Quand débute notre vie ? A notre naissance ou finalement bien avant avec le façonnement progressif de l’identité de nos parents voire de nos grands-parents ? C’est bien là que notre milieu social prend racine. C’est également ici que notre environnement se construit. La vie est un long chemin à la fois intime et collectif.

Emmanuel Lepage a suivi en tout cas ce raisonnement. « Cache-cache bâton« , son dernier livre, n’est pas une autobiographie comme les autres. Il s’agit d’un ouvrage qui retrace le parcours de lui-même, de son père, sa mère mais aussi des Chrétiens de gauche dans la France de l’après-guerre.

« Cache-cache bâton » est également un livre intime qui pose des questions sur l’avenir. Les communautés reprendront-elles racine ?

Entretien avec Emmanuel Lepage.


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D’où vient l’idée du titre « Cache-cache bâton » ?
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Dès le départ, mon éditeur m’a suggéré le titre de « Cache-cache Bâton ». J’ai tout de suite accepté l’idée et dès que j’en ai parlé aux protagonistes que j’ai interviewés – tous ont eu le sourire aux lèvres. Il s’agissait du nom du jeu que nous avions l’habitude de faire.

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Depuis plus de 30 ans, vous avez imaginé réaliser ce livre. Vous l’avez enfin réalisé après plusieurs années de travail. Y’a-t-il eu une urgence qui vous a finalement poussé à ce projet ?

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Je me suis rendu compte que les personnes impliquées disparaissaient au fil des années. La plupart sont octogénaires. Je voulais les interroger avant que cela soit trop tard et également leur présenter le livre fini.

De plus, au fil du temps, ma façon de dessiner et de raconter des histoires a évolué. Le basculement est arrivé lors de la réalisation de « Voyage aux îles de la désolation » (2011). J’y ai mélangé des croquis, de la bande dessinée et des illustrations. Ma démarche même dans l’écriture s’est révélée beaucoup plus souple. J’étais finalement prêt à adapter et à intégrer toutes les informations que je trouvais lors de l’écriture. Mon dessin était plus rapide. A partir du moment où vous arrivez à réaliser une page par jour, vous gagnez davantage de souplesse et allez à l’essentiel.

Par conséquent, l’urgence de réaliser le livre avant le décès des protagonistes et mon cheminement de création ont permis que cette œuvre puisse se réaliser.

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Le récit ne narre pas seulement votre jeunesse mais également la vie de vos parents et de la communauté. 70 pages ont été retirées avant la publication. La principale difficulté a-t-elle été de sélectionner ?

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« Cache-cache bâton » a été laborieux car j’avais une énorme de quantités d’entretiens. Comment raconter une époque révolue ? Comment expliquer l’évolution de l’Eglise au XXème siècle à des personnes qui ne connaissent pas le sujet ? Il m’a fallu avoir une démarche pédagogique. Je devais être le plus clair dans le récit. J’ai choisi de faire raconter le concile œcuménique Vatican II (1961) par mon père. J’ai décidé d’intégrer dans l’histoire Pierre Bourges (ancien maire de Redon) et d’expliquer les différents mouvements chrétiens progressistes (du scoutisme à l’Action catholique).

« Cache-cache bâton » convoque différents protagonistes afin qu’ils puissent raconter l’histoire de l’Eglise catholique dans la seconde moitié du XXème siècle.

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Dans « Cache-cache bâton », le présent est en noir & blanc alors que le passé est en couleurs. Est-ce un livre nostalgique ?

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Je ne le pense pas. Je trouvais juste amusant d’inverser les couleurs – le passé étant souvent illustré en noir & blanc. Mon enfance a été très colorée. Si on pense la nostalgie comme un leitmotiv « c’était mieux avant », je ne peux pas dire que je suis nostalgique de mon enfance. « Cache-cache bâton » n’est pas non plus nostalgique. Il s’agit d’un livre de propositions pour les temps futurs. Vivre autrement est un concept très présent aujourd’hui. Les événements passés font écho à des actualités comme Nuit debout (2016), Notre-Dame des Landes ou la Bigottière. Tout est à faire pour changer le monde. Je rencontre beaucoup de personnes qui ont le désir de proposer autre chose. « Cache-cache bâton » est un livre aussi politique.

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Vous rendez hommage à la vie communautaire. Est-ce paradoxal pour vous qui somme toute avez une activité solitaire ?

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Il est vrai que mon métier exige une certaine solitude. Je suis un solitaire et j’aime cela. Cependant, il m’arrive de vivre en groupe. Je viens de rentrer d’un séjour dans les terres australes françaises. J’ai vécu avec un certain nombre de personnes autour de moi. Jeune, j’ai été pendant dix ans «mono » en camps d’ados et formateur d’animateurs. Ma formation politique vient d’ailleurs de la vie en groupe.

