Agnès Michaux a un parcours qui a attiré tout de suite notre attention. Ecrivaine, animatrice de télévision pour le Canal + des années 90, traductrice, documentariste, professeure pour l’école Les Mots… Son parcours attire par sa multiplicité.

Agnès Michaux a écrit sur les Romanov, sur la vie monastique, sur l’Italie du XVIème siècle tout comme sur la Belle époque et a même traduit les mémoires du rocker Peter Doherty. A chaque fois, on retrouve une certaine maîtrise des mots mais aussi une profonde envie de se documenter pour mieux raconter l’histoire.

Entretien avec une écrivaine-« moinesse »- Agnès Michaux.

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Dès l’âge de 24 ans, vous devenez écrivaine. A cette époque, l’écriture était-elle un besoin viscéral pour vous ?

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Je ne suis pas devenue écrivaine à ce moment-là. J’ai juste publié un livre. A l’époque, je cherchais encore ce que serait ma vie. J’ai mis longtemps à assumer ce simple fait : j’écrivais, alors j’allais écrire. Cela me faisait peur, je manquais de confiance en moi. C’est quand on prend de l’âge qu’on commence à voir la forme du destin. Ainsi, un jour, il n’y a pas si longtemps, j’ai enfin admis le rapport singulier que j’avais avec la langue, les mots, la grammaire. Un lien organique. Et je me suis souvenue, presque en riant, qu’on m’avait toujours dit que j’avais parlé très tôt et bien avant de marcher… À un moment, il faut savoir se mettre en cohérence avec soi-même et trouver cela aussi drôle qu’important. Depuis ce jour où j’ai arrêté de me cacher derrière mon petit doigt – ah, les expressions de la langue française… –, je me suis fait la promesse de ne pas passer un jour sans écrire une ligne, et je ne me suis pas encore trahie.

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Lorsqu’on écrit s’adresse-t-on avant tout à soi ?

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Absolument pas, dans mon cas. Je cherche pour dire et dire, c’est parler à autrui. Il y a pour moi quelque chose de l’expérience monastique dans l’écriture :  on se retire du monde pour mieux le voir. Mais il faut savoir sortir de chez soi, aller écrire au café « pour voir la figure humaine », comme disait Bernanos.

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Zelda Sayre, Marilyn Monroe, les Romanov… Avez-vous une fascination pour les icônes écorchées ?

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Non, mais j’ai toujours aimé me déguiser. Alors, c’est ce que je fais, je me déguise en Zelda Fitzgerald, en Marilyn, en Fritz Lang, en garde rouge ou en tsar, en sentiment, en paysage. Ensuite c’est un jeu d’enfant, au sens strict du terme. C’est-à-dire que comme un enfant, je crois absolument à la réalité de mon jeu. Je ne suis plus déguisée, je suis. Là, le roman peut s’écrire.

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Le roman historique est-il davantage une contrainte que le roman de pure fiction ?

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C’est un territoire finalement très libre. Le cadre qui m’oblige, quand j’écris sur des faits ou des personnages ayant existé, est aussi ce qui me libère, notamment de l’angoisse de la page blanche. Gagner sa liberté à l’intérieur d’un cadre qu’on n’a pas choisi, c’est peut-être trouver une liberté plus grande, plus folle, plus puissante.

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L’exercice vous oblige-t-il à beaucoup vous documenter ou il vous arrive au hasard de viser juste ?

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Pour tous mes romans à contexte historique (derniers en date, les trois volumes de La Fabrication des chiens chez Belfond), j’ai fait de nombreuses recherches, cela me paraît la moindre des choses. C’est toujours l’histoire du déguisement et du jeu d’enfant : tant que je ne peux pas me balader dans l’époque que je traite, tant que je ne sens pas le parfum de la peau du personnage historique que j’ai choisi d’explorer, je ne peux pas écrire. Je me souviens que cela a été particulièrement long quand je travaillais à « Codex Botticelli », le XVe siècle, à tous points de vue, ce n’est pas la porte à côté. Avant de pouvoir vivre ce temps et l’âme de ce temps, il en a fallu des lectures, des concentrations aussi, j’allais dire des méditations. C’est très physique, ce moment où je sens que je vis le livre, je vis le personnage, je vis le mouvement, la lumière, le parfum… C’est très bouleversant, vous savez, et c’est très joyeux. C’est aussi très amoureux, c’est être absolument avec l’autre.  Avec les êtres qui respirent dans le roman et, d’une certaine façon, déjà avec ceux qui vont le lire.

