« Rien n’est plus vivant qu’un souvenir » écrivait le génial Federico Garcia Lorca. Poète, dramaturge, peintre, compositeur,… l’Andalou a eu soif de vie et de culture. Proche de Salvador Dali, de Luis Buñuel ou encore Emilia Llanos Medina, membre de plusieurs mouvements iconoclastes, Lorca participe au bouillonnement artistique de l’Espagne avant la guerre civile. Alors que d’autres de ses camarades choisissent de vivre à Paris, Federico choisit New York. Son retour en Espagne sera son âge d’or mais aussi sa chute. Antifasciste, Lorca sera une des premières victimes des fascistes. Il est fusillé le 19 août 1936 et ses œuvres seront interdites puis censurées par le régime de Franco.

De nos jours, Federico est une gloire artistique de l’Espagne. Le poète martyr est étudié et vénéré. La bande dessinée ne pouvait que participer à ces hommages. Jeune artiste de Murcie, Ilu Ros a réalisé une œuvre à la fois bouleversante et magnifique – « Federico« . La bande dessinée montre à la fois la vie de Lorca mais aussi ses joies et ses tourments. Il s’agit d’un voyage entre le paradis et l’enfer.

Entretien avec la dessinatrice Ilu Ros.

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Comment avez-vous découvert les écrits de Federico Garcia Lorca ? Durant votre jeunesse ?

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Je viens de Murcie, une ville proche de l’Andalousie. Dans le programme éducatif espagnol, l’œuvre de Federico García Lorca est étudiée. Par conséquent, je l’ai connu dès l’école. Mais mon premier souvenir en lien à Garcia Lorcia est celui du théâtre de ma ville. Lorsque j’étais petite, j’ai pu assister à l’une de ses tragédies.

Plus tard, j’ai étudié ses écrits pendant quelques années à l’Université de Grenade. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai fini par me rapprocher du poète Federico Garcia Lorca.

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Votre livre est-il un lien intime avec Federico ?

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Absolument. Ce fut un livre compliqué à écrire, en raison du poids de la documentation, en raison de la figure importante que Lorca représente pour la culture espagnole et internationale et du défi que cela m’a posé de faire face à tout cela…

Mais finalement, entrer dans l’univers Lorca, si poétique et si riche en métaphores, est un véritable plaisir pour un illustrateur.

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Dès le début du projet, souhaitiez-vous que l’écrit (textes, lettres,…) soit aussi important que le dessin ?

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Oui, ce fut clair dès le début. Il m’a semblé que pour parler d’un poète et d’un dramaturge, il fallait aussi mettre en valeur le mot, notamment ses propres textes ; des fragments de son œuvre, la correspondance qu’il entretenait avec sa famille et ses amis, ainsi que leurs témoignages.

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Crayons de couleur, encre et mine de plomb,… « Federico » devait-il être une œuvre plastique totale ?

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Les matériaux sont les mêmes que ceux utilisés dans mes livres précédents. En général, je préfère travailler sur papier, même si je ne m’interdis pas de le faire numériquement lorsque je le juge nécessaire. Cependant, je me sens beaucoup plus à l’aise avec mes matériaux habituels et en sentant le contact du graphite sur le papier, je pense que le travail est meilleur, même si, peut-être, ce n’est que mon ressenti.

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Les mains sont omniprésentes dans « Federico » tout comme les figures petites. Y’a-t-il un lien avec les marionnettes, personnages que Garcia Lorca adorait ?

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Les mains sont quelque chose auquel je prête généralement beaucoup d’attention chez les gens que je rencontre. Elles contiennent beaucoup d’expressivité.

Dans « Federico », lorsque les mains de Lorca apparaissent au premier plan, généralement des fourmis les parcourent ou sortent d’un trou. Il s’agit une allusion au film « Un chien andalou » (1929) de Salvador Dalí et Luis Buñuel. Federico sentait que le protagoniste de ce film était inspiré directement de lui et cela l’avait mis à l’aise. C’est pourquoi dans le livre, lorsqu’il se sent blessé, il revoit les fourmis.

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Salvador Dali, ami et amour de Federico, a-t-il une place à part dans votre livre ?

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Oui, Dalí était quelqu’un qui a beaucoup compté dans la vie de Lorca. L’influence de l’un sur l’œuvre de l’autre était réciproque et, de plus, Federico tomba follement amoureux de Salvador. Dans le livre se trouve un fragment d’une lettre que Federico a écrite à Dalí, après avoir passé quelques semaines à Cadaqués avec le peintre. Elle est absolument surréaliste et magnifique.

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Quelle était la principale difficulté dans la recherche historique ?

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On a beaucoup écrit sur la vie et l’œuvre de Lorca. C’était naturellement une chose très positive pour moi, mais cela m’a aussi causé une certaine anxiété car il était impossible de tout couvrir. Je m’interrogeais sans arrêt sur ce que je pouvais apporter à cette histoire.

Il a été difficile de prendre la décision d’arrêter les recherches et de commencer à écrire le scénario. Cela me donnait le vertige. Une autre épreuve fut de laisser de côté certains passages de la vie de Lorca qui ne rentraient pas dans le livre. J’ai tout aimé. J’étais littéralement enivré par le personnage.

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Y’a-t-il des moments difficiles à illustrer ?

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L’exécution de Federico. Cela m’a mis en colère de penser que s’il y a quelque chose que nous savons tous sur García Lorca, c’est comment les fascistes l’avait tué. Je trouve cet épisode très triste et il s’agit un chapitre honteux de l’histoire de mon pays [l’Espagne].

J’ai pris la décision de commencer par la mort de Federico, puis de laisser le lecteur, et moi-même, profiter de la vie de la personne brillante qu’était Lorca.

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Que symbolise la partie totalement en noir et blanc ?

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Le livre a une structure qui rappelle celle d’une pièce de théâtre : il est divisé en actes. Le troisième acte commence lorsque Federico García Lorca revient à Grenade, sa ville d’origine. Il est en quête de protection parce qu’un coup d’État vient de se produire contre la IIe République- le 17-18 juillet 1936.

À partir de ce moment commence pour le poète un compte à rebours qui mettra fin à sa vie un mois plus tard, avec son exécution pendant la guerre civile espagnole. Ce moment est illustré uniquement à l’encre et au graphite.

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Quel est votre poème préféré de Federico ?

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Je ne peux pas choisir un seul poème, mais si je devais choisir un recueil de poèmes, je pense que ce serait « Poète à New York ». Federico l’a écrit en 1929-1930 mais il fut uniquement après sa mort en 1940.

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© Jan DRIX
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