« Je suis de race inférieure de toute éternité. » écrit Arthur Rimbaud en 1873 – il y a 150 ans – dans « Une Saison en Enfer ». Dans ce remarquable ouvrage, le jeune poète témoigne de sa condition- une crise profonde et irréversible. Aventurier, Rimbaud sera de tous les voyages. Il vivra de façon intense jusqu’à en mourir en 1891 à Marseille.

Pourtant, plus que jamais, Arthur Rimbaud est un poète qui continue d’être lu et admiré dans le monde entier. Eternel adolescent, vagabond acharné mais également génie de la littérature voire prophète, le poète n’a pas fini sa longue quête. Les écrits rimbaldiens passionnent des artistes tels que Patti Smith ou encore le musicien regretté Tom Verlaine.

Auteur du brillant « Rimbaud en Feu« , le journaliste et écrivain Jean-Michel Djian témoigne ici de la force de « l’homme aux semelles de vent ».

Entretien.

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Plus de 130 ans après sa mort, pourquoi faut-il lire et aimer Arthur Rimbaud ?

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Il n’y a aucune obligation de le lire et encore moins l’aimer. Mais celles et ceux qui l’ont lu se demandent comment il est possible de passer à côté d’un génie pareil.  Son œuvre ramasse en peu de pages ce que tout adolescent ressent, ce qu’un être humain normalement constitué rêverait de pouvoir formuler, ce qu’une tête bien faite est dans l’impossibilité d’énoncer. C’est un personnage hors du commun auquel il est difficile d’échapper que l’on soit jeune ou vieux, européen ou américain, poète ou non.

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Elève doué, à l’aise avec le français et le latin, dessinateur précoce, le jeune Arthur Rimbaud connaît-il tout de même des difficultés à s’exprimer à l’écrit ?

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Non, il constate seulement que l’écrit est insuffisant pour vivre dans la plénitude, et surtout que la poésie, pensée à juste titre comme le sommet de la littérature, n’a pas le pouvoir de changer le monde. En revanche il a des difficultés à s’exprimer oralement. C’est un taiseux, mais quelqu’un qui peut tout à fait « monter sur ses grands chevaux » comme dit, lorsque le verbe des autres lui semble superficiel, mondain ou académique

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Quel est le rapport qu’entretient Rimbaud avec sa ville natale, Charleville ? Havre de paix ou enfer ?

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Il déteste Charleville. Il hait ses bourgeois, ses grenouilles de bénitiers qui occupent la ville, passent leurs temps à la messe, aux vêpres et au confessionnal. A l’image de sa mère Vitalie.

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Quel est l’élément déclencheur qui a provoqué la rupture entre Arthur Rimbaud et ceux qui l’avaient influencé auparavant, les Parnassiens ?

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Les Parnassiens sont le cénacle parisien d’une poésie académique, certes élaborée et souvent raffinée, mais en aucun cas une poésie transgressive. C’est Banville. Rimbaud, n’avait rien à faire avec eux, même si pour des raisons de reconnaissance il a cherché à les fréquenter. Il est trop rebelle pour s’attacher une « école » de pensée poétique. Au fond, Rimbaud arrive sur la scène poétique au moment de la défaite de Sedan, de la Commune. Il incarne une nouvelle génération dans laquelle on retrouvera plus tard aussi Mallarmé. C’est une vraie révolution dans la littérature.

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Tout au long de sa vie, les poèmes de Rimbaud sont-ils également des journaux de bord de l’état d’esprit de leur auteur ?

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On pourrait en effet le penser tellement l’articulation esthétique de son œuvre avec son temps et son cerveau   est parfois bancale et incohérente. Mais, c’est lui dans toutes ses contradictions mais aussi sa désespérance. Il suffit de le lire quand il décide justement d’arrêter d’écrire et de fuir. Dans sa correspondance, ses articles (comme celui publié dans le Bosphore égyptien), dans ses rapports pour la société de géographie, mais aussi en regardant ses portraits photographiques réalisés par Sotiro, là on est certain de redécouvrir un autre Rimbaud et pourtant c’est le même. Comme le dit l’écrivain Philippe Sollers : « Arthur est un poète qui continue de l’être après avoir dit qu’il n’en était plus un ».