Tellement absolument avec l’autre qu’il m’est arrivé qu’une scène que j’avais totalement inventé se révèle une réalité historique. C’était quand j’écrivais Le Témoin, un roman sur la fin des Romanov. J’avais eu un des descendants de la famille au téléphone et il m’a presque bondi dessus en me demandant comment je pouvais savoir que… La scène que j’avais inventé avait bien existé, mais c’était une chose que seule la famille savait. J’étais heureuse, je me suis dit que j’avais travaillé comme il fallait, c’est-à-dire que j’avais totalement pénétré mon sujet.

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Le présent vous inspire-t-il ?

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Écrire, c’est toujours avoir affaire au passé. On n’écrit pas en direct, on se souvient, on rappelle à soi des images, des sentiments, des paroles qui, sans les mots tracés sur le papier, disparaîtraient. Le présent, c’est le matériel de demain, du jour où l’on en aura besoin pour écrire. Je tiens à la mémoire, et la mienne n’est pas trop mauvaise.

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Vous avez également écrit Kissing my songs (Flammarion) en collaboration avec le chanteur d’Indochine, Nikola Sirkis. Est-ce que ce fut un exercice difficile ?

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Ce fut formidable. Nous avions pris l’habitude de nous voir tous les mardis pendant trois heures. Je lui posais des questions, il me répondait avec beaucoup de franchise. Il s’est montré très généreux et je l’en remercie. C’était le même travail que pour un roman, finalement, retrouver la vie d’un personnage, la retranscrire, chercher le mouvement qui l’anime, les détails qui subtilise l’édifice. Bref, j’ai adoré écrire ce livre d’entretiens avec Nikola.

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« La Fabrication des chiens » (Belfond) est une trilogie sur trois années de la belle époque, une par volume – 1889, 1899, 1909.  Est-ce l’écrit qui vous a demandé le plus de temps ?

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J’aurais pu faire trois tomes de plus… Mais il faut savoir s’arrêter, sinon on risque le claquage (rires).

Lorsque j’ai terminé d’écrire le premier volume, il n’était pas prévu qu’il y ait une suite. Mon éditrice m’a proposé, avec beaucoup d’enthousiasme, de ne pas lâcher Louis Daumale, mon personnage principal. Elle m’a fait un très beau cadeau ! Car j’ai passé, dans cette belle époque que j’évoque à travers Louis, des moments intenses et merveilleux. J’ai décidé de faire trois volumes, chacun séparé du précédent par dix années, le laps de temps suffisant pour que l’on sente les personnages et le monde changer.

La Fabrication des chiens est mon Everest littéraire (rires). Il a fallu du muscle (et pas mal de litres de thé !) pour les grimper, ces trois sommets. Je ne sais si j’aurais jamais le courage de me lancer à nouveau dans une telle aventure. Le travail de documentation a été colossal, le plus colossal que j’ai jamais effectué. Plus de mille pages de lecture par jour certaines fois… Mais je ne regrette pas une goutte de sueur, pas une migraine, pas une tendinite de l’épaule (rires). J’ai eu comme jamais le sentiment de ramener le passé à la vie, de redresser les morts, comme j’aime à dire. Les personnages de cette trilogie ne sont plus des personnages pour moi, mais des amis ou des membres de ma famille.  On vit toujours ensemble.

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Rêvez-vous de vos livres ?

