Manger est une nécessité. Autant que ce soit alors aussi un délice. Manger est en outre un moment clé. Face à son assiette, on se pose; face à ses convives, on échange. C’est ainsi que la gastronomie s’est forgée – en dégustant.

Encore de nos jours, nous recherchons les goûts et les saveurs qui nous correspondent mais aussi qui nous séduisent. Un plat doit toujours être une découverte. Alors que certains écoutent de la musique ou regardent des films, d’autres mangent à notre place puis donnent leur avis. Le métier de critique gastronomique intrigue parce qu’il est bien souvent secret. Pour ne pas être favorisé, le chroniqueur se cache voire se déguise.

Pour nous, François Simon se fait discret depuis plus de 40 ans. Il déguste en France mais aussi dans le reste du monde. Ses écrits tout comme ses vidéos nous font partager son intérêt mais aussi son plaisir de savourer les petits détails de la vie.

Entretien avec un critique anonyme.

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Vous avez travaillé pour de nombreux journaux et guides, vous avez écrit dans plus d’une quarantaine de livres et vous réalisez des vidéos. Peut-on dire que ce que vous préférez c’est l’appétit ?

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L’appétit suppose une constance, une puissance et un tempérament que je n’ai pas. Je dirais plus que je suis guidé par la curiosité et la complexification des situations. Tout cela me dézone et me déstabilise.

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En tant que critique gastronomique, les lecteurs vous font confiance et vont suivre vos conseils. Vous dégustez pour les autres. Donnez-vous votre avis comme si vous le donniez à un ami ?

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Même si je construis un univers de confidence, je n’ai pas l’impression de m’adresser à un ami.

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Les repas doivent-ils être les meilleurs moments de la journée ?

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Non. Lorsque je dois me rendre dans 50 restaurants à Dubaï ou à Tokyo, je dois être honnête : Ce ne sont pas les meilleurs moments de la journée. Ce sont bien souvent des moments de tension. Mentalement, c’est lourd.

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© Francois Simon
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Vous craignez d’être reconnu ?

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Non car on ne fait pas attention à moi. J’ai cette chance d’être transparent. Lorsque je demande l’addition dans un restaurant, on ne me voit quasiment pas. Je ne diffuse aucun fluide qui permettrait d’avoir l’attention d’autrui.

Je suis quelqu’un de très discret. Je filme certes mais comme tous les connards au restaurant.

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Mondialement connue, historiquement célébrée, la cuisine française est-elle pourtant toujours aussi pertinente ?

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Elle a une très haute idée d’elle-même. C’est une bonne chose. Dans ce qu’ils déploient, les prétentieux sont toujours intéressants. Le défi d’être la meilleure cuisine du monde ou le meilleur restaurant m’est totalement étranger. Il n’y a pas de meilleure cuisine. Je parcours le monde et je peux dire qu’il est impossible de désigner le meilleur restaurant au monde.

Même la désignation du repas comme appartenant au patrimoine immatériel est le comble de l’absurdité. Nous mangeons car nous n’avons pas le choix. 

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En quoi la cuisine asiatique est-elle aussi pertinente ?

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Beaucoup n’ont pas la bonne grille de lecture pour l’apprécier. Certains vont juger la cuisine asiatique comme fade ou trop épicée. Cela me passionne car notre système d’approche ne fonctionne plus. C’est le début d’autre chose. Je m’intéresse aux cultures culinaires que les gens sous-estiment ou mésestiment.

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La douloureuse [l’addition] est-elle trop douloureuse ces derniers jours ?

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Il y a un malentendu lorsqu’on critique les grands restaurants. Ils sont chers car le lieu est exceptionnel tout comme le décor, l’argenterie ou le personnel. L’addition est douloureuse lorsqu’on se méprend. Des centaines d’Euros pour un repas pour deux sont justifiés.

Je considère également que déguster un sandwich dans un endroit aussi agréable que le Jardin du Luxembourg peut vous permettre de constituer une dimension gastronomique à sa main et à son goût. La question du coût ne se pose pas. On peut être bienheureux avec peu.

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Vous sillonnez la France et vous parcourez le monde. Alors que d’autres privilégient le chez soi, avez-vous une préférence pour l’ailleurs ?

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Chacun a sa définition du plaisir et du bonheur. Il est important de trouver ce qui nous fait plaisir. Nous sommes dépositaires d’un immense bonheur mais nous l’ignorons. Pourtant il nous entoure.

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Cuisiner peut-il être un plaisir ?

