Cinéma et littérature sont des genres qui se croisent et se décroisent. Adaptations, associations, réappropriation, tout est possible entre le texte et l’image.

Tout au long de sa vie d’artiste, Laurent Bénégui a su être à la fois un réalisateur talentueux et original et un écrivain juste et décapant. Dans un grand nombre de ses œuvres, la réalité n’est jamais loin. La fiction (et la fantaisie!) n’est jamais écartée non plus… Raconter une histoire c’est toujours s’inspirer de faits réels tout en inventant afin d’enrichir le récit. Les frontières sont minces (et c’est tant mieux!).

Entretien avec Laurent Bénégui, passeur de récits.

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Vous êtes écrivain, scénariste, réalisateur, vous avez été producteur… mais pas médecin. Car après 7 années d’études et au bout de 2 semaines d’exercice de la médecine, vous avez abandonné le milieu de la santé. Avez-vous des regrets ?

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Pas du tout même si pendant la pandémie je me suis posé des questions. Face à la pénurie de médecins, aurais-je pu proposer mes services et réendosser la blouse blanche, tente ans après ?      
Fondamentalement, je n’ai jamais exercé car je voulais écrire. A l’époque, des amis commençaient à réaliser des films et je me sentais tiraillé entre mon projet de devenir médecin et mes envies artistiques. Cependant, le métier d’écrivain a mis quelques années à se concrétiser. J’écrivais chaque jour, pendant des années, jusqu’à parvenir au bout d’un roman.  Parallèlement mes amis ont commencé à réaliser des courts métrages et m’ont demandé d’écrire des scénarios. J’étais considéré dans la bande comme celui qui écrivait. J’ai dû m’adapter. L’écriture romanesque ne s’est jamais interrompue. En revanche, mon lien avec le cinéma à évolué. Après des courts métrages, j’ai ensuite écrit des scénarios de longs métrages. N’étant pas satisfait des premiers films tournés, je me suis dit que la prochaine histoire c’était moi qui la mettrait en scène. Et je suis devenu réalisateur en tournant « Un type bien », mon premier film. A cette occasion, j’ai compris le rôle de l’argent dans le cinéma, et je me suis dit que pour garder l’initiative en la matière, il fallait être à la tête de sa maison de production. C’est ce que j’ai fait avec mes proches, nous avons créé « Magouric Productions ». Tout cela s’est fait par étapes. Certaines années j’étais avant tout romancier puis d’autres, j’étais réalisateur. Parfois, producteur. Il s’agit toujours de raconter une histoire.

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Votre premier roman publié, « Caramelle » était un texte court (80 pages). Est-ce que l’inspiration est toujours une grande difficulté ?

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L’inspiration vient quand elle veut. Toujours au moment où on ne l’attend pas. Je laisse murir les idées puis un jour tout se détermine. A partir d’un évènement vécu, souvent d’une peur, d’un sujet qui rencontre mes préoccupations du moment. Pendant longtemps cela venait naturellement sous la forme d’un projet de film ou de roman, le sujet imposait le média. Ces dernières années, je trouve plus de liberté dans le roman.

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 A ce propos, dans votre dernier roman « Retour à Cuba » – éditions Julliard 2021- vous racontez comment enfant, vous allez chez vos cousins de Cuba, où vous rencontrez Raúl Castro qui tire à coups de kalachnikov dans des noix de coco pour vous faire rire. Votre vie peut-elle s’apparenter à un vrai roman ou un film d’aventures ?

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Même s’il s’inspire de l’histoire de ma famille « Retour à Cuba » est un véritable récit romanesque. Le vingtième siècle vu au-travers d’une famille d’émigrés béarnais à Cuba. Mes aïeux ont eu une vie tellement romanesque, que je n’avais qu’à me baisser pour ramasser la matière à un roman. Ce sont eux les héros du roman. La vie sème, le romancier récolte.
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Pouvez-vous nous parler de la genèse de vos deux premiers films : « Au Petit Marguery » (1995) et « Un type Bien » (1991) ?

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A l’époque, j’écrivais mon deuxième roman : « Au Petit Marguery », lorsque j’ai été invité à participer à un marathon d’écriture à Bruxelles. Il fallait écrire en public, pendant trois jours et trois nuits, le scénario d’un long métrage. Sans dormir, j’ai alors imaginé l’histoire d’« Un Type bien » et le scénario a vu le jour ainsi, puis je l’ai tourné l’année suivante. C’était un premier film « champignon ». Ensuite, j’ai repris l’écriture d’Au Petit Marguery, qui est paru en 1991, aux éditions Bernard Barrault. Puis j’ai adapté ce deuxième roman pour le cinéma, et je l’ai tourné et il est devenu mon deuxième film, sorti en 1995. C’est l’histoire du dernier repas dans un restaurant qui ferme. Le fils du cuisinier vient y dîner une dernière fois avec ses amis.

