Tout au long de notre jeunesse, nos héros nous font rêver. Qu’importe les obstacles, les adversaires, ils ont toujours raison et arrivent à l’emporter. La vie semble les préserver de toute faiblesse. Et pourtant, comme nous, tôt ou tard, certaines de ces grandes figures vieillissent et souffrent.

Le Thorgal de la bande dessinée « Adieu Aaricia » est au crépuscule de sa vie. Avec la mort de sa compagne, le viking prend conscience de sa solitude et de ses faiblesses. Dans un ultime espoir, Thorgal devra affronter de nouvelles épreuves.

Robin Recht réussit à nouveau à nous transporter dans une histoire palpitante. Considéré comme un one-shot, « Adieu Aaricia » associe le jeune Thorgal avec le vieux Thorgal. Ils auront à affronter l’impossible.

Entretien avec Robin Recht, artiste à suivre de près.

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Après Elric et Conan le Cimmérien, Thorgal. S’agit-il d’une suite logique ? Une envie depuis longtemps ?

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C’est sûrement une suite logique inconsciente. Au fil du temps, je me rends compte que j’aime « jouer » avec les personnages préférés de ma jeunesse. Certains aiment créer leur propre univers., moi j’apprécie reprendre les héros qui m’ont fait rever. Je faisais la même chose enfant : Je me mettais dans un coin et je jouais avec Luke Skywalker et avec les X-Men.

Le projet Thorgal Saga est arrivé à un moment inattendu. La série principale Thorgal continuait tranquillement avec Fred Vignaux et Yann pendant que peu à peu les séries dérivées s’arrêtaient. Les éditions du Lombard cherchaient un nouveau rendez-vous annuel et ils souhaitaient permettre à des auteurs d’amener une vision du personnage. Les exemples de Spirou ou de Lucky Luke ont montré un certain intérêt du lecteur pour ce genre « d’écart. »

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Reprendre le style et le dessin de Grzegorz Rosinski – est-ce suivre un cahier des charges ou y’avait-il une certaine liberté ?

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Je suis réellement un passionné de la série. Thorgal, pour moi, c’est avant tout la vie d’un homme et je souhaitais m’inscrire dans la tradition. Je voulais que le lecteur ait le sentiment que la saga continuait. Par conséquent, j’ai scrupuleusement suivi le chemin qu’avait emprunté Rosinski. J’ai par exemple adopté la narration avec trois bandeaux typiques de la série Thorgal.

Pendant le confinement, j’ai échangé avec Rosinski. Lui en Suisse et moi en France.  Avec un téléphone portable dans une main et un stylo dans l’autre, il me montrait les pages qu’il avait annotée. Rosinski voulait surtout que je dessine comme lui le personnage de Gandalf. Par exemple, ma proposition de nez ne lui plaisait pas. Le vieux Thorgal n’était pas un souci pour lui car il ne l’avait jamais dessiné – au contraire du roi Gandalf. Rosinski m’a surtout encouragé à avoir un dessin radical.  

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Le one-Shot c’est plus de liberté ?

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Oui car je n’ai pas la pression de l’après. Le one-shot a également ravivé mon côté sale gosse : J’avais la liberté de prendre des risques.

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Dans « Adieu Aaricia », Thorgal vit deux extrêmes – Il est à la fois jeune et à la fois vieillard. Par conséquent, il a des défauts. Thorgal est-il un personnage passionnant lorsqu’il est en difficulté ?

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Il s’agit d’un héros qui fait toujours ce qui est juste. Cet aspect est très présent dans l’album « Alinoë » (1985). Pendant son absence, la situation est difficile. Thorgal arrive et sait tout de suite ce qu’il faut faire. Je voulais raconter une histoire où Thorgal est à la fois vieux, il n’est donc plus capable, et à la fois très jeune, où il peut se tromper.

Ce fut un plaisir de dessiner Thorgal vieux car il n’avait jamais été présenté ainsi. Je pouvais donc m’approprier totalement le personnage. Le jeune Thorgal était moins simple car j’ai choisi de le présenter à un âge compliqué à dessiner. Il est entre deux âges. Ce fut un exercice plus difficile.

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Vous introduisez un nouveau personnage – Skraeling. A nouveau une femme forte. Les femmes sont à nouveau un élément majeur dans votre histoire. Pour quelle raison ?

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J’ai initialement écrit Skaeling comme un personnage masculin. Face au jeune Thorgal, je voulais une figure qui soit à l’opposé du Thorgal que nous connaissons. Skraeling devait être une figure paternelle qui fasse penser à un Achille viking. Cela devait être un homme qui cherche la gloire dans la guerre. Le vieux Thorgal aurait été celui qui aurait contredit Skraeling, tentant de maintenir le jeune Thorgal dans la vie qu’il a vécu.

J’ai ensuite lu un article sur Yasuké. Par son brio, cet esclave noir aurait réussi l’exploit de devenir samouraï dans le japon médiéval. Joe cette histoire j’ai gardé l’idée d’un personnage qui avait été esclave. Skraeling devait être un colosse à la peau noire qui rêve sa vie. Enfant d’un dieu. Il est possible qu’il se complaise dans sa propre mythomanie. Puis, au fil de mon travail, j’ai trouvé ce personnage trop stéréotypé. Il y avait déjà Thorgal et Gandalf. Dans « Adieu Aaricia » il y avait trop d’hommes. J’ai alors transformé Skraeling en femme noire guerrière – une mère de substitution pour le jeune Thorgal. Elle est à la fois la guerre et la sagesse – une incarnation d’Arès et d’Athéna. Le personnage était là.

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Nidhogg est un serpent menteur et manipulateur. Il tourmente à nouveau Thorgal. Était-il lantagoniste évident pour cette histoire ?

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Il s’agit d’un ennemi qui apparaît à plusieurs moments dans la saga Thorgal. Je souhaitais que Nidhogg soit un opposant divin à Thorgal qui du coup devient lui même mythologique. 

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Ses bulles sont en vert.

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Cette couleur a une véritable fonction narrative avec un dialogue particulier. Le lecteur devait comprendre que c’était Nidhogg qui s’exprimait. Le vert donne également un côté malsain au dieu serpent.

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Le choix des couleurs a-t-il été un vrai travail ?

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Les couleurs proposées par Gaëtan Georges sont sublimes. J’ai donné très peu d’indications, tout au plus les horaires de scènes. L’histoire se déroulant uniquement pendant trois jours.

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Comment avez-vous imaginé la couverture ?

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Il s’agit d’une image qui rappelle les codes de Rosinski. Les silhouettes et le visage de Aaricia se fondent dans le paysage comme pour la couverture de « L’Enfant des étoiles » (1996) ou encore « Le Maître des montagnes » (1996). J’ai également ajouté une dimension tragique. La mort et les souvenirs sont omniprésente dans cette image et Thorgal  est un spectateur impuissant.

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L’histoire surprend voire bouscule le lecteur. Vous ne craignez pas les gardiens du temple Thorgal ?

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Je déconstruis en effet le héros. Comme me disait mon grand-père au crépuscule de son chemin, il arrive un moment ou la vie d’un homme n’est plus peuplée que de ses souvenirs. Le monde qu’il aimait a bel et bien disparu. Le vieux Thorgal s’accroche lui aussi à ses souvenirs et son amour pour Aaricia. Il a tout perdu certes mais il se rappelle qu’il a tout eu. Et pour le jeune Thorgal, au contraire, tout est a écrire. La vie lui appartient comme un terrain vierge. C’est la condition humaine et aussi cette des héros de bande dessinée.

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