Publié en 1832, au même moment que « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo, « Indiana » est le premier roman écrite seule par Amantine Dupin de Francueil (et pour la première fois sous le pseudonyme masculin de George Sand).

Récit d’une jeune femme tourmentée par l’amour et à la recherche de plus de libertés, « Indiana » se déroule en France et connaît son dénouement sur l’Ile Bourbon (l’actuelle Ile de la Réunion).

Malgré le succès public, le premier véritable roman de George Sand a peu à peu été oublié. Jusqu’à aujourd’hui! Après le bel « Adieu Kharkov » et la surprenante « Princesse de Clèves », les dessinatrices Claire Bouilhac et Catel s’associent à nouveau afin d’adapter en bande dessinée « Indiana ». Récit violent mais également tendre d’une héroïne qui finalement (de près ou de loin) nous ressemble.

Entretien avec Claire Bouilhac.

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Après « La Princesse de Clèves », vous adaptez à nouveau un roman classique écrit par une femme. Etait-ce cette fois-ci une façon de mettre en lumière un livre qui, certes, a connu le succès au XIXème siècle mais qui a peu à peu été oublié ?

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Alors que nous achevions l’adaptation de « La Princesse de Clèves » (1678), Catel et moi-même avions envie de continuer à travailler ensemble. Le projet est devenu plus grand. Nous voulions réaliser une sorte de collection bande dessinée qui ferait à chaque fois le lien entre l’écrivaine et son héroïne. Contrairement à « La Princesse de Clèves » qui était l’œuvre-idée de départ, nous avons pris la décision d’adapter avant tout une romancière. George Sand était en haut de la liste. C’est une écrivaine souvent plus connue pour sa réputation de femme émancipée, voire sulfureuse, que lue.

Il fallait à présent choisir le bon roman. On pense tout de suite à « La Mare au Diable » ou encore « La Petite Fadette » mais ses romans dits champêtres n’étaient pas ceux qui nous intéressaient le plus. Ayant lu un certain nombre de ses livres, j’ai pensé à « Indiana » (1832). Je l’avais lu des années auparavant et il me semblait le bon choix. Après lecture, Catel m’a soutenue. J’ignorais cependant à quel point il avait été un succès à l’époque et de plus, qu’il s’agissait du premier livre de George Sand écrit seule et sous son pseudonyme. « Notre Dame de Paris » de Victor Hugo, publié la même année, a eu moins de succès que « Indiana », et pourtant aujourd’hui il l’a éclipsé. Gustave Flaubert quant à lui utilise les mêmes ressorts pour « Madame Bovary » (1857), dont on connaît la postérité.

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Vous vous êtes occupée de l’adaptation tandis que Catel s’est occupée du prologue et de la conclusion en faisant apparaître George Sand. Etait-ce le plan initial ?

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Dès le départ, l’adaptation tout comme le prologue et la conclusion ont été scénarisés par Catel et moi. J’ai ensuite dessiné l’adaptation. Etant très occupée par ses « biographiques » avec José-Louis Bocquet, Catel ne pouvait pas s’impliquer plus dans la partie dessin de ce projet. Par conséquent, tout comme pour « La Princesse de Clèves », elle a dessiné le prologue et la conclusion.     

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Avez-vous eu l’intention de dessiner Indiana sous les traits de George Sand ?

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Non, car même si Indiana est sûrement très proche d’elle, je ne reconnaissais pas George Sand dans les descriptions du roman. De plus, l’écrivaine étant le personnage principal du prologue et de l’épilogue, il fallait s’en détacher.

Avec Catel, nous aimons imaginer un casting lorsque nous commençons un projet, et pour « Indiana » nous avons choisi Isabelle Adjani pour jouer l’héroïne. Nous imaginions ce personnage un peu dingue à force d’être passionné (rires).  Puis au fil du dessin et de la narration le personnage se met à vivre et à exister presque par lui-même. Peut-être parce que j’ai travaillé dans le dessin animé, j’aime dessiner des expressions ou des gestes parfois exagérés. Même dans la série Francis le Blaireau on retrouve cela.

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« Indiana » est également un livre qui dénonce l’esclavagisme et la peine de mort et prône la pensée rousseauiste (retour de la nature). Le livre est-il un écho à votre propre pensée ?

