Photographe de l’instant, Jean-Pierre Domingue est un artiste qui capture ce qui le fait rêver. Elève de Guy Bourdin, utilisateur du polaroïd, il a en effet su saisir la beauté des mannequins depuis les années 80, les paysages les plus enivrants du monde entier (des ruines de Pompéi aux palais d’Angkor) ou encore les icônes religieuses les plus saisissantes de Sicile. Malgré les sujets incontestablement différents, le regard reste le même – les émotions aussi.

Entretien avec Jean-Pierre Domingue – photographe passionné qui multiplie les projets.

.
.
.
.

Franco-canadien, avez-vous une approche européenne ou américaine ?

.
.
.
.

Les deux, mais les premiers photographes que j’ai aimés étaient avant tout européens tels que Helmut Newton ou Guy Bourdin. Adolescent à Montréal, je lisais également beaucoup de magazines français spécialisés comme Photo. J’y ai beaucoup appris.

Alors que beaucoup veulent atteindre l’American Dream, je n’avais qu’une envie : Me rendre en Europe.

.
.
.
.

Avant 20 ans, vous entrez dans le monde de la mode. Vous devenez l’assistant de Guy Bourdin. Que retenez-vous de ces années de jeune photographe ?

.
.
.
.

C’était un rêve qui devenait réalité. Si je suis venu à Paris, c’était avant tout pour rencontrer Guy Bourdin. Cependant, à l’époque, il était difficile de se présenter sans introduction au préalable. Il n’y avait pas d’Internet ni même de fax. Pour rencontrer les célébrités, il fallait soit avoir leur numéro de téléphone soit les attendre au pied de leur immeuble. J’allais sur la place du Palais-Bourbon afin de croiser Guy Bourdin. Mais je ne l’ai jamais vu.

Au bout d’un an de vie en France, un 24 juin, ma petite amie mannequin de l’époque m’a demandé de la reconduire au studio où travaillait Guy Bourdin. J’ai profité de l’occasion. Guy a été excessivement gentil à mon égard. Il m’a posé beaucoup de questions sur mon parcours. Nous avons fini la journée en dînant au restaurant La Coupole avec toute l’équipe. Je suis devenu ainsi l’assistant de Guy Bourdin.

C’était un photographe à part. Guy n’hésitait pas à m’appeler en pleine nuit pour que je puisse amener tel ou tel polaroïd pour notre prochaine session. J’ai beaucoup appris en travaillant avec lui.

C’était une époque de grande créativité, c’est différent aujourd’hui, cependant, je ne suis pas nostalgique. De nos jours, l’approche créative est juste différente. En photo, vous apprenez sans cesse.

.
.
.
.

.
.
.
.

De 1981 à 1984, vous êtes retourné à Montréal. Pourquoi un tel choix ?

.
.
.
.

Je n’arrivais pas à trouver ma place en tant que photographe en France. Mais j’avais rencontré une jeune Parisienne à Saint-Barth ou j’étais chez des amis qui est devenue ensuite la mère de mes enfants. Entre le Canada et la France, la facture de téléphone était un peu chère j’ai donc pris l’avion pour Paris c’était plus pratique.

.
.
.
.

Pour quelles raisons avez-vous participé en tant que directeur artistique au clip du groupe Air « Once upon a time  » (2007) ?

.
.
.
.

Le réalisateur et ami Mathieu Tonetti m’a appelé à l’aide car il n’avait pas de décor et pas de réel budget. On m’a demandé de parler à l’actrice Olga Kurylenko pour qu’elle puisse participer au clip. Comme elle adorait le groupe Air, elle a accepté de venir gratuitement.

Ce fut certes une belle expérience mais je préfère la photographie. La vidéo a finalement beaucoup de contraintes.

.
.
.
.

Dans les années 80-90, vous avez connu la période des super top modèles. Vous avez photographié Laëtitia Casta, Lara Stone, Diane Kruger… Aviez-vous conscience de vivre une époque formidable ?

.
.
.
.

Non. Quand vous travaillez sans cesse dans cet univers, vous ne vous rendez pas compte de ce qui se passe à l’extérieur. Nous avions l’impression que tout ça n’était pas très sérieux. Il y avait de la légèreté. Certains mannequins faisaient en même temps des études et n’imaginaient pas devenir des stars, voire des icônes.

.
.
.

.
.
.
.

Vous étiez tout de même conscient que certains modèles avaient le potentiel de devenir des stars ?

.
.
.
.

Oui et c’était un processus très rapide, contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas forcément les plus belles femmes qui réussissent mais plutôt les plus charismatiques, il ne faut jamais se laisser impressionner ou se faire imposer. Garder le contrôle sur votre travail est très important.

.
.
.
.

Vous avez publié une série de livres-photo avec très peu de textes. Pourquoi un tel choix ?

.
.
.
.

