Il est parfois surprenant de constater une certaine harmonie entre deux artistes sans que ceux-ci ne se soient rencontrés. Dans le monde de la bande dessinée, Philippe Druillet a pu compléter Gustave Flaubert avec « Salammbô » ou encore José Muñoz a également été inspiré par l’œuvre d’Albert Camus. Jacques de Loustal illustre depuis des années les écrits de Georges Simenon avec une remarquable justesse. Il ne manquait plus que de dessiner une biographie du plus célèbre romancier belge. C’est chose faite!

Avec Jean-Luc Fromental, José-Louis Bocquet et John Simenon, Loustal a décidé de raconter l’histoire d’un jeune écrivain à la recherche du succès littéraire. « Simenon, l’Ostrogoth » narre également la relation amoureuse avec l’artiste Régine Renchon dite Tigy dans le tumulte des années 20-30. On y croise même Joséphine Baker. Simenon est décidément un personnage à explorer sans cesse.

Entretien avec Loustal.

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Loustal-Simenon. Comment expliquer une telle relation ?

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C’est avant tout dans les illustrations des romans – en particulier les enquêtes de Maigret. J’ai toujours admiré le langage de Simenon et je suis extrêmement sensible aux ambiances qu’il décrit. Il y a longtemps, Futuropolis et Gallimard m’ont demandé si je souhaitais illustrer les textes d’un auteur en particulier. J’ai tout de suite pensé à Simenon. Il était d’ailleurs de ce monde encore. Je lui avais même envoyé des dessins. Cependant, le projet n’a pas pu se faire pour des questions de droits, et plutôt astronomiques. J’ai finalement illustré la couverture du livre « Sous la lumière froide » (1992) de Pierre Mac Orlan.

Des années après, José Louis Bocquet propose mon nom à Marc Simenon et son épouse Mylène Demongeot. Ils cherchaient un artiste pour qu’il puisse illustrer un texte de Georges Simenon de son choix. Pour l’exotisme de Tahiti, j’ai sélectionné « Touriste de bananes » (1938). Les éditions Omnibus qui avaient tous les droits des œuvres de Simenon m’ont ensuite contacté. J’ai alors illustré les livres de Maigret même si je préfère les romans dit « durs « où les comportements humains sont admirablement décrits.   

J’aimais beaucoup cette relation d’illustration que j’ai développée avec les écrits de Simenon. Le dernier roman que j’ai illustré était « Le Passager clandestin » (1947). L’intrigue se passait également à Tahiti et, entre temps j’avais pu visiter le Pacifique donc mon voyage avait enrichi les dessins. J’ai toujours aimé illustrer des textes existants avec la phrase qui m’avait inspiré, en-dessous de mon image. José Louis Bocquet m’a un jour proposé de réaliser avec lui, Jean-Luc Fromental et John Simenon, une bande dessinée sur une partie de la vie de Georges Simenon. J’aimais l’idée car je voulais travailler sur un exercice classique (avec beaucoup de dialogues). Cela a duré un an.

Je suis venu dans cet univers Simenon par les œuvres écrites, mais avec « Simenon, l’Ostrogoth » j’ai illustré une période de sa vie – les années 20-30 – époque que j’aime dessiner. 

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Chiens, concerts, femmes, peinture, voyages,… « Simenon, l’Ostrogoth » est-il un livre très Loustal ?

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Oui. J’ai d’ailleurs réalisé des aquarelles pour une exposition qui débutera le 10 octobre prochain aux Arts dessinés. J’y montre des ambiances de port et de bar qui sont en périphérie de l’histoire de « Simenon, l’Ostrogoth ».

Pour commencer, j’ai réalisé un story-board très précis. Au lieu de le considérer comme un brouillon, je l’ai projeté sur ma planche afin de conserver la fraîcheur du dessin. Je me concentrais déjà sur les expressions des personnages. A chaque fois que je travaille sur un projet, je veux développer quelque chose de nouveau.

Les scénaristes m’ont demandé de dessiner des scènes de danse et de foule. Ce ne fut pas simple mais j’ai réussi à les surprendre. John était d’ailleurs ému de voir la dernière planche de l’histoire.

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Quelle est la part de Régine Renchon dite Tigy dans « Simenon, l’Ostrogoth » ? Comment avez-vous reproduit ses œuvres ?
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Il y a peu d’œuvres connues de Tigy. Il est de notoriété publique qu’elle peignait des nus et des apaches dans son atelier mais nous n’avons plus de visuels. Par conséquent, je me suis inspiré des peintres de l’Ecole de Paris. J’ai également regardé des photos de Brassaï pour imaginer ce que Tigy aurait pu peindre. Il y a également peu de photos de Tigy mais une caricature d’elle a été dessinée. J’ai décidé de la montrer avec les cheveux courts et un nez en trompette. 

J’ai beaucoup aimé dessiner sa vie de couple. J’ai sans doute rendu plus beau Georges Simenon (rires).

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Votre Georges Simenon peut s’avérer aigri, infidèle même parfois méchant. Est-il tout de même attachant ?

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C’est un personnage très humain avec ses défauts mais aussi ses qualités. J’ai voulu le dessiner sans cesse au travail.

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Ce fut un plaisir de dessiner Joséphine Baker ?

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Oui mais contrairement à Tigy elle a déjà été dessinée notamment par Catel et José Louis Bocquet. Dans « Simenon, l’Ostrogoth », elle reste un personnage secondaire.

J’ai également dessiné Joséphine Baker pour l’exposition.

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Sans qu’il apparaisse, Maigret rôde. Y’a-t-il une tentation de le dessiner ?

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Non même si dans la première page, je me suis amusé à dessiner une silhouette à une fenêtre fumant la pipe. Est-ce Maigret ? Est-ce Simenon ?

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Comment avez-vous imaginé les cauchemars de Simenon ?

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Les scénaristes m’ont permis d’être libre pour ces passages. J’ai eu l’idée d’apporter une ambiance fantastique voire surréaliste.

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Vous retrouverez Simenon ?

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Chaque été, je prends du plaisir à lire ou relire ses romans. J’ai une préférence pour les éditions originales. Cet été, j’ai lu « L’Homme qui regardait passer les trains » (1938). J’ai retrouvé l’arc narratif typique de Simenon – des personnes simples qui prennent la décision de tout laisser pour voyager. J’aurai toujours plaisir à illustrer ses romans. Pour une bande dessinée, c’est un exercice plus compliqué. Il est difficile d’écrire à la place de Simenon.

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© Brieuc CUDENNEC
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