Avec son style graphique si particulier et sa narration qui rend le quotidien si singulier, Jean-C. Denis est un dessinateur qui parcourt les époques (et les genres puisqu’il a également été membre du groupe de musique Dennis’Twist). Auteur chez Futuropolis, chez (A SUIVRE) mais aussi pour Métal Hurlant, il a toujours nous surprendre. Luc Leroi, son personnage, est loin d’être héros mais malgré les péripéties, ce dernier arrive toujours à tirer son épingle du jeu. A l’image de son dessinateur d’ailleurs…

Entretien avec Jean C. Denis.

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Faire de la bande dessinée, est-ce une évidence dès vos études en arts décoratifs ?
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Ce fut une évidence de faire à la fois de la bande dessinée et d’aller aux Arts décoratifs, même s’il n’y avait rien de prévu pour la BD. Il s’agissait d’une école qui ouvrait sur de nombreux domaines et l’influence de mai 68 était encore très présente. Les professeurs nous conseillaient d’oublier tout ce que nous avions appris auparavant. Plus tard, j’ai retrouvé cet esprit avec Etienne Robial, éditeur de Futuropolis. C’est d’ailleurs lui qui, pour éviter une certaine monotonie graphique, m’avait un jour suggéré de faire figurer mon nom sous la forme Jean-C. Denis plutôt que mon nom complet. J’ai par ailleurs toujours signé à la main mon nom de cette façon.

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Il y a les premiers albums puis « Cours tout nu », la série André le Corbeau, « Un artiste Chat »,… Y’avait-il un plaisir de dessiner les animaux ?

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Mes parents me lisaient les livres illustrés de Beatrix Potter quand j’étais petit. Des histoires avec des animaux habillés. À six ans, je me suis amusé à raconter en bandes dessinées l’histoire d’un lapin qui partait en vacances. Mes parents ont gardé ces pages et j’ai pu les récupérer plus tard et constater que j’avais encore des progrès à faire. J’ai toujours aimé les histoires animalières. C’est d’ailleurs par elles que j’ai commencé dans le journal Pilote. Cours tout nu, mon premier album édité par Futuropolis en 1979 tournait lui-aussi autour des animaux (et leur libération d’un cirque). Par la suite, j’y suis revenu avec les trois albums des aventures d’André le corbeau.

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Vos œuvres parlent de la dépression, de la peur du vide, des insomnies,… Créer c’est avant tout une thérapie ?

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C’est surtout une manière de vivre. Pour moi, la vie c’est surtout raconter des histoires et les dessiner. Composer et faire de la musique. Je m’inspire de tout ce que je ressens.

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Après Pilote, vous travaillez pour le magazine (A SUIVRE). Ce fut un moment clé ?

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(À SUIVRE) revendiquait un côté plus littéraire que ses concurrents, et qu’il avait fait le choix du noir et blanc. La couleur étant réservée à la couverture et à quelques pages intérieures. L’autre choix assumé était les récits longs (À suivre, donc). Lorsque j’ai réalisé les premières planches de Luc Leroi pour ce magazine, ce fut en couleurs et l’histoire tenait sur trois pages. Les éditions Futuropolis ont, quant à elles, publié un recueil de mes histoires parues dans (À Suivre), mais en noir et blanc. Mes débuts ressemble à un quiproquo.

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Comment est venue l’idée du personnage de Luc Leroi ?

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Je voulais raconter les histoires de quelqu’un de fragile et d’assez banal, se laissant entrainer dans des histoires qui l’étaient moins. Le monde de la bande dessinée avait cumulé un nombre invraisemblable de héros positifs – en commençant par Tintin. Luc Leroi a été immédiatement rangé dans la catégorie des antihéros. Avec Martin Veyron que j’ai rencontré aux Arts Décoratifs et avec lequel nous avions fondé l’atelier Imaginon, nous voulions raconter des histoires différentes, positives certes, mais à notre façon. Luc Leroi est monsieur Tout le monde. La première histoire que Martin avait réalisée s’inspirait d’une expérience commune montrant une accumulation de catastrophes. Luc Leroi est né pour suivre une route similaire, semée d’embûches.

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Pourquoi avoir choisi un tel nom ?

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Il y a une certaine ironie que ce type qui est tout sauf un héros ait comme nom de famille Leroi… J’aimais également ses initiales LL qui lui donnaient une certaine singularité – comme BB pour Brigitte Bardot. Les initiales doubles peuvent être le signe d’un destin particulier. Leroi est un personnage à part. Il est plutôt secret. On a parfois du mal à le définir.

