Les schtroumpfs, Poussy, Johann & Pirlouit ou encore Benoît Brisefer,… Le monde du dessinateur Peyo était riche en personnages. Deux compères sont parfois oubliés mais qui méritent pourtant toute notre attention car ils ont su évoluer selon les artistes qui les ont illustrés.

Jacky & Célestin est une série de bande dessinée belge qui a su passionner les jeunes lecteurs des années 60. Entre 1963 et 1965, proche de l’âge de ses personnages, François Walthéry a su imposer sa signature. Jeunes intrépides, Jacky & Célestin précèdent Natacha, l’hôtesse de l’air.

Les éditions du tiroir viennent de paraître l’intégralité des albums réalisés par François Walthéry. Dans une introduction complète, le journaliste spécialisé Bertrand Pissavy-Yvernault présente l’historique et le travail du dessinateur. Une façon de remettre Jacky & Célestin au goût du jour.

Entretien avec Bertrand Pissavy-Yvernault.

.
.
.
.

Comment est née la série Jacky et Célestin ?

.
.
.
.

Peyo travaillait à l’époque pour les pages jeunesse du journal Le Soir illustré. Il y dessinait les gags du chat Poussy, que les éditions Dupuis avaient le projet de faire reprendre dans le journal de Spirou. Cependant, Peyo ne voulait pas abandonner un journal envers lequel il estimait avoir une certaine dette. Pour remplacer Poussy, il a alors créé une autre série, Benoît Brisefer. Regardant ce nouveau personnage, Charles Dupuis s’est dit qu’il était trop bon pour le laisser filer à la concurrence et a réussi à convaincre Peyo de le rapatrier dans Spirou. Mais le problème de dette envers le Soir illustré restait entier. Il alors conçu une nouvelle série, Jacky & Célestin, et demandé à Will (Willy Maltaite) de l’illustrer. Ce dernier travaillait alors pour le journal Tintin comme directeur artistique mais cherchait à redevenir dessinateur.

Peyo et Will ont donc créé tous les deux Jacky & Célestin, le premier écrivant les histoires, le second les dessinant. Il s’agit d’une série avec des personnages mi-adultes mi-adolescents, qui mènent des enquêtes ou vivent des aventures policières. Cependant, elle n’a été pensée que pour la presse. Il n’était pas question d’albums. Au même titre que Walt Disney, Peyo a impulsé de nombreux projets comme celui-là et a fait travailler des collaborateurs sous son label. Cette série est typique de sa méthode puisque beaucoup d’auteurs se sont succédé dessus. Il faut dire que Peyo était alors lui-même  très occupé avec les Schtroumpfs et Johan & Pirlouit. Jacky & Célestin était une espèce de série B qui avait pour but de tester les jeunes dessinateurs du studio Peyo.

.
.
.
.

Jacky est garagiste et Célestin romancier. Leurs activités et leurs personnalités vont-elles évoluer au fil des aventures ?

.
.
.
.

Leurs métiers n’interviennent pas vraiment dans les intrigues, même s’ils sont cités. Au même titre que Spirou, Buck Danny ou Gil Jourdan, les personnages de bande dessinée jeunesse avaient alors des fonctions précises. C’est d’ailleurs pour cela que Gaston Lagaffe s’est appelé « Le héros sans emploi » car il prenait le contre-pied des autres personnages qui étaient tous journalistes, pilotes d’avions, détectives ou cow-boy.  

.
.
.
.

La série Jacky & Célestin fait-elle peau neuve avec l’arrivée du dessinateur François Walthéry qui, comme les personnages, est un adolescent ?

.
.
.
.

A 17 ans, Walthéry va en effet impulser toute son énergie dans la série. Il est né pour faire de la bande dessinée et a accepté la proposition de Peyo avec toute l’inconscience de sa jeunesse, lui qui n’avait alors jamais dessiné d’aventure de 44 planches.

.
.
.
.

.
.
.
.

A-t-il dû faire ses preuves avant d’être vu comme le dessinateur ? Le Soir illustré présente Will comme le dessinateur.

.
.
.
.

Il s’agit d’une époque (les années 60) ont les noms des auteurs apparaissent peu. Walthéry, quant à lui, n’a aucune exigence en la matière. Il considère qu’il a déjà une grande chance de réaliser des bandes dessinées. Il signe ses planches sous le pseudonyme de Pop’s , mais le bandeau-titre de la publication ne le mentionne pas. Il y est écrit : « dessins de Will ».

.
.
.
.

Jacky & Célestin n’hésitent pas à affronter de redoutables gangsters et à faire le travail de la Police. Sont-ils tout de même totalement imprudents ?

.
.
.
.

Publié dans le supplément jeunesse du Soir Illustré, parmi des jeux et des contes, la série Jacky & Célestin s’adresse à un public très jeune. Leurs aventures ne s’embarrassent pas de crédibilité, c’est de la BD classique dans toute sa splendeur. Le genre a évidemment beaucoup évolué et un lecteur qui découvrirait la série aujourd’hui la trouverait peut-être bien naïve. Mais elle est emblématique d’une époque.

.
.
.
.

.
.
.
.

Où est passé Vicq le scénariste de « Vous êtes trop bon » ?

.
.
.
.

