Dès les premières années, le cinéma a été accompagné par la musique. Il était même coutumier de voir un pianiste sur scène pendant que le film était projeté.
La musique fait partie
intégrante du 7ème art. Compositeur prolifique, mélodiste passionné et génial chef d’orchestre, Vladimir Cosma est l’auteur des musiques des plus grands succès du cinéma français (plus de 500 compositions). »Le Grand Blond avec une chaussure noire » (1972), « Les Aventures de Rabbi Jacob » (1973), « La Boum » (1980), « Diva » (1981), « La Gloire de mon Père » (1990), « Le Dîner de Cons » (1998)… tous ces succès cinématographiques ont une musique qui résonne toujours dans notre tête car elle fait partie de leur identité.
En plus de la parution de ses « Mémoires », Vladimir Cosma revient sur scène pour trois concerts événements (16 juin, 17 juin, 18 juin) au Grand Rex à Paris. Il dirigera un orchestre philharmonique , des solistes prestigieux et un Grand Chœur. L’occasion de réécouter ses plus belles musiques de films
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Entretien avec Vladimir Cosma – immense compositeur de musique à la fois populaire et savante. 

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Vous êtes né à Bucarest mais vous auriez pu tout à fait naître à Paris (ce ne fut pas le cas à cause de l’invasion allemande). Votre prénom fait référence au diplomate français le Comte Wladimir d’Ormesson. Votre professeur Mihail Andricu était francophile. Etiez-vous destiné à embrasser la culture française ?

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Dans les années 20-30, mon père avait fait ses études au lycée Janson de Sailly à Paris. Il est tombé amoureux du pays. A tel point que revenu en Roumanie, mon père n’avait qu’une idée en tête : revenir vivre en France.  Il a entraîné ma mère dans son voyage. Cependant en 1939, son père étant décédé, il a dû rentrer à Bucarest pour les funérailles. Ma mère, enceinte de moi, a fait partie du voyage. Malheureusement, la guerre a éclaté. Mes parents n’ont pu revenir en France. J’ai dû attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ma venue en France aurait pu ne pas se faire avec la fermeture des frontières du Bloc de l’Est. J’ai dû attendre mes 22 ans pour revenir enfin en France. 

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Dès votre jeunesse, vous avez conservé des cahiers de musique. Ils furent fort utiles pendant la composition de musiques de film. Votre style musical a-t-il une sonorité roumaine (Le Grand Blond avec une chaussure noire) ou est-elle française, voire internationale ?
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Ma musique est internationale. Les compositeurs sont influencés par tout ce qu’ils attendent – de toutes les époques et de tous les pays. Il est évident que j’ai été grandement influencé par le répertoire roumain. Cependant, la musique française est celle que j’affectionne le plus. Enfant, j’allais assister aux répétitions d’orchestre. J’entendais avant tout de la musique allemande. Puis un jour, la suite symphonique de Shéhérazade (1888) du russe Nikolaï Rimski-Korsakov a été programmée, ce fut pour moi une véritable révélation. La musique était plus ouverte et plus moderne. Les compositions russes étaient grandement influencées par la musique française. C’est ainsi que j’ai découvert Debussy. Je me considère comme le plus français des compositeurs de musique de films. J’ai été nourri par la culture française et je l’ai assimilée.  Cependant, il reste en moi une partie roumaine – celle qui vient de mes premières années. 

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En 1967, alors que Michel Legrand souhaitait vous emmener avec lui aux Etats-Unis, vous êtes choisi pour composer la musique du film « Alexandre le Bienheureux » d’Yves Robert. Vous vous inspirez d’ <<Autant on emporte le vent » et vous composez la chanson « Le Ciel, la Terre et l’Eau » avec les paroles de Francis Lemarque et au chant Isabelle Aubret. Pour votre premier long métrage en tant que compositeur, est-ce que ce fut un exercice difficile ?

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Ce fut à la fois difficile et passionnant. Pendant des années, j’ai assisté Michel Legrand. Pour ma première composition pour un long métrage, j’ai tout de suite voulu me détacher de lui.  Il était nécessaire de trouver ma propre signature. Je trouvais intéressant de personnifier chaque film par une couleur instrumentale. Pour « Alexandre le Bienheureux », j’ai choisi l’ocarina bass pour le thème du chien. Cependant, j’ai eu peur de composer l’ensemble du film avec un seul instrument. J’ai donc choisi de m’appuyer sur un son plus conventionnel.

La musique du « Distrait » (1970) a été plus personnelle dans le sens où le thème est personnifié par le saxophone sopranino – instrument cher au cirque. Ce fut la première musique où j’ai mis en œuvre une « couleur » particulière.  

