« La mer, la mer grise » écrit Pierre Loti dans son chef d’œuvre « Pêcheur d’Islande » (1886). L’écrivain s’est comme laissé emporter par son récit. L’histoire traite d’une histoire d’amour mais pas seulement c’est tout un univers qui est mis en scène : La mer, le vent, les « Islandais » (comme on désignait ces pêcheurs qui partaient si loin), leurs épouses, la Bretagne. Livre du XIXème siècle, « Pêcheur d’Islande » méritait d’être revisité sous un nouveau format. Alexandre Noyer en a réalisé une bande dessinée à la fois moderne et captivante. Les visages, les couleurs et les paysages sont uniques. « Pêcheur d’Islande » mérite un détour.

Entretien avec le dessinateur Alexandre Noyer.

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Vous avez été un abonné aux fanzines et aux jeux de société mais jamais d’album avant « Pêcheur d’Islande ». Pourquoi un tel intérêt pour le roman de Pierre Loti ?

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J’en ai eu l’idée il y a 2 ans. Je connaissais Pierre Loti mais je n’avais encore rien lu de ses écrits. J’ai de la famille en Bretagne par alliance. Mon beau-père, qui tient la quincaillerie Jézéquel à Paimpol, m’a conseillé de lire « Pêcheur d’Islande ». J’ai beaucoup aimé l’histoire notamment l’aspect pictural des descriptions de Pierre Loti. J’ai eu l’envie de l’adapter en bande dessinée.

Pendant un an, j’ai continué mon travail d’illustrateur tout en étant sur le projet « Pêcheur d’Islande ». L’année suivante, je me suis consacré pleinement à cette bande dessinée. J’ai également fait beaucoup de recherches sur l’époque. Je ne voulais aucun anachronisme. Cela m’a demandé beaucoup de temps.

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Pourquoi avez-vous fait le choix du sombre ?

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En lisant « Pêcheur d’Islande », j’avais l’impression que la mort planait au-dessus des personnages. Au départ, je voulais réaliser une bande dessinée uniquement en noir & blanc mais ce fut un obstacle dans la conception des paysages bretons. J’ai opté pour une couleur grise.

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Comment avez-vous dessiné Gaud ?

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Je voulais qu’elle se détache des autres personnages. Sa grand-mère est très ridée et les marins ont une forte pilosité. Gaud n’est pas à sa place.

Je réalise actuellement le tome 2. Le visage de Gaud se durcit suite au décès de son père. Elle perd son côté enfant.

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Vous êtes-vous détaché des œuvres d’Edmond-Adolphe Rudaux ?

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J’ai un exemplaire de « Pêcheur d’Islande » avec les gravures de Rudaux. Je me suis amusé à m’en inspirer de temps en temps. Mes images, posées par ci par là, sont des hommages au travail de Rudaux. Par contre, je me suis interdit de voir les adaptations cinématographiques de « Pêcheur d’Islande » (même les films muets). Je craignais d’être influencé. Je voulais rester au plus proche du récit de Pierre Loti.

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Y a-t-il une part japonisante dans la bande dessinée ?

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Les champs, les contre-champs et les clairs obscurs des estampes japonaises me plaisent beaucoup. Je suis également un grand admirateur du travail du réalisateur Akira Kurosawa. Sa manière de composer ses plans épurés et sa façon de créer le mouvement m’ont beaucoup influencé.

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« Pêcheur d’Islande » est-il votre hommage à la mer ?

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C’est surtout un hommage aux hommes de la mer. Les femmes, qui guettent l’horizon dans l’espoir d’apercevoir le bateau de leur époux, sont aussi glorifiées. J’ai voulu poser une scène originale.

Cependant, je ne voulais pas d’une Bretagne trop carte postale. J’ai par conséquent dessiné des landes sauvages presque hostiles. 

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Qu’est-ce qui vous a inspiré les visages ?

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J’ai regardé beaucoup de photos de « loups de mer ». Leurs visages sont particulièrement rudes. Les traits du dessinateur Manu Larcenet m’inspirent également. J’ai étudié travail de concept artist sur des personnages par Ian McQue. Il s’agit d’un procédé utilisé dans les jeux vidéo. J’aime beaucoup la manière de McQue de créer des personnalités. De telles  « gueules » de personnages m’inspire beaucoup.

Les figures de certains personnages sont également venues avec le fruit du hasard.

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Avez-vous eu des difficultés à retranscrire les écrits de Pierre Loti ?

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La rencontre entre Yann et Gaud a été un exercice difficile. Les échanges sont longs. J’ai dû résumer la scène. Les scènes de mer déchaînée ont également été difficiles. J’ai dû regarder des vidéos de tempête pour m’aider.

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Quels sont vos projets ?

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Je travaille beaucoup sur le tome 2 de « Pêcheur d’Islande ». Ensuite je verrai. Je ne pense pas que je réaliserai à la suite une nouvelle adaptation. J’ai envie d’une création originale et personnelle. Peut-être un polar ou un huis clos… 

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Irez-vous un jour en Islande ?

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J’aimerais beaucoup. Je suis comme Pierre Loti : je ne suis pas allé là-bas. Un autre point commun avec lui : J’avais le même âge que Loti lorsque nos deux versions de « Pêcheur d’Islande » sont sorties. 36 ans.

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