Depuis 1912, Tarzan fait partie intégrante de notre culture populaire. Vêtu d’un pagne, musclé et beau garçon, le roi de la jungle, création du génial écrivain Edgar Rice Burroughs, est jusqu’à nos jours incontournable. Dès les premières années, les dessinateurs et illustrateurs ont su représenter ce Lord Greystoke élevé par les singes. Chacun a pu laisser une touche au personnage. Rééditées par les éditions des régionalismes, les aventures du Roi de la jungle continuent de passionner sur le plan littéraire mais aussi sur le plan graphique.

Entretien avec le cofondateur du Métal Hurlant et passionné de Tarzan, Jean-Pierre Dionnet.

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La première bande dessinée de Tarzan est publiée en 1929 par Hal Foster soit près de 20 ans après la sortie du premier livre d’Edgar Rice Burroughs. Pourquoi un tel personnage a-t-il suscité autant d’intérêt en bande dessinée ?

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En 1912, James Allen Saint John est le premier à illustrer les aventures de Tarzan. C’est l’artiste qui pose la figure du héro :  Tarzan est beau, a des muscles fins et des postures nobles. Le dessin d’Allen Saint John restera la référence pour tous les autres.

Le premier succès en bande dessinée arrive avec Hal Foster. Afin d’améliorer son style, il va demander au syndicat des artistes de lui prêter des originaux de Milton Caniff et d’Alex Raymond. Foster va donc avoir une double inspiration : l’impressionnisme du premier et le très grand réalisme du second. Il va ainsi construire un Tarzan d’une grande noblesse.

Hal Foster, également dessinateur de Prince Vaillant, va imposer son style en proposant des images sans bulles. Ses dessins sont souvent accompagnés de textes (et même de dialogues) écrits sous les cases.

Burne Hogarth va succéder à Foster mais c’est un artiste qui m’énerve beaucoup. J’aime beaucoup ses folies bergères en Amérique du Sud (Drago) mais son Tarzan où il s’éprend pour Michel-Ange et le penseur de Rodin me laisse de marbre. Hogarth suscitera même de nombreuses parodies comme celles de Gotlib : Tarzan se lave les dents avec ses doigt saillants.

Tarzan va connaître une autre inspiration : le champion de natation Johnny Weissmuller. Il va interpréter le roi de la jungle pour Hollywood. Weissmuller donne une image à Tarzan de jeune premier vivant dans le monde sauvage certes mais il dispose d’une maison bien rangée dans un arbre digne de celles que l’on retrouve dans les banlieues des Etats-Unis.

D’autres artistes vont se succéder comme Bob Lubbers, passionné des pin-ups. Russ Manning ne va pas hésiter à introduire des éléments fantastiques dans l’univers de Tarzan comme des hommes volants. Son style se rapproche de celui de Philippe Druillet parfois mais il est figé: et bien meilleur en comic books de SF robotique – idem pour Celardo.

Tarzan va surtout prendre vie dans le comic book avec Joe Kubert de DC Comics. Tout en s’inspirant d’Hal Foster, ce dernier va donner au roi de la jungle un côté menaçant. Il voyait les soldats de la Première Guerre mondiale comme des chevaliers, quand ils étaient aviateurs, mais ses remparts, pour la guerre suivante aussi, puis le prolongement en Corée pataugent dans la boue –Tarzan est lui aussi vu comme un guerrier éternel.

Jesse Marsh est le dessinateur minimaliste qui me fascine. Son Tarzan sera très suivi et pendant fort longtemps (20 pages par mois). Alex Toth l’adorait. Un autre personnage de Burroughs a connu moins de succès en illustration c’est John Carter. Probablement du fait que rapidement il a été clair que pour beaucoup la vie sur Mars n’était pas possible. Eh bien moi je crois toujours à cet univers…

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Tarzan, héros pourtant classique, pouvait-il être perçu comme sombre ?

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Le personnage de Tarzan a pu être critiqué car en tant qu’Américain, il était perçu comme individualiste.