Il existait très peu de véritables scénaristes de BD à l’époque. Vicq était un collaborateur du journal Spirou, alors à ses débuts. Il deviendra ensuite le scénariste de « Sophie » pour Jidéhem, de « Taka Takata » pour Jo-El Azara, ou de « La ribambelle » pour Roba. C’était quelqu’un de très imaginatif, qui a notamment succédé à Goscinny sur Lucky Luke, avec un excellent épisode, « Le Magot des Dalton » (1980). Et en 1963, comme Peyo était très occupé, il lui a délégué l’écriture de Jacky & Célestin, ne faisant que superviser le texte en modifiant par exemple certains dialogues ou éléments de découpage. Vicq aurait certainement pu avoir une grande carrière mais il était assez instable. A la fin des années 80, il a totalement disparu de la circulation et plus personne n’a entendu parler de lui. Souffrant d’alcoolisme, il lui arrivait de ne donner plus de nouvelles pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines, ce qui compliquait évidemment le travail avec lui. Je sais qu’Yvan Delporte, qui avait été rédacteur en chef de Spirou, a fait des recherches et a fini par retrouver sa trace à la fosse commune.

.
.
.
.

Scoutisme, service militaire,… les aventures de Jacky & Célestin deviennent-elles un reflet de la vie de François Walthéry ?

.
.
.
.

Il a toujours mis beaucoup de lui-même dans ses séries, dans lesquels il a par exemple toujours caricaturé ses amis. Natacha en est notamment un parfait exemple. Ayant été lui-même chef scout, Gos, qui avait entretemps succédé à Vicq au scénario, lui a proposé d’écrire un épisode situé dans l’univers du scoutisme. Ensuite, lorsqu’il est parti faire son service militaire, il s’est passé la même chose puisque « Sur la piste du Scorpion » était situé pour une bonne part dans sa propre caserne, toujours à l’initiative de Gos. Ce qui est remarquable, c’est qu’il soit parvenu à dessiner sa planche hebdomadaire de « Jacky et Célestin » tout en étant militaire. Il a eu la chance de tomber sur un officier qui aimait beaucoup la BD et qui a mis un local à sa disposition pour qu’il puisse travailler. Dans cet épisode, il s’est d’ailleurs mis en scène avec ses copains de chambrée à plusieurs reprises. On le voit notamment un peu éméché, fêtant la quille ! 

.
.
.
.

.
.
.
.

Gos propose un scénario anti armée de terre. Est-ce tout de même des bandes dessinées qui se moquent de l’autorité ?

.
.
.
.

Oui mais cela reste sympathique. II ne s’agit pas d’un pamphlet non plus !  Il se trouve que Gos avait été militaire de carrière, et qu’il avait passé 11 ans dans la marine. Il avait alors eu l’occasion de former les jeunes soldats de l’armée de terre. Et ceux-ci avaient tendance à passer pour des bidasses aux yeux des marins. Alors, il s’est gentiment moqué d’eux dans son scénario car ils avaient la réputation d’être un peu bornés. Mais rien de méchant. Juste quelque chose à la « Mais où est passée la 7ème compagnie » (1973) – le film de Robert Lamoureux!

.
.
.
.

Quelle est la place des femmes dans Jacky & Célestin ?

.
.
.
.

Dans les années 1960, le monde de la bande dessinée jeunesse reste très masculin – La première vraie héroïne du Journal de Spirou sera Sophie, de Jidéhem, mais il ne s’agira que d’une fillette. Pas question de dessiner de vraies femmes. Les rédactions sont alors très frileuses avec les personnages féminins car elles craignent la censure.

Dans « Le Chinois est rancunier », une jolie jeune fille apparaît pourtant auprès de Jacky & Célestin. Selon Walthéry, elle serait d’ailleurs la première esquisse de Natacha. Il faut dire que Walthéry adorait dessiner les filles. Il faudra pourtant attendre encore deux ou trois ans pour que des héroïnes adultes fassent leur apparition dans la BD belge, Natacha et Yoko Tsuno en tête.

.
.
.
.

Yoko Tsuno, Natacha, Benoît Brisefer… Jacky & Célestin est-il avant tout un laboratoire d’idées ?

.
.
.
.

Jacky & Célestin a permis à des jeunes dessinateurs de se faire la main. Will n’était certes pas un débutant lorsqu’il a dessiné la série pendant un moment mais son cas est un peu différent car c’est lui qui a donné leur physionomie aux personnages. Des gens comme Jo-El Azara, Walthéry, Gos, Francis ou Roger Leloup étaient tous plus ou moins novices lorsqu’ils ont travaillé sur Jacky et Célestin. C’est d’ailleurs amusant de se dire que le personnage de Yoko Tsuno, que Leloup lancera en 1970, avait été créé pour un épisode Jacky et Célestin qui ne sera finalement jamais finalisé. Comme quoi, la série aura été à l’origine de deux séries majeures des années 1970, Natacha et Yoko Tsuno. Et un des scénarios de Jacky et Célestin, que Gos avait conçu mais qui ne fut jamais réalisé, donnera la matière d’un album de Gil Jourdan, « Sur la piste d’un 33 tours ».  Qu’on qualifie donc aujourd’hui Jacky et Célestin de « série-laboratoire » n’est donc pas une formule totalement usurpée !

.
.
.
.

PARTAGER