« La Femme de ma vie », « Indochine », « Est-Ouest », « Man to Man »… Régis Wargnier a toujours pris le soin de réaliser des œuvres cinématographiques à la fois touchantes et marquantes. Epopée, drame familial ou encore polar – Il s’agit d’un réalisateur qui dans de nombreux genres a su laisser une remarquable signature – à tel point que beaucoup de ses films ont également connu une popularité à l’étranger. Le grandiose fait souvent à l’intime.

Régis Wargnier est un cinéaste français à part et qui continuera à concevoir des œuvres captivantes.

Entretien.

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Votre premier emploi a été d’être la doublure lumière de Michel Piccoli pour le film « La Décade prodigieuse » (1971). La passion pour le cinéma a-t-elle été plus forte que vos études ?

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J’avais deux ans de lettres afin de passer le concours de l’IDEC avec une équivalence. Or, ce concours a été fermé pendant trois ans suite aux événements de mai 68. J’ai alors fait une licence d’enseignement de lettres classiques et une maîtrise de lettres. Avec le hasard, j’ai pu faire connaissance avec un régisseur de cinéma – sa mère vivait dans le même immeuble que moi. Il m’a alors proposé de réaliser un stage lors du tournage de « La Décade prodigieuse » de Claude Chabrol. J’ai pu rencontrer des acteurs comme Michel Piccoli, Marlène Jobert, Anthony Perkins ou encore Orson Welles. Ce dernier était inapprochable. Chabrol rêvait de diriger Welles mais il a été profondément déçu par le personnage. C’était un homme âgé qui jouait dans des petits rôles en Europe pour gagner un peu d’argent. Welles errait sur le tournage.

J’ai beaucoup sympathisé avec Piccoli et Chabrol.

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Ils ont été vos parrains de cinéma ?

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Incontestablement. C’était une chance d’être doublure lumière. Cela voulait dire que la production avait les moyens. Chabrol jouait constamment aux échecs. J’en profitais pour lui parler. Il s’est rendu compte que j’avais une culture de cinéma de quartier. Piccoli a ensuite proposé à Chabrol de m’engager pour un autre film.

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Vous avez notamment été l’assistant réalisateur de Claude Chabrol mais aussi de Michel Deville, Francis Girod,… avec quel réalisateur vous avez vraiment appris le métier ?

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Tous. J’ai adoré regarder les voir travailler. Chabrol arrivait dans le décor, utilisait son viseur, réalisait son découpage, donnait des instructions puis allait déjeuner pendant que nous exécutions ce qu’il avait demandé. Francis Girod avait l’obsession du texte. Magarethe Von Trotta était sans cesse dans le doute. Au moment où il fallait réaliser un plan séquence, elle pouvait tout annuler si elle ne ressentait pas l’émotion.

Volker Schlöndorff a probablement été pour moi le réalisateur le plus impressionnant, car en effet « Le Faussaire » (1981) a été un film sur la guerre et réalisé pendant la guerre au Liban.

J’ai également eu la chance de travailler avec de formidables acteurs comme Michel Piccoli, Romy Schneider, Catherine Deneuve, Max Von Sydow, Bruno Ganz… 

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Avec « La Femme de ma vie » (1986), votre premier film, aviez-vous eu envie de donner un des meilleurs rôles à Jane Birkin ?

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Je l’avais proposé à Catherine Deneuve qui, après une nouvelle version du scénario, a finalement refusé le rôle. Michel Piccoli m’avait alors suggéré de ne pas chercher une sous-Deneuve mais le contraire. Il fallait donc que je trouve une actrice qui semblait fragile mais qui cachait beaucoup de forces. Je suis allé à la rencontre de Jane Birkin. Nous avons parlé pendant deux heures assis sur le sol du grenier de sa maison. Au moment de partir, Jane m’a rattrapé dans la rue pour me dire qu’elle acceptait le rôle.

