Il est toujours possible de faire d’être surpris par le coin de la rue. Vous tournez à gauche ou à droite et vous pouvez vous trouver face à la mort ou aux démons. Ces figures (monstrueuses) issues du folklore sont en fait des œuvres de l’artiste polonaise Berri Blue. Vous pouvez les retrouver à Paris, à Athènes et également à Porto. Associés à la femme mais aussi à l’érotisme, ces personnages fascinent par l’aspect macabre mais aussi par leur beauté. Cet art de rue peut même sembler apaisant si on y prête bien attention.

Entretien avec l’artiste Berri Blue sous le grand soleil de Porto.

.
.
.
.

Quand êtes-vous devenue artiste ?

.
.
.
.

Ma mère était une artiste, donc j’ai toujours grandi dans un environnement de création. Par conséquent, quand je suis allée à l’université, il était logique de postuler aux Beaux-arts. Cependant, ma mère voulait que j’étudie le graphisme afin que je puisse trouver un travail stable et gagner de l’argent ! J’ai commencé à étudier le graphisme au National College of Art & Design de Dublin, mais il est devenu évident que je n’étais vraiment pas fait pour ce type d’études. Je me suis finalement inscrite aux beaux-arts l’année suivante.

C’est à Dublin que j’ai commencé à faire de l’art de rue, mais c’était sous un nom différent. Ce n’était pas Berri Blue.

.
.
.
.

.
.
.
.

Votre nom d’artiste précédent était en effet JTB. Pourquoi l’avez-vous changé et pensez-vous que c’est maintenant un concept différent ?

.
.
.
.

JTB sont mes initiales. J’ai utilisé un symbole avec ces lettres comme signature. Après avoir déménagé au Portugal, je voulais tout changer. JTB semblait trop étrange.

Le plus drôle, c’est que mon nom signifie myrtille en polonais. Il était logique que mon nouveau pseudonyme soit Berri Blue. Je pense que c’est plus intentionnel que JTB.

.
.
.
.

Pourquoi vous êtes-vous installé à Porto ?

.
.
.
.

A mes 16 ans, en vacances, j’ai visité Lisbonne. La ville m’a beaucoup marqué. Sur le chemin du retour à l’aéroport, je me suis promis de revenir un jour au Portugal. Après nos études à l’université, mon mari et moi voulions quitter l’Irlande. Nous avons pensé que le Portugal pourrait être une bonne idée. J’ai visité Porto et j’en suis tombée amoureuse. La ville est vraiment charmante.

.
.
.
.

Votre art dépeint la féminité, la nudité, la religion et l’étrangeté. Est-ce une fenêtre sur un autre monde ?

.
.
.
.


.

Les origines de mon travail viennent de mon enfance. Ma mère était fascinée par l’art médiéval et m’a transmis cette passion.

J’ai aussi étudié dans une école catholique en Irlande. Même si ce n’était pas une bonne expérience, une grande partie de mon travail a également été influencée par cette période de ma vie. Au début de mes 20 ans, j’ai souffert d’une grande dépression nerveuse. On m’a finalement diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline. Pendant de nombreuses années de ma vie, cela a vraiment dominé mon art. Une grande partie de l’imagerie est viscérale et vous pouvez voir l’influence de la psychose.

Ma santé mentale dominait donc mon travail. De nos jours, c’est différent. Mes nouvelles œuvres parlent plus de mon identité polonaise. Je voyage plus souvent dans mon pays d’origine. Pendant desannées, je n’avais jamais vraiment senti que j’appartenais à une culture, et maintenant c’est comme si je découvrais à nouveau cette facette de moi-même.

.
.
.
.

Pourquoi les yeux de vos personnages restent-ils souvent blancs ?

.
.
.
.

Je pense que tout contact visuel peut être écrasant. Dès que vous regardez les gens dans les yeux, vous établissez des liens. Je veux montrer des figures humaines sans ce contact. De cette façon, vous pouvez vous concentrer sur autre chose. Avec les yeux, vous montrez une personne spécifique, un personnage ou une personnalité. Sans les yeux, vous supprimez cette identité particulière et la figure artistique est libre de symboliser autre chose.

Cela me dérange vraiment quand des personnes dessinent des yeux sur mes œuvres de rue parce que cela les recontextualisent et enlèvent le vrai sujet de l’œuvre.

.
.
.
.

.
.
.
.

Vos créations sont-elles des autoportraits ?

.
.
.
.

