« Permettez-moi de regarder dans vos yeux. Les yeux d’un homme, c’est un miroir, des lunettes magiques » écrivait Herman Melville dans son chef d’œuvre « Moby Dick » (1851). Livre phare du romantisme américaine, ce récit de vengeance-obsession envers une créature gigantesque, un cachalot albinos, a passionné les lecteurs depuis deux siècles. Qu’importe les risques matériels et humains, le capitaine Achab ne jure qu’une seule et unique chose : La mort de Moby Dick, ce montre blanc qui a emporté sa jambe.

Avec son adaptation bande dessinée publiée en 2014 aux éditions Glénat, Christophe Chabouté nous fait naviguer sur des mers tourmentées et accoster des rivages inhospitaliers. Tout au long des 2 tomes, l’ombre de Moby Dick plane au-dessous du navire le Pequod…

Entretien avec Christophe Chabouté, artiste encerclé par l’océan.
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L’adaptation de « Moby Dick » a été un long processus. Quel fut le déclic ? Quel a été le moment où vous avez commencé à dessiner ?

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Je me retrouvais dans le personnage du capitaine Achab. J’aimais son côté jusqu’au-boutiste. Le métier de dessinateur est un travail de longue haleine. Vous vous fixez un objectif et par conséquent il faut être tenace. Dans sa quête de vengeance, Achab est proche de la folie.

Dès la lecture de livre de Melville, j’ai eu des idées d’adaptation et d’illustration. J’ai fait abstraction de possibles et autres inspirations telles que dans le film de 1956 avec Gregory Peck.  J’avais déjà travaillé sur des récits maritimes comme « Terre-Neuvas » (2009).  Vivant sur l’île d’Oléron, l’univers de l’océan m’était également familier. J’ai commencé à dessiner le capitaine Achab sous forme de crobards.

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Le capitaine Achab est un être fanatique et méprisable. Et pourtant vous comprenez son entêtement, vous vous identifiez à lui. Est-ce aussi une particularité de votre adaptation ?

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La facilité aurait été d’être manichéen. Achab est certes un sale type mais j’ai voulu le comprendre. Je voulais creuser en profondeur le personnage. Il va jusqu’à entraîner tout son équipage dans la folie et la mort. Je l’imagine comme quelqu’un avec une certaine bonté avant sa rencontre avec Moby Dick.

Je n’ai jamais aimé les héros lisses. J’ai toujours montré des personnages avec des failles. Achab est profondément humain.

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Est-ce que ce fut délicat de se détacher de l’écrit d’Herman Melville ?

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D’emblée, j’ai dû faire des tris. J’ai mis de côté les aspects techniques maritimes. L’intérêt de la bande dessinée c’est que vous pouvez résumer des dizaines de pages du roman en une seule planche. Vous pouvez également en réaliser 5 afin de décrire un court passage. L’image peut montrer et révéler une quantité d’aspects.

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D’origine alsacienne, vous vivez à présent sur l’île d’Oléron. La mer peut-elle être un monstre fascinant ?

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Après 40 ans de vie en Alsace, j’ai en effet décidé de m’installer sur une île. J’ai été à la fois fasciné et effrayé par cette immense étendue d’eau qu’est l’océan. Ayant le mal de mer très rapidement, je navigue peu. Je pratique tout de même le surf – même si je dois l’avouer, avec les quelques vagues qui me bercent, je peux tomber malade… La mer est fascinante et il faut rester humble devant un tel environnement.

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La scène des requins est-elle une façon de montrer que l’hostilité est omniprésente ?

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J’ai surtout voulu montrer l’aspect injuste de la pêche à la baleine. L’équipage se donne du mal à capturer un cétacé et les requins viennent en partie dévorer l’animal. Ce passage rappelle « Le Vieil homme et la mer » (1952) d’Ernest Hemingway. Le pauvre pêcheur lutte pendant des heures contre l’espadon et au moment il veut rentrer au port, les requins mangent sa prise. On ne peut pas  faire grand-chose face à la nature.

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Les visages sont bruts et variés. Quelles furent vos inspirations ?

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C’est comme un casting. Lorsque je commence à travailler sur un nouvel album, je regarde mon entourage. J’aime observer et assembler les aspects d’un visage. Certaines faces parfois cabossées par la vie, certaines démarches racontent des histoires. En bande dessinée, un visage doit raconter très vite quelque chose.   

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Vous donnez une part importante à l’écriture faisant écho au roman de Melville. La typographie devait-elle dès le début être soignée ?

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Je voulais appuyer l’aspect maritime et le côté journal de bord. L’écrit dit ce que le dessin ne peut raconter.

Dans une adaptation, vous devez servir le texte et non le nuire. Je n’impose jamais rien au lecteur. Le texte permet de laisser la place à l’imagination.

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Le Pequod est-il un personnage à part entière ?

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Oui. Je le dessine pour symboliser l’ensemble de l’équipage. L’océan ou Moby Dick sont également des personnages à part entière.

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Vous avez fait le choix du noir & blanc pour « Moby Dick » (comme pour vos précédents albums « La Bête » ou « Sorcières »). C’est un XIXème siècle sombre que vous dessinez mais le blanc est pourtant omniprésent. Est-ce une façon de faire planer la menace du cachalot blanc ?

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C’est possible car lorsque j’ai adapté le roman de Jack London « Construire un feu » (1902), j’avais beaucoup travaillé sur la couleur blanche. La neige devait faire peur. C’était un contraste avec des ouvrages de polar précédentes. Il est possible que le blanc de « Moby Dick » soit un écho.

J’aimais également imaginer le cachalot comme un fantôme. Dans le livre de Melville, il n’apparaît que tardivement. Si j’avais pu je n’aurais pas voulu vraiment montrer Moby Dick.

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Montrer Moby Dick a donc été une difficulté ?

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Imaginer fait davantage peur que de montrer. J’ai dessiné des plans très serrés. L’animal est si immense qu’on ne peut le voir dans sa globalité.

J’ai dû finalement le montrer dans son ensemble car Melville le décrit ainsi.

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Les livres sont sortis il y a 10 ans. Quel regard portez-vous sur cette adaptation ?

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Je ne relis jamais mes livres. Je vais toujours de l’avant. Sur le plan technique, je ferais sûrement les choses différemment. Même le fait de répondre à vos questions peut s’avérer compliqué pour moi. Je suis très heureux d’avoir réalisé « Moby Dick » mais il est à présent derrière moi.

En terminant les deux livres « Moby Dick », j’ai frisé le burn out. Il faut additionner cela à 20 ans de travail. Les dessinateurs doivent être très productifs. Après « Moby Dick », il a même été nécessaire que je ne sors pas de grand livre pendant un an. Ce fut une première pour moi. J’ai juste réalisé un art book. 

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