Il est l’une des figures majeures de la Révolution française et souvent présenté comme le premier communiste, Gracchus Babeuf est un personnage qui mérite d’être davantage plus connu. Repris par les partisans de la contre-révolution pour ces propos de « populicide », le « Marat de Picardie » est à la fois un penseur et un homme d’action. Meneur infortuné de la Conjuration des Égaux, Babeuf est guillotiné par le Directoire le le 27 mai 1797 (8 prairial an V). Ses idées vont pourtant perdurer. Le courant de pensée, le Babouvisme, va grandement influencer le XIXème siècle et accompagnera jusqu’à nos jours les luttes sociales.

Entretien avec l’historien Jean-Marc Schiappa, auteur de la biographie « Gracchus Babeuf » (2023).

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Parmi toutes les autres figures politiques de la Révolution française, en quoi Gracchus Babeuf se distingue ? Se différencie ?

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Il est le premier à vouloir mettre en place une société dont est exclue la propriété privée, il veut une société communiste, même si le terme n’existe pas encore à l’époque.

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Fortement inspiré par la pensée de Rousseau, Babeuf le révolutionnaire veut-il tout de même aller plus loin – quitte à contester le philosophe ?

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Oui, pour des raisons expliquées dans la question précédente. Rousseau ne remet pas en cause la propriété (il la conteste, il l’explique mais c’est tout). Babeuf est un fervent rousseauiste et, pourtant, sur tous les points – sauf certainement sur la méthode – il se détourne de lui. Sur des questions secondaires (le théâtre, par exemple) Mais la critique est parfois plus radicale et porte sur des questions de fond. « Jean-Jacques Rousseau n’a vu que Genève, ne s’est occupé que de Genève, n’a pensé, réfléchi, conjecturé que Genève », écrit-il dans les Lueurs philosophiques.

Et, allant plus loin encore pour caractériser une certaine étroitesse de vue, il dépeint le souhait rousseauiste de « faire prospérer son petit champ, sa petite prairie, sa petite vigne, sa petite basse-cour ».

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Quel est l’avis de Gracchus Babeuf sur le Christ (ce sans-culotte selon le journal Le Père Duchesne) ?

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Babeuf n’est pas seulement anticlérical et athée. Il est antichrétien, il récuse tout rôle positif au christianisme et à l’image de Jésus Christ. Il écrit que Rousseau ne lui a jamais paru si petit quand il était élogieux envers Jésus.

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Pour quelles raisons François Noël Babeuf devient Camille puis Gracchus ?
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Il n’est pas le seul, les révolutionnaires ont tout changé, tout renommé, créé un monde nouveau, avec des départements aux noms nouveaux, avec un système de poids et de mesures nouveau, avec un calendrier nouveau etc. Pourquoi n’étendraient ils pas ce renouvellement à leur propre prénom ?

Camille est le prénom symbolisant la concorde. Babeuf réalise que la concorde n’est pas un bon choix et prend le prénom de Gracchus en hommage au Tribun romain qui représentait la volonté de réformer sociale.

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Partisan de l’abolition de l’esclavage et de l’égalité politique entre les hommes et les femmes, adversaire des impôts indirects, favorable à l’instauration d’une République,… dès les premières années de la Révolution, Gracchus Babeuf est-il considéré comme une personnalité trop radicale – un « Marat de Picardie »- ?

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Oui, il est arrêté à plusieurs reprises, on parle de l’envoyer à la rivière et il doit quitter la Picardie pour se réfugier à Paris.

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Comment expliquer la critique de Babeuf contre Robespierre surnommé « L’exterminateur » ? Pourquoi parle-t-il de populicide pour la guerre en Vendée ?

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Il y a plusieurs raisons convergentes ; d’abord, une extrême confusion après Thermidor, ensuite, Babeuf foncièrement est contre toute violence (il invente le concept de « insurrection pacifique »). Il faut rappeler que cette critique de Robespierre est fort brève, qu’il reviendra sur cette question et qu’il ne critique jamais les buts sociaux de Robespierre.

La formule « populicide » est liée à une idée étonnante mais relativement populaire à l’époque suivant laquelle il aurait fallu adapter la population à ce que le pays pouvait produire, idée qui n’a jamais existé. Une fake news en somme.

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La récupération des propos de Gracchus Babeuf par ceux qui défendent l’idée de genocide vendéen est-elle selon vous justifiée ?

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Pur baratin. On sollicite les textes, on les déforme. Avec une arrière pensée à peine cachée. Si la Guerre de Vendée est un génocide, si toute guerre est un génocide, les nazis ne sont pas si coupables que cela… L’accusation de génocide pour la Vendée vient de l’extrême droite.

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La Conjuration des Égaux menée par Gracchus Babeuf avait-elle des chances de renverser le Directoire selon vous ?

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Non. La sans-culotterie était brisée depuis l’échec de l’an III, le prolétariat n’existait pas encore et surtout, le silence de la paysannerie, attachée aux conquêtes de la Révolution, interdisait tout succès même éphémere. Ce qui ne veut pas dire que la tentative n’était pas sérieuse.

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Le 8 prairial an V (27 mai 1797), Gracchus Babeuf est guillotiné après une tentative de suicide. Y’a-t-il eu le souvenir de martyre au même titre que celui de Robespierre ?

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Oui, dès le Second Directoire, on parle des martyrs de Vendôme. En 1828, Buonarroti écrit que la tombe de Babeuf était entretenue par les habitants, ce qui est faux. Ce souvenir, cette fin en martyr a joué beaucoup.
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Est-il juste de qualifier Gracchus Babeuf comme le premier communiste?
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Non, ce n’est pas le premier communiste (le frère dominicain et philosophe italien Tommaso Campanella, par exemple) mais c’est le premier communiste politique. Il sort de l utopie pour faire du communisme un projet politique. J’écris que c’est le premier communiste politique, c’est tout à fait différent.

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Qu’est-ce qui vous surprend encore chez Babeuf ?

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Toute personne qui travaille à fond sur un sujet est toujours étonné du fait, qu’en réalité, ce qu’il ignore ou découvre est toujours plus important que ce qu’il croit savoir. Cela renvoie à beaucoup d’humilité et c’est très enthousiasmant, en fait.

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