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Bien sûr, pas une fois qu’ils sont écrits, mais avant de m’y mettre. Et ces rêves me donnent parfois la clef que je cherche sans succès dans la vie éveillée. Ainsi, lorsque j’ai écrit Zelda, roman biographique sur l’épouse de Francis Scott Fitzgerald (Flammarion), j’avais du mal à trouver comment démarrer. Ce que j’avais mis en place ne me satisfaisait pas. Une nuit, j’ai rêvé que j’étais sur une plage. Au loin, un couple avançait vers moi, c’était Scott et Zelda. L’image était un peu brumeuse et se précisait à mesure qu’ils approchaient. L’image est devenue nette d’un coup, ils se tenaient devant moi et me tendaient ce qu’ils portaient dans leurs bras, que je n’avais pas encore distingué : leur enfant.  Alors, j’ai « obéi » au rêve, et c’est la fille de Scott et Zelda qui ouvre le roman et nous conduit dans la vie de sa mère.

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Vous êtes également traductrice de romans étrangers. Y a-t-il une certaine pression dans la retranscription des mots d’un autre écrivain ou y a-t-il tout de même une certaine liberté ?

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Le métier de traducteur est un véritable travail d’humilité. Si vous n’êtes pas humble, vous traduisez mal. Il faut être entièrement au service de l’auteur, de ses mots, de son rythme. Il ne faut vouloir être romancier à la place du romancier., il faut porter sa voix dans une autre langue. Je ne prends pas de liberté, je veux donner ce qui n’est pas accessible aux gens qui ne parlent pas la langue originale du livre.

La traduction aussi est un jeu d’enfant, une sorte de gros puzzle complexe et motivant. À chaque instant, il faut trouver une solution. J’y prends un plaisir incroyable, c’est tellement vivifiant. Je viens de terminer la traduction de l’autobiographie de l’artiste anglais Pete Doherty (à paraître en 2024 au Cherche Midi) Il y avait beaucoup d’argot, de blagues… Trouver des solutions respectueuses n’a pas toujours été de tout repos ! Mais c’est un récit très intéressant, j’espère que les lecteurs s’y plongeront avec le même plaisir que moi.

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Après votre documentaire sur Stanley Kubrick, vous avez réalisé un reportage sur l’énigmatique réalisateur américain Terrence Malick. Avez-vous atteint le Graal ?

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Si j’avais atteint le Graal, je serais au moins Indiana Jones (rires). Le Graal, non, mais ce n’est pas rien de faire des documentaires sur des cinéaste qu’on adore. Pour Kubrick comme pour Malick, ce fut une aventure inoubliable. Mais, dans le cas de Malick, c’est la façon dont les choses ont démarré qui fut assez incroyable ! J’arrive à contacter un de ses amis à qui je confie un courrier pour le cinéaste où j’explique mon projet et mon souhait (évidemment !) de réaliser une interview. Le temps passe. Un soir, après Nulle Part Ailleurs, je remonte dans mon bureau avec des camarades. On papote, on s’amuse, bref, on se détend et, soudain, le téléphone sonne. Je décroche et là, j’entends en anglais : « Bonsoir, c’est Terrence Malick… » je suis persuadé que c’est Frédéric Benudis (avec qui j’avais fait le Kubrick) qui me fait une blague. Mais non, c’était vraiment Terrence Malick ! Je demande alors à tout le monde de faire moins de bruit. Commence alors une conversation qui a duré trois heures. Je pense qu’il voulait me faire passer une sorte d’examen afin de savoir qui j’étais et pour quelles raisons je voulais faire ce documentaire. Il voulait me « renifler » un peu avant de savoir s’il était content que je m’intéresse à lui (rires). Nous avons surtout parlé littérature. Thoreau, Hawthorne… Je pense qu’à Walt Whitman, j’avais gagné la partie.  Enfin, partiellement, car il n’était toujours pas question pour lui de donner une interview, mais il m’a demandé la liste de toutes les personnes que je voulais dans le doc et m’a dit qu’il les appellerait pour leur demander d’accepter. Ce qu’il a fait.

Pendant le tournage aux États-Unis, c’était très étrange, nous avions la sensation qu’il nous suivait, qu’il n’était jamais très loin. Quand nous sommes allés chez Sissy Spacek, nous étions à peu près persuadés qu’il y était aussi, planqué dans un coin de la maison.

 Mais j’arrête là avec mes souvenirs de vieux combattant. IL y aurait tout un roman à écrire sur chacun de ces deux tournages. Qui sait …

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