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Evidemment, nous choisissons des livres qui nous parlent. Notre idée d’adapter des romans avec des héroïnes écrits par des femmes est déjà un choix féministe. Si parfois les sujets abordés peuvent nous déranger, nous cherchons un angle, et nous devons être d’accord sur la façon d’aborder le récit. L’époque, la contextualisation, éclairent généralement les points qui peuvent nous gêner. Mais nous n’adapterions pas n’importe quel livre.

Avec Catel, nous travaillons sur notre projet suivant, l’adaptation d’un roman de Colette – « Gigi » (1944).

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« Indiana » comporte des éléments de la vie de George Sand. Y’a-t-il également une part de vous dans cette adaptation ? Vous avez notamment dessiné votre fils dans cette histoire.

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J’avais dessiné le Prince de Nemours dans « La Princesse de Clèves » sous les traits de mon fils aîné. C’était au tour de mon cadet… Lorsque vous travaillez pendant 2 ou 3 ans sur un projet, il est évident que vous allez intégrer une part de vous dans l’histoire. J’ai tâché de faire vivre Indiana avec l’image que nous en avions Catel et moi, et aussi comme je fais vivre les personnages que je dessine. On met toujours un peu de soi dans ce qu’on fait.

Dans « Adieu Kharkov » (2015), même si le personnage de la mère de Mylène Demongeot est difficile, et même un vrai chameau par moments, j’ai fini par m’y attacher.   

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Le colonel Delmare et Raymon sont des personnages antipathiques. Les avez-vous voulus comme de vrais antagonistes ? Tous les hommes dans « Indiana » sont pourtant beaux à l’exception des marins.

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Ce serait un peu naïf de faire correspondre le physique au caractère, et un peu simpliste sans doute de faire des bons ou des méchants sans nuances.

Raymon, dans le roman, est un séducteur. Il ne pouvait pas être laid. Il est rapidement antipathique dans l’histoire. Mais pour qu’il plaise toujours à Indiana, et qu’on ne le déteste pas dès le début à la lecture, il fallait qu’il conserve un aspect positif et que nous, autrices, ne laissions pas trop tôt transparaitre les faiblesses du personnage. Raymon est certainement plus faible, égoïste et pusillanime que cruel. Le colonel quant à lui n’est pas totalement noir. C’est un ami cher de Ralph, il a de bons côtés, comme tout le monde. Ces personnages m’ont accompagnée pendant des mois, encore une fois, je me suis attachée à eux.

Concernant les marins, ils sont secondaires et uniquement méchants dans leurs interventions. Je ne sais pas s’ils sont laids mais leurs physiques peuvent répondre à l’impression qu’ils font sur l’héroïne, et à la dureté de leur vie.

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La fin du roman n’est pas montrée dans la bande dessinée mais seulement racontée.

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Avec Catel, nous avons fait ce choix. La fin nous paraissait trop forcée pour être dessinée à la suite. D’ailleurs dans le livre, c’est une conclusion qui semble avoir été ajoutée, c’est un peu étrange. George Sand avait probablement choisi ce dénouement comme pied de nez à l’idée du romantisme littéraire. Le roman étant déjà noir, il lui fallait une fin plus optimiste. Dans l’épilogue, George Sand explique en substance que la vie est déjà assez difficile, pour ne pas lire des histoires qui finissent mal.

Il s’agit d’une fin qui peut être perçue comme raisonnable. Raymon n’est pas l’amour de la vie d’Indiana, tandis que Ralph représente plus de stabilité. Cela interroge la place de l’amour dans la passion et dans la raison.

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« Indiana » est-il un livre qui s’adresse avant tout aux femmes ?

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Non, pourquoi ?
Pour ma part je ne pense jamais de cette façon. Je n’imagine pas m’adresser à une partie de la population plutôt qu’à une autre en fonction de son genre.
Lorsque George Sand a écrit ce roman, elle pouvait souhaiter dire aux femmes qu’elles disposent de droits et qu’elles méritent plus de libertés, je ne sais pas. Elle-même avait connu un mariage malheureux avec Casimir Dudevant et subi les injustices liées à son sexe. Le fait que « Indiana » ait été interdit dans des pensionnats de jeunes filles montre assez que le message était clair. Mais cela n’empêche absolument pas de s’adresser à tout le monde.

Elle avait un réel besoin d’écrire comme moi-même je pense sans cesse à dessiner.

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