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Luc Leroi vous surprend-il parfois ?

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C’est le cas dans cette nouvelle histoire. Sa fiancée vit à l’autre bout du monde. Elle n’est pas venue à Paris depuis plus d’un an. Luc est alors dans une grande solitude. Le voir s’attacher à ce point à un chien de passage m’a beaucoup surpris. Ce n’était pas prévu à l’origine.

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Quels sont vos liens avec Philippe Druillet ?

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Entre 18 et 20 ans, avant les Arts déco, les livres de science-fiction et d’anticipation étaient partout. En bande dessinée, l’éditeur Eric Losfeld publiait Druillet, Forest, Nicolas Devil… Je me suis essayé à ce genre et j’ai réalisé, pour moi, quelques histoires courtes. Druillet a eu une influence certaine. Je me souviens à avoir imaginé une histoire de course poursuite. Une jeune fille est poursuivie par un garçon sur un escalier. L’escalier se reflète sur le sol. Le garçon qui la poursuit termine sa course en arrivant au sol. Elle continue sa descente sur le reflet pour lui échapper. J’ai pensé à Druillet en réalisant cette histoire. Lors d’une visite d’une de ses expositions, j’avais été très impressionné par le format géant de ses dessins. C’était la première fois que je voyais des dessins aussi riches et aussi grands.

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« Les 7 péchés capitaux » est une série réalisée pour le magazine Métal Hurlant. Est-ce aussi une autobiographie ?

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Non, mais je me suis tout de même inspiré de certaines de mes expériences. A l’époque, j’ai connu par exemple des gens qui vivaient dans un château, je m’étais aussi rendu au Brésil où j’avais vu des personnes prenant tranquillement le frais dans une rivière infestée de piranhas. J’ai croisé aussi un trafiquant de pierres précieuses. Beaucoup de mes expériences personnelles alimentent les récits.           « Les 7 péchés capitaux » est d’abord une idée de Jean-Pierre Dionnet. Il m’a proposé de faire quelque chose autour de ce titre. J’ai choisi de réaliser une histoire courte autour de chaque péché, le tout formant une histoire complète. « Les 7 péchés capitaux » ont également été publiés dans le Métal Hurlant espagnol. Les éditions Albin Michel ont aussi décidé plus tard d’en faire une version cartonnée. Un titre à succès !

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 Vous avez fait partie du groupe Dennis’ Twist avec entre autres les dessinateurs Frank Margerin, Vuillemin et Denis Sire. Vos créations BD sont-elles des histoires sonores ?

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La musique et la bande dessinée partagent une structure et un vocabulaire commun. La composition, le rythme, la tonalité… Ce qui me visite prend tôt ou tard une forme. Tantôt l’une tantôt l’autre.

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Quelle est la place des femmes dans vos réalisations ?

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Elles sont omniprésentes dans mon esprit, et toujours très présentes dans les histoires que je raconte. En relisant les histoires que j’ai réalisées dans les années 90, et que j’ai pu réunir dans l’album « Relief de l’ancien monde », j’ai constaté que je leur avais plutôt réservé le beau rôle. Un rôle plus positif que les hommes.

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Dans « Nouvelles du monde invisible » (2008), pourquoi vous avoir choisi comme personnage principal ?

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Même si tout y est montré sous l’angle du parfum et des odeurs, ces histoires sont des autobiographies pures et simples. Chaque détail a été senti, vécu.

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« Le Pélican » (1994) traite également un aspect du quotidien.

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Je me suis inspiré d’un bar dans le 14ème arrondissement mais pour éviter qu’on puisse le reconnaître, j’ai changé le nom par Le Pélican. Ce café s’appelait ainsi dans les années 30-40. Je voulais montrer ceux qui n’ont pas les moyens de quitter Paris au mois d’août mais qui ont tout de même de quoi se payer un verre au bar. Tous ces gens un peu bizarres qui finissent par former comme une famille. On ne sait pas s’il faut se réjouir de commencer à en faire partie. Je me suis souvenu avoir vu l’acteur Jean-Pierre Léaud en terrasse. Il montait sur une chaise et déclamait ses rôles à venir puis se rasseyait comme si de rien n’était. Il aurait pu devenir un personnage du Pélican, mais il était déjà visiblement pris ailleurs.
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Quels sont vos projets ?

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Je travaille sur une idée d’histoire courte pour un nouveau numéro de Métal Hurlant… sur une proposition de Jean-Pierre Dionnet ! Je vais également me rendre dans des librairies et des festivals pour rencontrer les lecteurs.

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