Pourquoi la plupart des patients pris en charge dans des dispositifs de soin par la parole guérissent-ils de leurs maux, alors que la plupart de ces dispositifs pratiquent des types de soins qui semblent très éloignés les uns des autres ? Dans quelle mesure la psychothérapie est-elle un moyen « rationnel » d’aider à guérir ? Quel est le pouvoir de la parole dans le processus de guérison ?
Autant de questions auxquelles que le nouveau livre d’Alain Blanchet « Quand dire c’est guérir – les fonctions pragmatiques du langage en psychothérapie » tente de répondre en faisant un véritable état des lieux des pratiques et en étudiant leurs supports communicatifs, leurs cadres d’expérience, les types d’engagement demandés aux patients et les modes d’intervention des thérapeutes.

Entretien avec Alain Blanchet, Professeur émérite de psychologie clinique et psychopathologie a l’Université. Paris 8-Saint-Denis.

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Le langage est multiple (la parole, le geste, l’expression telle qu’une mimique, le silence). Est-il par conséquent toujours présent ?

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Dans cet ouvrage, nous nous intéressons au « dire » comme effet de l’acte de langage. Cet effet sur autrui est du même ordre que celui qui est produit par nos attitudes, notre corps, nos comportements, et nos silences. Tout être vivant possède cette propriété (même les arbres ou les protistes comme les paramécies).

Le silence de l’interlocuteur est également un dire (Grégory Batson disait « On ne peut pas ne pas communiquer). L’approche pragmatique en psychologie est fondée sur le principe que le sens d’une communication relève de l’interprétation de l’allocutaire plutôt que de l’intention du locuteur. À vrai dire, des deux, mais comme effet d’une transaction d’arrière-plan donc implicite et non révélée aux interlocuteurs.

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La majorité des entretiens professionnels doit-elle être repensée ?

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Au milieu des années 1980, mon directeur de labo, spécialiste de psychologie sociale, disait (non sans humour) que la meilleure des solutions pour recruter, c’était de prendre la vingtaine de dossiers à évaluer et de les jeter du haut d’un escalier, pour ne garder que ceux qui étaient arrivés à la dernière marche en bas. Les entretiens de recrutement dont l’objectif majeur est d’être prédictifs poursuivent un but improbable voire impossible. Nul de peut connaître ‘l’avenir.

Les entretiens de recrutement sont des interactions (une forme de jeu) modalisées par les intérêts divergents des interlocuteurs. Le recruteur recherche l’adéquation entre le profil du poste et le profil du candidat lorsque ce dernier interprète la demande implicite du recruteur pour s’y ajuster. Ainsi, le candidat doit se présenter sous son meilleur jour tandis que le recruteur, lui, doit deviner si la personne en face de lui est le bon candidat au poste. Les outils fréquemment utilisé (par exemple, tests de personnalité), ont une pertinence et validité très limitées mais donnent un verni de rationalité au recruteur qui doit rassurer l’employeur soucieux de l’enjeu social et économique de tout recrutement.

La question se pose d’une façon beaucoup plus cruciale dans le cas des enquêtes judiciaires qui confrontent des interlocuteurs dont les intérêts peuvent être très éloignés voire contradictoires. Avec trois autres collègues, professeurs des universités en psychologie, nous avons été amené à évaluer une formation à une technique nouvelle d’audition dans les gardes à vue. Il s’agit souvent dans cette situation, pour les enquêteurs, d’obtenir des informations fiables d’une personne qui ne souhaite pas nécessairement les donner. Le modèle de l’entretien structuré de recherche voire de l’entretien clinique a été utilisé pour élaborer ces nouvelles techniques. Par ce moyen, non intrusif, de type conversationnel, un certain climat de confiance est établi et la recherche de la vérité porte davantage sur celle de la personne que sur sa version de l’acte pour lequel ce suspect est entendu. L’objectif de la garde à vue est alors de découvrir la vérité comme « soulagement » d’une culpabilité et non pas comme aveu et d’éviter ainsi aux innocents d’être sanctionnés à tord. Ce mode de conduite des entretiens demande une formation spécifique très approfondie.

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Au-delà de dire (une relation à l’autre), est-ce le fait d’être écouté qui permet de soulager sa conscience ?

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Personne n’a intérêt à tout dire. La transparence c’est finalement l’inexistence. La personne concernée doit, avant tout, s’écouter elle -même. Pour cela, il faut avoir la capacité de se décentrer de ses propres problèmes. La mindfulness peut aider à cela. Le psychologue Pierre Janet, disciple de Jean-Martin Charcot, parlait de distraction attentionnelle pour qualifier l’hypnose.

Nous sommes certes libres de nous raconter à autrui et l’écoute est fondamentale. Quelque chose de moi va alors vivre dans la pensée de l’autre. Cependant, l’écoute ne suffit pas. Il faut également des modes d’intervention (des relances) qui sont susceptibles d’être endossées par l’interlocuteur comme autant de questions qu’il se pose lui-même.