Lorsque Catherine Deneuve a vu le film, elle a dit une phrase étonnante à son agent : « Je n’étais pas l’actrice idéale pour ce film – il fallait Jane + moi ». Le personnage de « La Femme de ma vie » avait deux facettes : la fragilité et le contrôle.

Jane est très belle et talentueuse dans le film.

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Dans « Je suis le seigneur du château » (1986), la guerre d’Indochine est déjà abordée. Votre père a été soldat en Extrême Orient. Vos films parlent-ils de vous-mêmes et de vos proches ?

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Certainement. Pour « Je suis le seigneur du château », il s’agissait d’une adaptation d’un roman de Susan Hill des années 70. Il parlait d’un père disparu, héros de la Bataille d’Angleterre. Avec le co-scénariste Alain Le Henry nous avons pris la décision de transposer l’histoire dans les années 50 c’est-à-dire au moment de nos enfances respectives. Nous nous sommes alors plus investis dans l’histoire. Il fallait filmer le long métrage à la hauteur des enfants.

« Je suis le seigneur du château » est un film à petit budget qui a été tourné en 6 semaines.

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« Indochine » (1992) est par contre un film à grosse production. Est-ce une lettre d’amour à l’Asie ?

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C’est en voyant « Je suis le seigneur du château » que le producteur Jean-Louis Livi a voulu me donner la chance de réaliser un film épique. C’est Éric Heumann qui a eu l’idée de l’Indochine avant la guerre. Plus tard, j’ai compris que ses parents avaient tenu une plantation là-bas.

C’est en écrivant le scénario d’« Indochine » que nous avons eu l’idée de parler d’un pays sous le joug colonial. Cette jeune fille éduquée dans un lycée avec uniquement des Européens va finir par être révoltée par le sort de la population locale et va incarner les espoirs de la révolution.

Comme « Indochine » devait être un grand film, j’ai eu l’idée d’engager Catherine Deneuve. C’était le moment. Pourtant, son personnage n’existait pas dans les premières versions du scénario. C’est ensuite au cours de nos recherches que nous avons pu voir une photo représentant une femme avec chapeau dirigeant une plantation.

Le personnage Eliane est une femme seule, très libre et qui a adopté la fille de ses meilleurs amis indochinois.  Elle est le témoin des dérives et de la fin de l’Empire français. Catherine a suivi les évolutions du scénario, a soutenu le projet et s’est préparée physiquement pour le film. Elle a été exceptionnelle pendant le tournage.

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Avez-vous été tenté de faire une carrière internationale après le succès d’ «Indochine » ?

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J’ai surtout été contacté après « Est-Ouest » (1999). Les Américains me proposaient des projets avec « un goût européen ». Je n’en voulais pas puisque je l’avais déjà en France. Aux Etats-Unis, le réalisateur arrive quand tout est prêt : le scénario, la distribution. Il est tenu seulement à son rôle.

J’avais accepté le projet de « Mémoires d’une Geisha » car j’avais aimé le roman. Cependant, j’avais demandé que le film soit réalisé en japonais. La production a alors refusé prétextant que des actrices chinoises de New York avaient déjà été engagées. J’ai alors abandonné le projet et le film a été réalisé par Rob Marschall.

« Man to Man » (2005) est né d’un désir de producteur. Ce fut un vrai plaisir de le réaliser mais nous avons commis une faute pendant la promotion. N’ayant pas la réponse du festival de Cannes, nous avons pris la décision de projeter le film à Berlin. Mais le sujet n’a pas intéressé les Allemands. Une soirée peut changer le destin d’un film. « Man to Man » n’est pas non plus sorti aux Etats-Unis.

On m’a également proposé « Le Prestige » mais il a finalement été mis en scène par Christopher Nolan.

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 « Une Femme française » (1995) parle d’une rupture. C’est également le dernier film où l’on voit ensemble Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart. Est-ce un film sombre ?