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Le fait de cuisiner et donc de donner est un acte magnifique. Se nourrir soi-même c’est avoir une bonne approche de soi. J’ai pu remarquer par exemple qu’en Corée du Sud, la cuisine s’apparente à une culture médicinale. Cuisiner pour soi-même est aussi un plaisir tout à fait simple et accessible.

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Avec Internet, il y a eu la démocratisation de la critique gastronomique. Y’a-t-il de l’excès ?

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© François Simon

Il y a beaucoup de cruauté surtout venant de la part de ceux qui ne connaissent pas le sujet. La critique est pourtant une véritable mise en perspective. Vous ne pouvez traiter un bistrot comme un restaurant gastronomique.

Je suis perçu comme un gastronomique redoutable. Cela m’amuse car je ne le suis pas. Lorsqu’on me désigne comme impitoyable cela veut dire qu’on perçoit en moi une certaine forme de courage. Tant mieux car je ne suis pas courageux.

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Les restaurants gagnent ou perdent les étoiles. De telles décisions sont de nos jours de plus en plus décriées. Comprenez-vous la critique de la critique ?

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J’ai toujours trouvé que le fonctionnement du guide Michelin s’apparente à du sadisme. Je le lis depuis 40 ans et j’observe une volonté de casser des chefs qui ont pourtant été des adorateurs du guide. La perte d’étoiles comme celle de Guy Savoy fait partie du processus de médiatisation. Le guide Michelin perd au fil des années sa crédibilité.

Il y a 20 ans, il était lisible car le champ critique était facile à classer. Vous pouviez classer aisément les meilleurs restaurants de France sans vous tromper. Les chefs opéraient tous le même style de cuisine néo-bourgeoise. De nos jours, il y a une telle diversité. Sur une seule et même place parisienne, vous pouvez trouver un restaurant italien, une brasserie, un restaurant asiatique,… Comment pouvez-vous les comparer ?

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© François Simon
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Quel est le restaurant à essayer de nos jours ?

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J’ai aimé la cuisine du restaurant Vantre à Paris. C’est un mélange de goût français et des touches japonisantes.

Je conseille également Villa 9Trois à Montreuil. J’y allais pourtant à reculons car les restaurants gastronomiques m’ennuient. La cuisine était bonne et j’ai apprécié le service. Le personnel est modeste. Par son langage et ses gestes, le service est bien souvent en décalage. Le restaurant est comme un théâtre. Chaque geste doit être pensé car le service s’interpose dans votre champ visuel. Un mauvais service peut gêner votre repas.

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La pâtisserie est-elle une exception française ?

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Je ne comprends pas ce terme. Dans le monde entier, vous pouvez trouver de la pâtisserie. Même au fin fond des Andes, vous trouvez de la gastronomie. J’ai du mal avec l’approche franco-française de la gastronomie qui prétend que nous avons tout et que les autres n’ont rien.

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Vous avez écrit « Politique du jambon-beurre » sans aborder le sandwich, vous parlez également de vos voyages en train. Vous allez au-delà de la cuisine gastronomique. Aimez-vous déborder ?

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Dans tout plaisir, il y a une transversalité. Lorsque vous dégustez un œuf à la coque, votre plaisir ne se limite pas au goût. Vous pouvez également apprécier la cuillère, la nappe, le pain grillé ou le lieu. Un œuf à la coque peut être un début d’une déraison. Le plaisir commence lorsque vous sortez le jaune de l’œuf à la coque.

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Peut-on avoir un coup de foudre gastronomique ?

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Il y a des moments irrationnels car vous êtes par exemple avec la bonne personne ou avec le bon état d’esprit. Il a plu, le restaurant est presque vide, le serveur ne parle pas trop, l’odeur du lieu sent bon… J’avais demandé un jour au chef Olivier Roellinger quel était le meilleur homard qu’il avait mangé. Il a répondu que c’était au restaurant La Duchesse Anne à Cancale. Roellinger a terminé son argumentation en disant que le homard avait pourtant été trop cuit… Finalement, l’excellence vous empêche d’accéder au plaisir.

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Zahia Dehar a repris votre texte pour l’une des stories d’Instagram. Est-ce un hommage ?

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Elle m’a laissé un message afin d’obtenir mon autorisation. La vidéo est délicieuse.

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Quelles sont vos futures envies ?

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Je suis la maxime du philosophe Nietzche : « Ne pas penser ». Je veux avoir le champ le plus ouvert possible pour quelque chose de bien et de nouveau. Ma vie a toujours été le fruit de circonstances et jamais d’envies particulières. Je n’ai jamais été déçu. Je vais là où je n’ai pas pensé aller.

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