Certains d’entre eux, oui. Je ne travaille pas pour parler de l’état du monde. Mes œuvres sont très personnelles. Elles reflètent ma propre vie. D’une certaine manière, toutes mes pièces pourraient être considérées des autoportraits, mais certaines en sont plus que d’autres.

.
.
.
.

Votre travail représente souvent des démons et des figures de démons. D’où viennent ces images ?

.
.
.
.

Ces représentations de la mort proviennent d’un rêve que j’ai fait il y a de nombreuses années. Dans ce songe, je me souviens que j’étais avec ma grand-mère. Nous marchions sous le pont d’un chemin de fer. Puis j’ai vu cette grande silhouette de la Mort qui nous attendait. J’avais peur car je pensais qu’elle prendre ma grand-mère, mais quand nous sommes passés. Le monstre s’est penché et m’a embrassé.

Le lendemain, j’ai commencé la série Death street art. J’aime l’idée d’utiliser cette imagerie dans le street art pour donner aux gens la même impression étrange que j’ai pu vivre. Les passants peuvent voir cette silhouette menaçante au coin de la rue. Certaines personnes m’ont dit qu’elles avaient eu une peur terrible en rentrant chez eux ivres. Cependant, je n’ai pas voulu réaliser d’image d’horreur. Il s’agit plutôt d’une sorte de memento mori – un rappel que la mortalité fait partie de la vie et qu’elle peut nous attendre au coin de la rue.

Les figures démoniaques que j’ai intégré dans mon travail sont généralement assez ludiques et ironiques. Elles sont inspirées en partie des images de diables et de démons de l’art médiéval ainsi que des images du folklore polonais. À ces époques de l’histoire, les gens croyaient souvent vraiment en ces choses, mais il y avait toujours un aspect vraiment ludique et espiègle dans l’imagerie.

.
.
.
.

Aimez-vous montrer vos œuvres dans la rue ?

.
.
.
.

J’ai toujours considéré mon travail non pas comme du street art, mais comme de l’«art dans la rue ». Je ne me vois clairement pas comme une graffeure. Cela dit, il y a quelque chose de très beau à poser de l’art dans l’espace public. Mon travail est généralement assez spécifique à un site – mes azulejos sont d’ailleurs souvent créés pour s’adapter à un lieu particulier.

Tout mon travail débute avec une touche très personnelle, mais une fois que je l’ai mis quelque part, il ne m’appartient plus vraiment. L’œuvre débute alors sa propre vie.

Pour différentes personnes, elle a une signification différente, et ces différentes interprétations, cette interaction avec la ville, créent quelque chose de plus grand et de plus intéressant. Il y a une sorte de magie là-dedans.

Ce qui est bien dans le fait de travailler à l’international, c’est de constater que les réactions sont différentes selon le pays ou la culture.

Au Portugal, les passants sont rarement choqués par la vue des pénis et la nudité que je dessine. Beaucoup de Portugais ont une attitude très mature et comprennent que c’est juste une représentation d’un aspect de la personnalité, représentant la sexualité, plutôt qu’une représentation provocante du sexe. En Irlande et en Pologne, ces œuvres seraient perçues d’une manière très différente.

Bien que je veuille à rester fidèle à moi-même dans le travail que je crée, il est également important d’être prévenant. Mes azulejos peuvent rester pendant des années dans la rue. Si j’impose une image ou une certaine esthétique dans une rue, je dois penser au quartier et aux gens qui y vivent. Très simplement, s’ils ne l’aiment pas, l’œuvre ne restera pas sur les murs.

.
.
.
.

.
.
.
.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

.
.
.
.

J’expose à la Biennale de Florence en octobre prochain. C’est le grand événement de l’année pour moi. J’aimerais apporter quelques œuvres d’art de rue et les installer dans la ville. Peut-être dans d’autres villes italiennes également. Qui sait ?

Je vais installer également mes œuvres dans d’autres endroits en Europe et je vais continuer à travailler au Portugal.

En termes de sujet, j’ai quelque peu changé d’orientation et j’examine maintenant de nouveaux concepts autour de mon identité polonaise et de ma place en tant qu’étrangère. Je veux réaliser des images inspirées par les légendes et le folklore mais ne provenant pas d’une culture particulière. Il s’agit surtout d’un folklore personnel fictif, qui peut être interprété et lié à n’importe qui. Mon art est juste un reflet de mon identité culturelle paneuropéenne.

.
.
.
.

PARTAGER