Mais j’ai besoin d’être seul pour créer et si je ne dessine pas, ne crée pas, rien ne va plus.

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Vous illustrez la vie de votre père notamment pendant son service militaire au sein de la Marine nationale. Est-ce le fait que vous êtes peintre-dessinateur de la marine ?

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J’ai surtout été guidé par ma passion pour la mer. Même si depuis l’enfance il me plaît de l’illustrer, le véritable désir de la dessiner est arrivé tard dans ma carrière. J’ai embarqué pour mon premier voyage dans les terres australes françaises. Dans ces eaux tumultueuses, je me suis mis à observer ce qui m’entourait et j’ai réussi à trouver des résolutions graphiques pour représenter la mer. Auparavant, je la dessinais de façon scolaire.

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« Cache-cache bâton » est riche en visages. Est-ce un hommage à la sagesse de l’âge ?

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Quand je dessine des personnages, j’essaye de les rendre beaux. Cependant, certains protagonistes (en particulier ma mère) ont été parfois déçus par ma façon de les dessiner. Il n’y avait aucune intention derrière, juste que j’allais sûrement trop vite et que certains visages n’étaient pas assez travaillés. C’est dur, vous savez… Et souvent c’est raté.  Il en est du dessin, comme dans la vie, parfois on réussit les choses, parfois non….L’important est d’avancer.

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Pierre Bourges s’est-il logiquement imposé dans « Cache-cache bâton » ?

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Etant un ami de mes parents, j’avais croisé plusieurs fois Pierre. La proposition de l’interviewer pour « Cache-cache bâton » est venue d’Yves Arnaud. J’échangeais avec ce dernier à propos de Vie nouvelle. Yves m’a alors recommandé de contacter Pierre Bourges à ce sujet. Ma trame originelle n’avait pas prévu une telle rencontre mais il m’a donné tellement d’informations essentielles sur le catholicisme social que le récit de « Cache-cache bâton » a été bousculé. Pierre est une personne brillante que je continue de revoir avec plaisir.

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Même s’il a renoncé à la foi catholique, Bernard Besret, « le moine rouge », reste-t-il une figure majeure de l’actualité bretonne ?

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Mon frère photographe a eu l’occasion de le rencontrer pour échanger sur le taoïsme et la méditation. Par conséquent, j’ai pu avoir accès à Bernard et je l’ai interrogé sur son passé de prieur de à l’abbaye de Boquen. Ayant eu plusieurs vies, Besret est un véritable personnage romanesque. Il fait partie de cette histoire de l’Eglise qui a été effacée.

Suite à la parution de « Cache-cache bâton », je reçois un grand nombre de lettres. Des personnes retrouvent dans ce livre l’exaltation qui existait dans les années 60 et 70 et qui a de nos jours disparu. Lorsque l’Eglise fait partie de l’actualité, c’est pour parler de la Manif pour tous ou les scandales de pédophilie. A tel point que certaines personnes ont refusé de mettre en avant « Cache-cache bâton » par anticléricalisme. J’ai voulu parler d’autre chose. L’Eglise a été à un moment source de propositions. Les questions du célibat des prêtres, de la place des femmes dans l’église…. Ont été posée dans les années 60..
Ce que raconte « Cache-cache bâton » est souvent ignoré.

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Mai 68 est-il un souvenir amer pour ceux et celles que vous avez interrogés ?

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Ce fut en effet un choc pour la Vie nouvelle. Mai 68 était un mouvement initié par des jeunes de 20 ans. Les membres de Vie nouvelle étaient avant tout des trentenaires – par conséquent des membres du monde du travail et des personnes qui mènent une vie de famille. Mai 68 va remettre en question la démarche de Vie nouvelle et surtout va les mettre face à leur conditionnement pass . Les événements de 68 sont révolutionnaires et libertaires. Pas eux.

L’été 1968 est aussi le moment où le pape Paul VI condamne la contraception. Ce fut le second choc pour la Vie nouvelle. L’Eglise ose se mêler de la vie intime des fidèles. Vie Nouvelle va rompre définitivement, là, avec l’institution.

Le catholicisme social est né dans l’Entre-deux-guerres avec la prise de conscience que le catholicisme s’était coupé des classes populaires. Des prêtres vont aller travailler à l’usine afin-croyaient ils- d’« évangéliser le monde ouvrier. Vont être crée aussi des mouvements d’éducation populaire : La JOC -la jeunesse ouvrière chrétienne, la JAC -jeunesse des agriculteurs chrétiens- etc…sont des émanations de l’Action catholique. La Vie nouvelle, quant à elle, puise ses origines dans le scoutisme et a continué dans l’action politique et syndicale.