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Il est avant tout passionnel et intense. J’ai donné la place aux émotions. Chaque scène possède son propre conflit. Comme « Indochine », « Une Femme française » est beau à regarder mais a un message qui crée un malaise.

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« Est-Ouest » traite de la folie totalitaire. Encore de nos jours, le monde soviétique est-il passionnant car sans cesse tourmenté ?
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J’ai pu me rendre dans l’ancien bloc de l’est après la chute du mur de Berlin. Vous avez l’impression d’être un découvreur sur une autre planète. Je me souviens notamment de l’omniprésence de trois couleurs sombres (brun, gris, vert) et l’odeur de produits de nettoyage bas de gamme. A l’extérieur, personne ne vous regarde alors que lorsque vous entrez dans un logement, vous êtes très bien accueilli.

Comment un pays comme l’URSS aussi immense a pu être contrôlé autant ? Tout le monde surveillait tout le monde. Pour « Est-Ouest », j’étais allé tourner à Kharkov (actuelle Kharkiv) car il y avait la plus grande place centrale au monde. De tels espaces ont été conçus pour rappeler à l’individu qu’il fait avant tout partie d’une foule.

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Vous avez réalisé le polar « Pars vite et reviens tard (2007). C’était un pari de confier un rôle grave à José Garcia ?

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José avait déjà tourné d’autres films sérieux avec Costa Gavras et Richard Berry. C’est un acteur à la fois précis et délicieux.

Mon pari était de rendre vraisemblable l’histoire du roman de Fred Vargas au sein de Paris, une des villes les plus filmées au monde. J’ai arpenté plein de lieux afin de trouver la place du crieur. Je me suis même rendu au Havre. Puis j’ai eu l’idée de revenir au cœur de Paris avec Châtelet et Beaubourg. J’ai choisi ce dernier avec les sculptures de Nikki de Saint Phalle et l’église Saint-Mérri. J’ai également filmé la nuit sur les toits du Bon marché, d’Orsay et du Châtelet.   

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Vous avez été également acteur dans « Femme fatale » (2002) pour Brian de Palma.

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Brian était un ami. Il m’a demandé des conseils pendant l’écriture du scénario. « Femme fatale » est un hommage à « Sueurs froides » (1958) d’Alfred Hitchcock mais Brian voulait que l’intrigue se passe en France. Nous avons fait les repérages ensemble. Brian m’a ensuite proposé de mettre en scène l’avant-première de mon film « Est-Ouest » pendant le festival de Cannes. Je suis devenu le point central dans un plan séquence. Ce ne fut pas une expérience facile car je devais sans cesse réagir aux incidents. Brian était également très éloigné de nous. Il répétait juste sans cesse « One more ».

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Vous êtes membre de l’Académie des Beaux-arts. Que pensez-vous de la situation actuelle du cinéma français ?

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Nous naviguons à vue. Le public certes revient dans les salles mais pour voir avant tout des films de grosses productions. Le cinéma français avec des émotions, un budget moyen et respectueux du grand public est en train d’être perdu. Le public senior ne vient plus voir ce type de films. Les jeunes restent chez eux regarder une série ou un long métrage sur Netflix.

Un film qui faisait 800 000 entrées il y a dix ans, ne ferait même pas le double de nos jours. Le paradoxe c’est que c’est le plein emploi dans le cinéma car notamment Netflix et Amazon font des films français. Cependant, de telles œuvres ont une espérance de vie de quelques jours. La sortie salle, la promotion et la sortie DVD permettaient une réelle existence pour un film.

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Après « Le Temps des aveux » (2014), allez-vous réaliser un nouveau film prochainement ?

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Oui. Le projet est en pré-production. Nous espérons commencer le tournage avant la fin de l’année. C’est un vrai plaisir de réaliser à nouveau un film. Le cinéma doit avant tout être une envie. A chaque fois, je veux réaliser un film extraordinaire.

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