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Au fil d’une interview, est-ce finalement l’interviewer qui s’adapte à celui qu’il interroge (celui qui sait, qui a vécu) ?

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S’il s’agit d’une enquête, dans l’entretien de recherche, le but est de connaître les pratiques et les représentations de l’interviewé, ce dernier est donc amené indirectement à inscrire son récit dans les thématiques visées par l’intervieweur. Dans le cas d’une psychothérapie, nous avons montré dans une recherche portant sur la structure thématique des discours des patients et de leur thérapeute qu’au terme d’une dizaine de séances, les discours des patients s’ajustaient au discours de leur thérapeute qui eux ne modifiait que très peu les références de leurs interventions (famille, cognitions, affects, etc.).

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L’hypnose a-t-elle pour but de faire dire l’inavouable ?

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En un sens oui. L’hypnose est à l’origine des psychothérapies actuelles. L’hypnose est fondé sur un accord tacite entre le soignant et le patient. L’abbé Faria au début du 19° siècle qualifiait les hypnotiseurs du terme de « concentrateurs ». Ces derniers amènent les patients à distraire intensément leur attention sur des objets précis et ainsi à échapper aux processus mentaux de protection qu’ils ont du mettre en œuvre pour se prémunir des souffrances occasionnés par leur symptômes qu’ils ont rendu en un sens « inavouables »

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La psychanalyse a-t-elle une part de « magie » (propos de Jacques Lacan) en laissant l’autre parler ?

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Jacques Lacan parle en effet (avec humour et distance) dans ses Écrits de « magie » lorsqu’un patient guérit et retrouve un certain bien-être. En psychothérapie, il y a toujours un arrière-plan décisif qui n’est pas en ligne directe avec la conscience de l’un et de l’autre. Chacun parle à un autre imaginaire plutôt qu’à son interlocuteur concret. Le psychanalyste s’adresse aux « fantômes » du patient (ce qu’il ignore, ce qui le protège du pire). Tandis que ce dernier s’adresse à un Autre qui est  composé par les projections de son imaginaire. C’est donc une situation d’interlocution « magique » en ce sens qu’elle met en relation des locuteurs mentalisés comme dans les rêves.

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Le mode de guérison peut-elle se faire selon la personnalité du patient ?

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La notion de personnalité est très discutable. Être ce qu’on est, n’est pas définissable à partir de ces catégories imprécises et caricaturales. La vie est une confrontation sans cesse avec les autres et donc la personne se modifie sans cesse au décours de ses expériences avec les autres et le monde. Donc la guérison serait davantage le fait de se départir de cette notion de personnalité qui enferme le sujet dans une détermination insupportable.

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Peut-on totalement guérir ou parfois accepter de vivre avec ses propres maux ?

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Depuis Hippocrate, (il faudrait dire depuis toujours), la guérison est sans cesse recherchée. La psychologie positive est dans l’air du temps. Fondamentalement, guérir c’est passer d’un état A insatisfaisant à un état B satisfaisant ; c’est trouver les moyens de gagner en liberté, bien être et dynamisme. Sigmund Freud définissait la guérison psychologique par l’accès à un travail et un bon rapport avec son environnement social. Il semble bien que pour nous tous, l’absence de soucis, de pensées négatives, de maux divers serait une négation du « vivre ». C’est donc cet état B de sérénité relative ou de dynamisme accru, malgré les maux, qui pourrait définir le bien être ou l’optimisation de son être.

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La pluralité des formations constitue-t-elle une plus grande efficacité pour guérir ?

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La pluralité des formations de chaque psychothérapeute est en effet souhaitable. Ils doivent être instruits par les différentes façons de prendre en charge un patient.

Pendant 20 ans, j’ai invité des psychothérapeutes de tous ordres (y compris un exorciste !) à intervenir lors de mon cours « analyse critique des psychothérapies ». Une de mes invités traitait des grands stress post-traumatiques. Au fil des séances, cette psychanalyste a rapporté une situation dans laquelle elle a été amené à proposer à une patiente venant de révéler un stress intense occulté par le traumatisme, de faire une parenthèse de 10 séances en utilisant une autre technique : l’EMDR (Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires). La psychanalyse a pu ensuite reprendre avec la résorption du traumatisme qui s’était manifesté.

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L’auto-censure (se taire) est-elle selon vous de plus en plus fréquente ?

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L’auto-censure n’est pas nécessairement le fait de se taire. Dans le cadre de la psychothérapie, plus vous vous taisez, plus l’autre vous imagine comme un interlocuteur énigmatique qui ne donne que peu d’indices de son écoute et de ses interprétations.

Mais d’une manière générale, l’auto-censure consiste plutôt à modifier l’expression de sa pensée de sorte qu’elle ne viennent pas contrecarrer des normes ou des croyances.

L’auto-censure est davantage le fait du conformisme qui caractérise les processus d’influence dans les réseaux sociaux ou les groupes à leadership autoritaire. Dans ces cas, la majorité impose ses propres vues, ne laissant aucune place à une éventuelle minorité ainsi bâillonnée.

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