« Bear » (1974), « Mrs Weber’s Diary » (1979), « Fred » (1987), « Gemma Bovery’ (1999), « Tamara Drewe » (2007)… Histoires et univers bien différents et pourtant ils proviennent de l’esprit (génial) de Posy Simmonds, ancienne dessinatrice des célèbres journaux britanniques The Sun et The Guardian.
Francophile et francophone, l’artiste anglaise présente actuellement ses œuvres et sa vie(!) à la BPI (Bibliothèque Publique d’Information) de Paris dans une magnifique exposition « Dessiner la Littérature » jusqu’au 1er avril 2024. C’est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir ses livres comme le récent « Cassandra Darke » (2018).
Entretien avec Paul Gravett, commissaire de l’exposition, et Posy Simmonds, grande dessinatrice et écrivaine.
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Vous voyez-vous comme une écrivaine britannique ?
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Posy Simmonds : Ce sont les Français qui me disent que j’ai un sens de l’humour britannique. Mais finalement qu’est-ce que c’est ? J’en ai tiré la conclusion qu’il s’agissait avant tout d’ironie. Les Britanniques aiment juste le fait de ne pas se prendre au sérieux.
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Vous avez étudié à La Sorbonne dans les années 60. Sentiez-vous que la France allait commencer une nouvelle révolution ou le pays était encore trop sage, trop conservateur ?
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Posy Simmonds : La guerre d’Algérie n’était toujours pas terminée et la France connaissait un grand nombre de grèves. Je me souviens avoir vu les commissariats barricadés. Mon mari était venu à Paris peu avant moi et m’avait parlé de cadavres flottant dans la Seine. Il s’agissait du massacre des Algériens du 17 octobre 1961. La police avait tiré sur les manifestants. Il y avait en effet un sentiment de révolte.
Je me souviens d’une ambiance assez miteuse. Comme le Londres d’après-guerre, les rues étaient sales. L’hiver 1963 avait été également très froid à Paris. J’avais l’habitude de visiter les galeries d’art comme le jeu de Paume pour me réchauffer ou dans les cinémas.
En tant que jeune femme de la campagne anglaise, Paris était pour moi exotique. J’ai pu enfin apprécier du vrai café. De plus, la nourriture était merveilleuse.
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Paul – Qu’est-ce qui est le plus fascinant chez Posy selon vous ?
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Paul Gravett : J’apprends toujours quelque chose de nouveau à propos de Posy. Sa vie est tellement riche et sa créativité est sans limites. Lorsque Posy dit qu’elle aime autant écrire que dessiner – cela explique beaucoup de choses. Ce n’est pas toujours le cas chez les artistes. Posy est à la fois une grande écrivaine et une grande dessinatrice.
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Quelle est la part des animaux dans vos œuvres ?
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Posy Simmonds : J’ai grandi à la campagne. Par conséquent, j’ai toujours vécu avec des chiens, des cochons, des chats, des poules,… Avec un de mes frères, chaque matin, nous allions traire les vaches.
J’aime représenter les animaux comme de vrais personnages. J’ai par exemple beaucoup aimé représenter les renards dans « Lavender » (2003). Il y en a partout dans les rues de Londres. Comme ils mangent dans les poubelles de la junk food, ils sont devenus gras. J’aime l’idée que les renards ont fini par penser que manger des lapins ou des poules était devenu dégoutant.
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Pourquoi dépeignez-vous la campagne comme un lieu de danger ?
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Posy Simmonds : C’est un environnement dangereux surtout pour les animaux. Enfant, j’ai notamment le souvenir d’accidents de voitures avec des vaches. Face aux phares, les bêtes sont restés comme paralysées face à la mort qui s’abattait sur elles. Par conséquent, j’ai toujours perçu la campagne comme un lieu où le danger peut surgir à tout moment.
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Avez-vous de la pitié pour vos personnages tels que Tamara, Gemma ou Cassandra ?
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Posy Simmonds : Oui. Pour Gemma en particulier. Au fil de l’écriture, le personnage a changé. J’avais prévu que Gemma mette fin à ses jours. Mais j’ai fini par l’apprécier et j’ai compris qu’au fil de l’histoire elle était devenue plus forte. Par conséquent, même si Gemma meurt, j’ai éliminé l’idée du suicide.
Pour Cassandra Darke, le personnage est au départ totalement antipathique. C’est au fil de l’histoire que l’on a de la sympathie pour elle.
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Quel est le rôle des hommes ? Sont-ils finalement de mauvaises personnes ?
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Posy Simmonds : Ils sont tout simplement humains. Les hommes sont certes douteux mais peuvent tout de même tombés amoureux et en souffrir. Dans « Tamara Drewe », le personnage d’Andy est un bel exemple. C’est un fier paysan mais il a toujours été amoureux de Tamara et en souffre.
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Vous avez une forte connexion avec Gemma Arterton, actrice qui a joué dans les deux adaptations « Tamara Drewe » (2010) et « Gemma Bovery » (2014) ?
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Posy Simmonds : Stephen Frears, le réalisateur de l’adaptation cinématographique « Tamara Drewe » la voulait absolument dans le rôle-titre. Pour le film « Gemma Bovery », je pense que la réalisatrice Anne Fontaine l’avait aimé et avait décidé à son tour de l’engager. De plus, elle porte le même prénom que le rôle principal.
Gemma est une très bonne actrice.
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Lorsque vous commencez un nouveau livre, vous dites que vous réalisez un « casting » en dessinant les premières esquisses de vos personnages. Qu’est-ce qui vous inspire ?
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Posy Simmonds : Ce ne sont pas des personnes en particulier. Je vais m’inspirer d’une coupe de cheveux ou d’une paire de chaussures. C’est souvent très précis.
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Paul – Pensez-vous qu’il y a une évolution dans le travail de Posy ? Est-ce plus sombre ?
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Paul Gravett : Il y a toujours eu un côté sombre. La mort est omniprésente dans les œuvres de Posy et dès les premières pages. A titre d’exemple, je rappelle que « La Fabuleuse histoire secrète de Fred » (1980) est l’histoire d’un chat qui vient de mourir. Gemma Bovery est également morte dès le début de l’histoire.
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Vous appréciez le fait de montrer votre travail en France ?
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Posy Simmonds : En France, il y a un regard particulier sur la bande dessinée. Parfois, j’ai entendu que mes livres étaient hybrides. Plus un roman graphique qu’une bande dessinée. Les Britanniques lisent moins de BD que les Français.
Paul Gravett : Le format du roman graphique est je pense plus accessible car il y a à la fois du texte et de l’image. L’un est indépendant de l’autre. Il n’y a pas que des bulles dans les livres de Posy. C’est plus littéraire. Cela attire de nouveaux lecteurs que les habitués de la bande dessinée. Posy a de plus un format unique qui rappelle la presse écrite.
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« Gemma Bovery » se passe en France. Est-ce que les Britanniques vous perçoivent comme l’autrice la plus française ?
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Posy Simmonds : (rires) Même si je me sens très bien quand je viens en France, je ne peux pas prétendre être chose que Britannique.
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