Il a pu être également vu comme une icône gay. Contrairement à Burne Hogarth qui s’en défendait, George Barr va par exemple apporter au personnage un aspect homoérotique assumé dans ses illustrations. Chez lui, Tarzan a en même temps de beaux muscles à la « Tom de Finland » et la peau douce. La famille Burroughs a probablement jugé cet aspect trop tendancieux et Barr a disparu d’un coup. A-t-il disparu de la circulation à cause de cela ? Cela reste encore une énigme pour moi.

Tarzan a avant tout été un fantasme qui permet de s’échapper de la réalité.

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Il y a également les Tarzanides…

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Des nouveaux personnages inspirés par Tarzan vont en effet apparaître mais bien souvent sous de petits formats. Les Tarzanides ont en commun avec le roi de la jungle leur dégoût de la civilisation, les combats avec les bêtes sauvages et vivent à l’Américaine en pleine nature.

Tout est très bien dessiné et même sexy. Les maillots de bain sont en peau de panthère et très minimalistes. Sheena est un personnage très bien dessiné par l’Américain Bob Powell. Il y a beaucoup de grotesque chez cette reine de la jungle. A tel point qu’on est parfois au bord de la parodie (elle avec sa chevelure hollywoodienne et porte un bikini impeccable) mais Sheena garde tout de même un côté sauvage.

Kalar est le plus ridicule car, contrairement aux autres tarzanides qui se baladent dans la jungle en pagne, il a une tenue de boy scout. Pourtant, le dessinateur espagnol Thomas Marco Nadal va réaliser des planches sidérantes dignes de l’œuvre de Gustave Doré.

Il y aura aussi des Tarzans italiens, espagnols, brésiliens, turcs. Aspect amusant : Dans les pays où il y a de vraies jungles, les styles s’éloignent des paysages africains de Foster. Ce dernier avait été inspiré par les récits de voyageurs mais n’était jamais venu sur les lieux. Lorsque le réalisateur Michael Mann réalise son film « Le Dernier des Mohicans » (1992), il est fortement inspiré par les travaux du peintre N. C. Wyeth. Il voit dans ses illustrations de la mousse dans les forêts. Mais lors du tournage, Mann se rendra compte qu’en réalité il y a des hautes herbes. Il va devoir alors abandonner la mythologie picturale développée par N. C. Wyeth.      

Le réalisateur Russell Rouse, avec son film, « Caravane vers le soleil » (1959), propose lui aussi une histoire très tarzanide où des Basques immigrant dans le Nouveau monde ont affaire à des Apaches. Ils volent, tels des personnages de bande dessinée, ils font des sauts comme s’ils bondissaient sur des trampolines – ce qui est le cas.

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Tarzan est dans l’actualité française avec l’adaptation en bande dessinée de Christophe Bec chez Soleil et la collection développée par JD Morvan chez Glénat. Comment peut-on expliquer une telle popularité ?

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J’aime beaucoup le Tarzan moderne imaginé par Chistophe Bec et je suis impatient de voir celui développé par Glénat.

Tarzan est un héros éternel. Les lecteurs aiment cet homme qui s’est exclu de la civilisation pour vivre dans la jungle parmi les animaux. D’une certaine manière, les personnes vivant à la campagne ne sont pas si éloignées de Tarzan. La communion avec la nature est devenue un must bobo quittant la grande ville. Et nous avons l’envie d’accéder au jardin d’Eden qui, pourtant, est loin d’être parfait. Je rappelle qu’il y a un serpent…

Un réalisateur comme William Friedkin, réalisateur que j’ai adoré, a sorti le film « Traqué » (2003) avec Benicio Del Toro et Tommy Lee Jones. Il y a une atmosphère à la Tarzan.

Nous avons toujours eu de l’admiration pour ceux et celles qui refusent notre quotidien et qui surtout font le choix de vivre autrement.

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Tarzan est-il le premier écologiste ?

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Oui. Tarzan est un héros qui lutte contre un système pour défendre son territoire. Cependant, il n’est pas le porte-parole d’une cause. C’est avant tout un enfant du Robinson Crusoé de Daniel Defoe.

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