Ecrites en allemand, traduites en néerlandais puis en français l’écrivain Jean Ray lui-même, les aventures Harry Dickson, le « Sherlock Holmes américain », ont sans cesse été modelées.

La genèse du personnage est elle-même pleine d’énigme puisque les premières histoires ont été écrites par un inconnu. Ce n’est qu’à Jean Ray que Dickson va sortir de l’ombre. Même après le décès que son auteur français, le détective va continuer sa vie sous différentes formes artistiques (illustrations, romans photos,…). Le cinéaste Alain Resnais tentera même à plusieurs reprises de réaliser des films à propos d’Harry Dickson.

Quoi de plus naturel que des auteurs de bande dessinée aient envie d’adapter les histoires de cet intrépide Sherlock Holmes du nouveau monde. Avec l’adaptation « Mysteras« , le français Doug Headline (scénariste) et les italiens Luna Vergari (scénariste) et Onofrio Catacchio (dessinateur) signent un album remarquable. Harry Dickson s’enrichit de références en tout genre et d’une atmosphère d’horreur. Et ce n’est que le début…

Entretien.


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Comment avez-vous découvert Harry Dickson et comment vous est venue l’idée de l’adapter en bande dessinée ?

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Doug Headline : Je suis lecteur de Jean Ray depuis l’enfance, soit dans les lointaines années 1960. Les aventures de Harry Dickson en volumes Marabout ont été l’un de mes tout premiers grands chocs de lecture, à vrai dire. J’ai par la suite dévoré tout ce que j’ai trouvé de Jean Ray, qui reste l’un de mes auteurs favoris, et je l’ai très souvent relu au fil des années pour savourer avec délices son merveilleux sens de l’évocation. Adapter Dickson avec la plus totale fidélité à l’écriture de Jean Ray était donc pour moi un très vieux rêve, qui se voit enfin réalisé.

Luana Vergari : J’ai découvert Jean Ray au lycée expérimental que j’ai eu la chance de fréquenter, car certains de ses contes, ainsi que ceux de Claude Seignolle, figuraient à son programme de littérature. J’ai été très heureuse de le retrouver dans les aventures de Harry Dickson à l’âge adulte, une fois que j’ai déménagé en France. Véritable passionnée de littérature populaire, j’ai tout de suite aimé les aventures audacieuses et rocambolesques de ce détective actif et décidé.

Onofrio Catacchio : Il y a quelques années, alors que je faisais des recherches pour une bande dessinée sur Joe Petrosino que j’étais en train de réaliser, j’ai découvert que les histoires de Harry Dickson étaient traduites sous le titre « Les enquêtes de Joe Petrosino, le Sherlock Holmes américain ». Lorsque Luana et Doug m’ont suggéré d’adapter les histoires de Harry Dickson de Jean Ray en bande dessinée, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une coïncidence étonnante et je me suis immédiatement mis au travail. De Ray, je ne connaissais que Malpertuis et de Harry Dickson, je savais qu’il existait des versions précédentes en bande dessinée que j’ai parcourues afin d’approfondir le personnage.

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Harry Dickson fait écho à Sherlock Holmes. Dans la bande dessinée, l’atmosphère et le dessin sont-ils inspirés de Blake & Mortimer ?

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Onofrio Catacchio : Je crois que pour bien rendre la teneur des histoires de Harry Dickson, la référence à l’œuvre de Jacobs est inévitable. Le défi est de rester dans ce sillon traditionnel tout en essayant de faire un album qui appartient visuellement à notre époque.

Luana Vergari : Doug et moi avons en effet proposé une orientation graphique dans ce sens, mais par la suite, à mon avis, Onofrio a brillamment trouvé une façon personnelle et originale de construire son univers visuel à partir de ces références.

Doug Headline : Quand on s’attaque à un personnage aussi « old school » qui a plus de cent ans d’existence, l’un des enjeux est de conserver tous les codes narratifs que le lecteur attend de telles aventures. Alors, certes, on garde en tête le graphisme de Jacobs et l’envie d’aller sur ce territoire, mais la proposition n’a de l’intérêt que si on lui apporte quelque chose d’autre. Dickson n’est ni Francis Blake, ni Sherlock Holmes, il est simplement Dickson et existe dans son propre univers visuel, défini par Jean Ray.

