement les secteurs de la Hallyu ont une influence plus ou moins grande sur la découverte de la littérature. Il est possible que le cinéma ou la cuisine soient de meilleurs prescripteurs que la K-pop ou la mode.  Dans la littérature comme dans le cinéma, il y a une variété de textes disponibles pour séduire tous les publics.

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Envahisseur japonais, frère ennemi de Corée du Nord, libéralisme écrasant (symbole de l’influence américaine) et technologies de surveillance. Quelle est la place de l’ennemi dans les écrits sud-coréens ?

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J’ai consacré une place importante à la figure de l’ennemi dans mon livre Promenades dans la littérature coréenne effectivement.  Des anciens ennemis japonais aux frères du Nord, la Corée du Sud a traversé une période noire, suivi par quasiment 30 années de dictature. La présence de l’ennemi se rappelle par les déclarations de la Corée du Nord, mais il convient d’analyser ces déclarations dans leur juste portée et dans leurs justes dimensions pour éviter autant les clichés que l’ambiance anxiogène. Dans la nouvelle configuration géostratégique du monde, bon nombre de pays se découvrent des ennemis inédits. Puis sont venus les ennemis métaphorisés : le climat, l’insécurité, les menaces de guerre, les addictions, le communautarisme, la consommation ultralibérale, etc. Autant d’ennemis mondialisés et dont les effets sur le pays sont bien différents des précédents ennemis. À juste titre la littérature coréenne comme toutes les autres littératures s’est saisi de ces thèmes et les portant souvent à un point d’incandescence.

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En quoi le soulèvement de Kwangju en 1980 a-t-il bouleversé le monde littéraire ?

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Les événements de Kwangju ont bouleversé la Corée du Sud d’abord et le monde ensuite. Le nombre de victimes n’est toujours pas précisément connu. Des textes ont abordé cet « événement » bien entendu, mais on ne peut pas dire qu’ils ont bouleversé la littérature. Il est cependant intéressant de noter que ces événements continuent de faire trace chez certains auteurs contemporains comme Han Kang par exemple.

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Face au père, au mari, au fils – Les femmes sont-elles de solides héroïnes dans la littérature sud-coréenne ?

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Des auteurs comme Park Wanso, Park Kyonghee, Eun Hee-kyung, Kim Ae-ran, ont donné de magnifiques portraits de femmes. La place de la femme n’en finit ni de faire couler de l’encre  ni de faire réagir une partie des hommes coréens qui trouvent qu’on en fait un peu trop pour les femmes. Les mouvements antiféministes ont repris de la vigueur depuis l’élection de l’actuel Président.  Cela dit, le mouvement est irréversible et un retour à l’état antérieur paraît impossible. Cependant, dans le face à face que vous indiquez dans votre question, la partie n’est toujours pas gagnée. Et la littérature aussi bien ancienne que nouvelle montre que le combat n’est pas encore gagné. On le voit dans tous les compartiments de la vie sociale. Je suis en train de traduire avec ma collègue Lee Youngjoo le roman Le problème humaine de Kang Gyeong-ae, auteure contemporaine de l’occupation japonaise qui dans son texte, fait une large place à la femme coréenne des années 1930. On voit combien la cause féminine est partie de loin et combien il lui reste à gagner.

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Avant le régime communiste, y’avait-il une importante littérature dans le nord de la Corée ? (un certain nombre d’écrivains ont rejoint l’Etat de Kim Il-Sung)

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Si je comprends bien votre question, je répondrais qu’il n’y a pas plus une littérature du Nord qu’une littérature du Sud, au sens géographico-idéologique puisqu’avant le régime de Kim Il-sung, la Corée était une et seule nation. Il y avait donc en Corée, autant au sud qu’au nord du pays, des écrivains dont la sensibilité politique les rapprochait plutôt de l’idéologie du Nord (la Corée du Nord n’ayant jamais été un pays communiste, contrairement à ce qu’il se dit couramment). Et effectivement, plusieurs écrivains habitant le sud sont passé au nord après la division du pays, tels Yi Taejun, Im Hwa ou encore Kim Tonghwan… Chacun d’eux a eu un destin propre, et pas toujours heureux.

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Quelle est la place de la poésie sud-coréenne ?

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La Corée a d’abord été un pays de poésie. Si le roman sous la forme que nous connaissons s’est développé plus tardivement, la poésie a pris de tous temps une place qui n’a rien à voir avec la place de la poésie française, par exemple.  En Corée, des ventes de recueils peuvent atteindre facilement 100 000 exemplaires. Une vente de 2000 ou 3000 exemplaires peut être considéré comme un quasi-échec. Plusieurs amis publient des recueils qui se vendent entre 7 000 et 15 000 exemplaires.  Ce sont de bonnes ventes mais en même temps des ventes moyennes. Il existe plusieurs prix littéraires de prestige réservés aux poètes et des manifestations de grande ampleur, des rencontres fréquentes organisées autour des maisons d’éditions, dont certaines d’entre elles, parmi les plus grandes, ont publié des centaines de recueils…

En quoi la fiction continue-t-elle de guider votre propre vie ?

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Avec l’âge on relit plus qu’on ne lit. On se concentre sur les grands auteurs, français ou étrangers. Pourtant, il y a encore certainement de belles découvertes à faire. Mais je ne lis plus que de la fiction d’auteurs qui font de la langue leur projet. Il faut que le style me transporte au minimum et dans le meilleur des cas, me survolte, sinon j’abandonne rapidement. Cependant, il y a aussi la fiction que je dois lire dans le cadre de mon travail. Ce qui fait que je ne cesse jamais de lire de la fiction même si l’essentiel de mes lectures est fait d’essais ou de livres scientifiques.

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