Dans « Cache-cache bâton », j’ai voulu raconter le passé progressiste – celui d’avant mai 68.

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Vous dessinez la vie de la communauté, les messes et les manifestations. Le rassemblement des personnes représente quelque chose d’important dans « Cache-cache bâton » ? Peut- on employer le terme de masse?

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Je n’emploierais pas le mot masse mais le mot peuple.  Le mot « masse » a une connotation péjorative, méprisante même.

Aujourd’hui on dirait, je pense, plutôt « collectif ».

Je fais référence, dans ce livre à Emmanuel Mounier et son concept philosophique de « Personnalisme ».  Il réfute le terme d’Individu, au profit de la Personne : Un être qui n’a pas perdu sa dimension spirituelle. Ce mouvement de pensée a irrigué la Vie Nouvelle.

« Cache-cache bâton » est mon livre le plus politique. Chacun des personnes est dans le dialogue. Au fil des années, le livre s’est lui-même enrichi de conversations autour de sa création. Il a été une réflexion sur la vie communautaire. Il est si urgent de s’écouter et de se parler.

J’ai eu l’intuition de ce que pouvait raconter dans « Cache-cache bâton » lorsque j’ai écouté en 2002 la bande sonore que les membres de la « communauté »où je vivais  ont enregistré en 1974. Il s’agissait de dresser un bilan de leurs actions. Malgré leurs discordes, j’ai été sensible par la façon qu’avaient ces personnes d’échanger ensemble. Elles sont parfois déçues voire amères. Et pourtant chacun s’écoute à la fois avec respect et avec sincérité.

Le monde des médias et des réseaux sociaux est aux antipodes. On cherche à chaque fois le bon mot -la punchline-afin de déstabiliser son interlocuteur. Regardez ce qui se passe à la télévision, au parlement : On ne se parle pas, on ne débat pas , on s’invective,  on passe en force « Cache-cache bâton » propose de se parler d’une autre façon.

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Après plus d’une centaine de pages, vous apparaissez enfin dans « Cache-cache bâton ». Vous illustrez votre enfance au sein de la communauté. Le fait de ne pas parler de vous au début – est-ce de la retenue ? Etiez-vous tout de même impatient de dessiner votre enfance ?

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Dans une première version, la 100ème page illustrait ma vision du train qui passe. J’ai cessé de travailler sur « Cache-cache bâton » pendant plusieurs mois. A la reprise, je me suis rendu compte que le début du livre était trop rapide et peu clair. Pour une meilleure compréhension des enjeux, j’ai par conséquent rajouté 50 pages en plus.

Je ne suis pas né le jour de ma naissance. Je suis né des choix de vie de mes grands-parents et de mes parents.

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« Cache-cache bâton » est-il également un livre hommage à ceux (comme Hergé) qui vous ont donné envie de devenir dessinateur de bande dessinée ?

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Je suis ce que je suis aujourd’hui grâce à mes lectures d’enfance mais aussi parce que j’ai vécu dans un environnement très libre. Nous, enfants, étions conscients que nous vivions un moment pas comme les autres. Il n’y avait pas seulement nos parents, il y avait également des adultes référents. L’éducation même des familles était différente. Par conséquent, cet univers expérimental a enrichi notre propre créativité. A mon départ de la communauté, à l’âge de 9 ans, j’ai probablement été nostalgique.

Le dessin est un renouvellement permanent de mes émotions.

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Vous avez également vécu au sein d’une autre communautaire – celle du dessinateur Jean-Claude Fournier.
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Ce n’était pas une communauté. Les auteurs de bande dessinée sont des solitaires et peine parfois à comprendre ce qu’est le collectif.  Certains de mes amis ne comprenaient pas  lorsque je partais chaque été animer des colonies de vacances. J’ai parfois été moqué (rires). Avec Jean-Claude, il s’agissait davantage de compagnonnage.il a accompagné des jeunes dessinateurs, dessinatrices, comme lui avait été accueilli jeune homme par Franquin , qui lui-même avait été formé par Jijé. Je m’inscris dans cette lignée. Je m’inscris dans la lignée de Jijé, de Franquin et de Fournier.

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Les communautés ont-elles un avenir ?

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Oui.  Tant de choses se réalisent de nos jours. Je connais beaucoup de jeunes -et de moins jeunes- qui s’interrogent sur l’état du monde. Il y a une véritable urgence d’agir sur l’environnement et le climat, le Vivre ensemble. Lorsque j’ai passé un séjour dans les terres australes françaises, j’ai pu constater que des scientifiques, des marins et des charpentiers s’interrogent sur d’autres façons d’être …et de faire. Ils créent de nouvelles solidarités …et c’est très excitant !

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@ Alain Bujak
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