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Une telle adaptation permet-elle d’apporter de nouvelles idées ?

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Luana Vergari : Les idées neuves sont surtout dans les choix de découpage et d’adaptation de certains passages. Compte tenu de la perfection des dialogues et de l’amour que Doug et moi nous portons tous les deux à Jean Ray, nous avons essayé de conserver au maximum le texte original.

Onofrio Catacchio : Le défi consiste à rendre la nature classique de ces histoires acceptable pour les lecteurs modernes, plus avisés, en inventant à chaque page des « gimmicks » visuels capables de rendre le récit pertinent. Un peu comme Jean Ray, à chaque page, nous devons trouver un « truc » qui fera avancer l’histoire, en espérant que les lecteurs vont l’apprécier.

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La représentation de Mysteras a-t-elle fait l’objet d’un débat ?

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Doug Headline : Un peu, oui. Jean Ray fait appel à Fantômas par son nom, la connivence avec Jacobs convoque l’image de la Marque Jaune, et il y avait aussi la référence du Fantomax créé en Italie par Onofrio et Luigi Bernardi. Nous avons voulu à la fois intégrer tout ceci et nous en dégager. Ainsi, Mysteras est une créature imaginaire et protéiforme…

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La nuit a une multitude de couleurs (bleu, rouge, vert). Est-ce une façon d’ajouter une touche fantastique ?

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Onofrio Catacchio : La palette « fantastique » de Mysteras est entièrement due à Hiroyuki Ooshima. Doug a su convaincre Hiroyuki de rejoindre notre équipe. Son interprétation des couleurs a été un plus extraordinaire pour l’album.

Luana Vergari : La couleur de Hiroyuki apporte beaucoup à l’histoire, elle accentue bien les changements narratifs et se marie à merveille avec le dessin d’Onofrio. L’effet créé par la juxtaposition des deux est, à mon sens, très intéressant.

Doug Headline : Hiro-san est un immense coloriste. Je venais de travailler avec lui sur l’album Marécage d’Antonio Zurera, pour lequel il a proposé des solutions chromatiques d’une inventivité extraordinaire. Il m’a semblé qu’il pourrait apporter une modernité sensationnelle aux aventures de Dickson. C’est un maître de la couleur, capable de passer d’un univers graphique à un autre avec un regard neuf à chaque fois.

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En plus des bandes dessinées, il y a aussi une histoire du travail de Jean Ray (ainsi que de nouvelles illustrations). Cet intérêt s’est-il développé au cours de la production ?

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Onofrio Cattachio : Bien sûr, sa biographie est extraordinaire et sa valeur littéraire incontestable. Doug et Luana réalisent une adaptation minutieuse, respectueuse et fidèle de son œuvre. Avec mes dessins, je me sens beaucoup plus « libre » d’interpréter.

Luana Vergari : Comme toujours, lorsqu’on s’immerge dans une œuvre ou un auteur que l’on connaît déjà et que l’on se met à travailler dessus, on commence à se  » nourrir  » de son univers, alors, en ce sens, oui, notre intérêt s’est accru de manière exponentielle au cours du travail.

Doug Headline : Je l’ai dit : fan de Jean Ray depuis l’enfance, je reste passionné par cet homme complexe, par sa vie et la légende qu’il s’est forgé, autant que par la saga invraisemblable des épisodes de Dickson. Donner envie aux lecteurs de le redécouvrir, lui-même et ses œuvres, tel est aussi notre souhait initial et le but de notre démarche.

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« La Cour d’épouvante » sera-t-il un album différent de Mysteras ?

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Onofrio Catacchio : « La Cour d’épouvante » est la suite de Mysteras, l’ennemi juré va réapparaître et croiser à nouveau le chemin de Harry Dickson… Dans cette histoire, cependant, le détective sera plus impliqué émotionnellement et sa chasse au criminel va lui faire traverser des phases où il rencontre l’angoisse et le doute .

Doug Headline : L’épisode est tout aussi rocambolesque, voire plus, que le précédent. Les rebondissements en cascade se succèdent et l’imagination fertile de Jean Ray se déchaîne. Tribunal spectral, cirque maléfique, secte hindouiste, mascarades et impostures, tout y passe… Et bien sûr, l’intrigue se dénouera dans une confrontation finale frappante entre Dickson et Mysteras.

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