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Le 20 octobre 1871, lors des dîners des Vilains Bonhommes, Arthur Rimbaud hypnotise ou irrite son auditoire ?

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Il le provoque ! Il le nargue, il le met mal à l’aise. Rimbaud est déjà un habitué de ces petits cénacles où chacun se jauge et se teste, notamment dans le Cercle réputé des poètes zutiques. Mais là chez Les Vilains Bonshommes il arrive précédé d’une réputation, celle d’avoir écrit le sublime Bateau Ivre. C’est un autre Rimbaud qui n’a plus peur de rien. D’ailleurs ce diner chez Les vilains Bonhommes se termine mal : le coup de canne-épée qu’Arthur éméché donne à Carjat, son portraitiste photographe en dit long sur le décalage entre l’image romantique que ce dernier tente de donner à Rimbaud et son caractère résolument rebelle et violent. C’est, faut-il le rappeler, un poète maudit !

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Sa relation à la fois intellectuelle et intime entre Arthur Rimbaud et Paul Verlaine ne pouvait-elle qu’être intense selon vous ?

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C’est une histoire d’amour, et comme toutes les histoires d’amour çà peut tourner mal, ce fut le cas. Et comme cette relation s’emmêle dans des histoires de poètes qui cherchent à se dépasser, le coup de pistolet à Bruxelles de Verlaine sur Rimbaud était la moins pire des choses qui pouvait arriver à ces deux fauves de la poésie.

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Comment peut-on expliquer l’amour de Rimbaud pour les langues (latin, anglais, allemand, italien,…) ?

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Par une faculté cognitive qui relève du champ de l’intelligence pure. Il existait dans la bibliothèque de Charleville, un seul livre écrit en amharique (langue de l’Éthiopie), Il a fallu qu’à 15 ans Rimbaud le lise et c’est, comme par hasard, cette langue qui lui permis de s’intégrer facilement dans la Corne de l’Afrique quinze ans plus tard.

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Antimilitariste et libertaire dans sa jeunesse, Rimbaud devient pourtant soldat dans l’armée orientale des Pays-Bas puis devient trafiquant d’armes au Choa et n’hésite pas à se bagarrer. Le poète souhaite-t-il être multiple ?

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Il souhaite simplement fuir. Tous les moyens sont bons. La morale et les principes ne sont plus sont problème dès le jour où il est convaincu que la poésie ne changera pas le monde. « Je » est un autre.

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Arthur Rimbaud se sent-il étranger lors de ses voyages ?

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Sûrement. Il est austère et ne cherche pas facilement la relation, mais quand il y est conduit, pour des raisons souvent opportunistes lié à son travail (vente de café ou d’armes) il se fait violence et se rapproche des gens. Ce fut le cas au Harar avec l’évêque Monseigneur Jarosseau, Mais il se trouve qu’il était, comme lui, un latiniste et un érudit.

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Mourant, Arthur Rimbaud tente par-dessus tout de repartir en voyage. Refusait-il tout simplement à mourir ?

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Les drogues médicamenteuses qu’il avalait lors de son séjour à l’Hôpital à Marseille le mettait dans tous ses états. Il est donc à peu près certain que son état physique pouvait le conduire à délirer. Voilà tout.  Seule sa sœur Isabelle présent à ses côtés pouvait le calmer. Mon sentiment c’est qu’il a pensé jusqu’au bout pouvait être guéri et en effet répartir en Afrique, dans le pays le pays des enfants de Cham qu’il chérissait tant, c’est-à-dire l’Abyssinie.

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Après des années d’études de sa vie et de son œuvre, qu’est-ce qui vous surprend encore chez Arthur Rimbaud ?

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La fabrique continue du mythe. Ce n’est plus de son œuvre dont on se nourrit mais de sa légende, de l’icône. Comment est-ce possible qu’une afficionados de Rimbaud comme la géniale Patti Smith lui consacre quasiment tout le temps ? Et pire encore ne le lit pas puisque qu’elle ne parle pas le français et que la Saison et en enfer et les Illuminations sont intraduisibles ? C’est une énigme tout de même.

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