« Le Grand Blond avec une chaussure noire » (1972) fut un film clé de mon style. La musique était composée pour une flûte de pan – instrument alors inconnue en France. Une première pour un film.

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Lorsque vous composiez les films de Pierre Richard (Le Distrait, Les Malheurs d’Alfred, Le grand Blond avec une chaussure noire,…), y’a-t-il une sonorité qui reste la même – qui est unique à Pierre Richard ?

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Les acteurs qui jouent dans un film ont une grande importance pour ma composition. Une scène jouée par Pierre Richard ne peut avoir le même thème que si elle était jouée par Louis de Funès. Le premier aurait un son de comédie musicale américaine et un rythme de swing. Quant à Louis de Funès, je composais une musique plus musclée avec des rythmes binaires. Plus que le sujet du film, je m’inspire de la gestuelle et du tempérament des acteurs.

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Pour « Les Aventures de Rabbi Jacob » (1973). Vous avez dû composer une musique qui est à la fois proche d’une sonorité juive et à la fois moderne. Vous deviez à la fois contenter le réalisateur Gérard Oury, la production et Louis de Funès. Est-ce que ce fut aussi laborieux qu’exaltant ?

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Le côté exaltant l’a finalement emporté sur le côté laborieux. J’ai rencontré Gérard Oury quelques jours après la première du « Grand Blond avec une chaussure noire ». Il cherchait un compositeur pour son prochain film capable de proposer une musique pour une danse juive. Il fallait également un son new yorkais, cosmopolite et moderne pour le début des « Aventures de Rabbi Jacob ». Cependant, Oury n’appréciait pas la musique du « Grand Blond avec une chaussure noire » car trop typée roumain à son goût.  Il voulait un son qui prenne aux tripes. J’ai tout de même voulu relever le défi. J’ai composé une musique pour la danse. Ma proposition a plu à Oury et à Louis de Funès. Puis j’ai composé l’ensemble de la musique du film. Suite à la projection des « Aventures de Rabbi Jacob », Louis de Funès m’a écrit une lettre de félicitations. En tant que jeune compositeur, cet écrit m’a comblé de bonheur. Dès mon enfance, j’ai adoré Louis de Funès. En Roumanie, nous avions peu accès aux films étrangers. Dès que Louis de Funès apparaissait à l’écran, cela me captivait. J’ai vu dix fois le film « La Belle américaine » (1961) pour retrouver ses courtes scènes. Jamais je n’aurais imaginé un jour composer la musique des films de Louis de Funès.  

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Est-on spectateur face à Louis de Funès ?

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J’ai découvert ma propre danse au moment où Gérard Oury a dit moteur. Louis de Funès a alors utilisé des gimmicks et des gags qu’il n’avait jamais montrés pendant le mois de chorégraphie à mon domicile. 

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« Ah Mozart est là » lançait Claude Zidi. Avec « L’Aile ou la cuisse » (1976), vous faites une évocation des fêtes royales. Est-ce difficile de moderniser le classique (rythme jazz/disco) ?

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Je suis autant compositeur de jazz que de musique classique. Je suis à l’aise dans beaucoup de genres. J’intègre une couleur dans chaque film. Avec « L’aile ou la cuisse », il était évident pour moi de mélanger les genres.

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Comment avez-vous composé sous un pseudonyme la musique du Chevalier blanc ? Les paroles ont été écrites par Serge Gainsbourg (« Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » 1977 de Coluche).

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Gainsbourg devait composer la musique originale mais il a dû rejoindre sa compagne Jane Birkin en Egypte lors du tournage de « Mort sur le Nil » (1978). Le producteur de « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », Alain Queffeléan, m’a alors appelé afin de me demander de composer la musique du film. L’orchestre était prévu pour la semaine suivante. Avant de partir, Gainsbourg avait recommandé d’engager Vladimir Cosma car il était le seul à écrire vite et bien. La chanson du chevalier blanc a été chantée par Olivier Constantin. Il avait un ton très Luis Mariano.

Je n’ai pas voulu signer officiellement la bande originale de « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » car je n’y ai travaillé qu’une semaine.

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Avez-vous été surpris par le succès du slow Reality ?

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Après lecture du scénario de « La Boum » (1980), je n’ai pas été convaincu. Il y avait déjà eu tant de films pour les jeunes. J’avais d’ailleurs composé la musique de « Pleure pas la bouche pleine » (1973). Je craignais que « La Boum » soit le film de trop. J’ai informé le producteur Alain Poiré que, par manque de temps, je ne pouvais que refuser de travailler sur ce long métrage. Il m’a alors appelé et m’a dit que je ne pouvais composer que pour les grands films. Poiré me donnait presque un ordre.