Le texte peut noyer les photos par conséquent dès que j’ai l’occasion de publier un livre, je fais le choix de présenter mes photos en pleine page sans trop de descriptions, j’ai trop travaillé pour des magazines ou le texte et la mise en page détruisaient littéralement mes photos.

.
.
.
.

.
.
.
.

Votre studio est rue Boyer dans le 20ème arrondissement – assez loin du centre de Paris. Est-ce le lieu de travail idéal ?

.
.
.
.

J’ai toujours aimé faire des recherches photographiques personnelles mais il a toujours été délicat de demander la location d’un studio pour cela. J’ai donc pris la décision d’avoir le mien. C’est en effet un vrai luxe d’avoir son propre studio, Paris est petit, le 20e n’est pas un problème et est devenu très ‘trendy » depuis.

.
.
.
.

Vous avez photographié Sonic Youth, 30 seconds to Mars, Serge Gainsbourg,… Les stars de la musique sont-elles des modèles à part ?

.
.
.
.

J’ai toujours aimé le monde de la musique. Comme je suis voisin de La Maroquinerie, parfois, je passe prendre des photos d’artistes qui me plaisent. Avec certains comme JJ Cale, Lee Ranaldo, Jared Leto… J’ai même pu prolonger l’expérience dans mon studio. Paris est très aimé par les artistes internationaux, et il y a beaucoup de passages.

Serge Gainsbourg est un exemple à part. Je l’ai rencontré durant ma première année à Paris. Je devais réaliser une série de photos pour le magazine Jardin des modes. J’avais 18 ans, je ne savais pas du tout qui il était.

Le rendez-vous avec Gainsbourg était dans un petit studio rue Amelot à Paris. La séance devait commencer à 9 heures du matin mais Serge est finalement arrivé à 14H. Je ne connaissais pas le personnage, par conséquent, je commençais à bouillir. Je me souviens encore voir Gainsbourg, ivre, traverser la rue et être à deux doigts d’être renversé par une voiture. Dans le studio, il ne tenait pas debout donc nous avons dû attendre encore une heure pour commencer à faire la session de photos. Gainsbourg a bu du café et de l’eau et nous avons finalement réussi à nous détendre.

J’ai ensuite envoyé les bobines à Jardin des modes mais comme je suis reparti au Canada 2 jours plus tard et ce pour plusieurs années, je n’ai jamais pu récupérer les photos car le magazine avait entretemps fermé.

.
.
.
.

Depuis 2013, vous photographiez les merveilles du monde (la baie d’Ha Long, les temples d’Angkor, Pompéi, les idoles religieuses,…). Vous aimez le côté mystique de l’image ?

.
.
.
.

J’aime ce qui fait rêver. Avec « Church Idols » (2019), j’ai visité toutes les églises de Palerme. Mes arrière grands-parents étaient Siciliens. Je suis persuadé d’avoir visité un lieu saint qu’ils avaient l’habitude de fréquenter. Certains quartiers de Palerme sont misérables et pourtant les églises sont extrêmement bien soignées.

Tous ces livres ont été réalisés par envie. J’ai réalisé les mises en page, les textes,… Tous les exemplaires de mes 6 livres ont été vendus rapidement – notamment pendant les confinements.

.
.
.
.

.
.
.
.

Y’a-t-il encore dans le monde des lieux splendides à explorer ?

.
.
.
.

Oui Même au Canada, il y a encore des lieux magiques à découvrir. Après la publication de mes 6 livres, j’ai le projet d’en éditer 8 autres qui sont tous terminés J’aime l’idée de proposer des œuvres-objets au petit format.

.
.
.
.

Où allez-vous prochainement ?

.
.
.
.

J’ai plusieurs choix. Je souhaite réaliser une nouvelle exposition avec des tirages. Les photos seront en noir & blanc, en couleurs, de tous les formats, de tous les sujets… Je veux qu’elles envahissent les murs. Les prix ne seront pas non plus élevés. Je veux que tous les publics puissent en profiter.

Concernant les voyages, j’aimerais retourner au Japon notamment à Kyoto. J’espère également me rendre en Inde ou sur l’Île de Pâques. Je voudrais réaliser un livre en noir & blanc sur Londres. J’ai vraiment besoin de faire à nouveau des photos sur le terrain.

Avec le mouvement Metoo, la vision des femmes a changé. Le mode de fonctionnement du photographe également. Il y a beaucoup de peur et d’auto-censure. En ce qui me concerne, je n’ai jamais été critiqué et toujours été respectueux et professionnel. J’aime essayer de réaliser de belles images, c’est tout.

J’ai à présent envie d’explorer une nouvelle façon de prendre en photo les femmes. Je veux vivre avec mon époque.

.
.
.
.

.
Toutes les photographies appartiennent à ©Jean-Pierre Domingue.

PARTAGER