Malgré mes réticences, je me suis dit que je devais réaliser une composition remarquable. Lorsque vous vous lancez dans un projet, vous devez tout donner. J’ai exigé d’enregistrer la musique à Londres pour avoir des musiciens avec une sonorité anglaise. N’ayant pourtant aucun attrait pour le son de clubs, j’ai pourtant réalisé ce travail avec tout mon cœur. La Sacem (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique) m’a transmis les tubes les plus connus des 20 dernières années afin de m’inspirer.

Reality a eu une naissance et un processus très particuliers. C’est certes un slow mais cela aurait pu être très bien une symphonie. On m’a dit que des histoires d’amour ont débuté avec ma musique. Il est encore amusant de constater, lors des séances de dédicaces après les concerts, que Reality est autant aimé par des personnes âgées que par des petites filles. Cette chanson a une place particulière dans le cœur du public.

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La chanson « Destinée » des « Sous-doués en vacances » a-t-elle été composée avec autant de sérieux ?

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J’ai été aussi sérieux qu’avec Reality. Guy marchand a pourtant proposé une version parodique. Chanteur de tango et de jazz, il n’aimait pas l’idée de chanter de la variété. En entendant sa version j’ai été horrifié. Je n’avais jamais composé de pastiche. J’ai dit au réalisateur Claude Zidi que je voulais faire une chanson sérieuse. Ma musique n’a jamais été comique.   

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Avec le tandem Depardieu/Richard – y’a-t-il un lien musical entre les différents films (La Chèvre, les Compères, les Fugitifs) ?

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Il n’y a pas vraiment de lien entre ces musiques de films à part le fait qu’elles ont été composées par le même artiste – moi. Elles ont la même couleur musicale.

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Vous avez connu Djick le siffleur dans le métro. Il est l’interprète de la musique des « Compères ».

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Je voulais l’engager pour la musique du « Grand Blond de la chaussure noire ». Il n’y avait pas de joueur de flûte de pan en France. Je devais amener un musicien roumain. Dans l’angoisse de ne pas l’avoir à temps, j’ai pensé utiliser un siffleur. Il y avait deux partitions pour « Le Grand Blond avec une chaussure noire » – une avec une flûte de pan et une avec le siffleur. Le joueur roumain a finalement pu venir au grand dam de Djick. J’avais entendu ce dernier dans le métro. Ce n’est que plus tard qu’il a pu siffler avec moi pour le film « Les Compères ».

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Pourquoi une telle fidélité auprès de Jean-Pierre Mocky ?

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C’est un personnage qui m’a toujours beaucoup amusé. J’ai parfois composé de la musique de films par amitié. Ayant beaucoup aimé son film « Y’a-t-il un Français dans la salle ? » (1982), j’ai eu envie de le rencontrer. J’ai composé la musique de son film « Il gèle en enfer » (1989) puis nous ne nous sommes jamais quittés.

Il m’est arrivé de travailler avec Mocky sans avoir vu le film. Il venait chez moi et me donnait quelques indications. Si je demandais à voir les scènes, Mocky répondait qu’il était trop compliqué de sortir le film de la salle de montage. Par conséquent, je n’ai pas pu voir la plupart de ses films pour lesquels j’ai composé.

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Vous n’avez jamais eu la tentation d’être compositeur aux Etats-Unis ?

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En tant que violoniste, j’ai donné quelques tournées en Amérique. Lorsque j’ai commencé à avoir une certaine notoriété, j’ai tout de suite voulu obtenir le plus grand des luxes : ne plus jamais voyager en avion. J’ai très peur de voler. J’ai certes continué à travailler avec des Américains comme pour la série « L’Amour en héritage » (1984) mais ce sont eux qui se déplaçaient.

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Lors de vos concerts, malgré la grande popularité de vos musiques, voulez-vous toujours surprendre les spectateurs ?

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Je suis obligé. Un concert doit être une réécriture de mes compositions. Chaque musique doit durer plus longtemps. Pour un film, vous devez proposer de courtes compositions. C’est un véritable défi. Pour un concert de 2 heures, je dois prolonger mes compositions pour apporter de nouvelles émotions au public.

Je ne me suis jamais considéré comme un compositeur de musique de films. Je suis un compositeur qui écrit parfois pour le cinéma.

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Lors de la fin du spectacle, vous faites jouer « La Course à l’échalote » façon Marche de Radetzjy de Johann Clore. Le public tape des mains en mesure et vous vous retournez pour le diriger. Est-ce toujours une émotion ?

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J’ai toujours été ému de constater que des milliers de personnes se déplacent pour écouter de la musique – moi l’homme de l’ombre. Longtemps, j’ai été réservé. J’aime échanger avec le public. Les spectateurs me racontent leurs émotions par rapport à ma musique. Selon le pays, mes compositions sont même interprétées différemment. 

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Photo de couverture : © Brieuc CUDENNEC

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