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Dans « Au Petit Marguery ». Vos parents constituent la grande inspiration du roman. C’était votre première approche de l’autobiographie ?  

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Pour toute création artistique, il faut d’abord se poser la question : Quel est l’intérêt pour les autres ? Comment toucher le lecteur ou le spectateur ? Il faut savoir trouver l’aspect universel. Au-delà de l’ambiance du restaurant, « Au Petit Marguery » raconte les relations entre un fils et un père qui est train de mourir. Bien entendu, je m’inspire de ma vie mais en tant qu’écrivain et réalisateur, je devais trouver un message universel. [NDRL : malgré les frontières, Time Magazine international a considéré que c’est l’un des dix meilleurs films du monde en 1997]. J’ai eu la chance que le film fasse le tour du monde. Il était formidable de voir que dans tous les pays les spectateurs réagissaient aux mêmes choses. L’autobiographie n’est pas une fin en soi, mais le moyen de toucher et de rassembler les autres par le biais d’un patrimoine émotionnel commun.

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Votre film suivant « Mauvais Genre » (1997) apporte une réponse à ceux qui s’interrogent sur la frontière entre le réel et la fiction ?

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Disons qu’il apporte des éléments de réflexion. Le personnage principal du film est un romancier, alors… Je n’ai pourtant pas l’impression de faire de l’autofiction. En allant chercher en soi, vous pouvez atteindre, toucher les autres. De toute façon, un romancier n’écrit jamais la réalité (ça, c’est le travail des journalistes), il donne son interprétation décalée des événements.

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Comment aviez-vous choisi les deux actrices du film – Elina Löwensohn – Monica Bellucci ?

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Le héros devait être tiraillé entre deux femmes exceptionnelles. J’avais découvert Elina dans les films d’Hal Hartley et je l’avais trouvée formidable. J’ai donc contacté son agent qui était basé à Paris. Je pensais Elina inaccessible car Américaine (d’origine roumaine). Pourtant, elle parlait français et avait le souhait à l’époque de tourner un film en France. Je l’ai rencontré et cela été très simple de travailler avec elle. L’agent de Monica Bellucci me l’a présentée, et nous avons fait des essais, où elle s’est montrée parfaite pour le rôle. Il ne restait plus à Jacques Gamblin, qui interprétait l’écrivain, de s’en sortir entre ces deux personnes remarquables.

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« Les Braqueuses » de Jean-Paul Salomé en 1994, « Rainbow  pour Rimbaud » de Jean Teulé en 1996, « Romaine par moins trente » d’Agnès Obadia en 2009, « SMS » de Gabriel Julien Laferrière en 2014… C’est un plaisir d’écrire sans réaliser ?

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Ecrire un scénario pour quelqu’un c’est une façon de me glisser par effraction dans la tête d’un autre. En aucun cas, je n’ai envie de m’approprier le film – je me mets au service du réalisateur. C’était aussi cela que j’aimais lorsque j’étais producteur, pouvoir permettre à un film d’exister. J’aime, lorsque j’écris pour les autres, approcher des univers qui ne sont pas « naturellement » le mien.

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Avec le personnage de Romaine, c’est une histoire d’amitié et de comédie qui dure. Pourquoi un tel personnage ?

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J’ai créée Romaine avec Agnès Obadia pour un court métrage qui s’intitulait « Romaine, un jour où ça va pas » (1989). En plus de le réaliser, Agnès incarnait le personnage principal. Nous avons connu un certain succès. A tel point qu’on nous a demandé plus d’histoires de Romaine. Trois moyens métrages ont été assemblés en un long métrage, intitulé « Romaine, sorti en 1997. J’ai ensuite écrit avec Agnès « Romaine par moins 30 » (2009). Cette fois-ci, Romaine a été interprétée par Sandrine Kiberlain, et Agnès est restée derrière la caméra. Il est possible qu’avec Agnès nous écrivions un jour une nouvelle histoire car j’adore ce personnage d’anti-héroïne. Nous verrons.

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L’humour est souvent présent dans vos romans. Est-ce un thème qui vous rassure ou qui vous inspire pour aller au-delà ?

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L’humour est un très bon moyen pour aborder les sujets importants. Certains de mes romans sont écrits à la première personne du singulier, d’autres à la troisième personne. Avec le « je », j’ai tendance à me projeter davantage dans le personnage principal qu’avec le « il ». A ce moment-là, mes histoires sont traitées avec plus de distance humoristique, une façon aussi de se protéger.

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Dans votre roman « La Part des anges » (éditions Julliard 2017), l’humour se mêle intimement à l’émotion.

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Je voulais parler du deuil, sans être sinistre. Ici, il s’agit de la mort de la mère du personnage principal. Pour lui rendre hommage, il emporte l’urne qui contient les cendres de sa mère, dans son panier à commissions, et lui fait faire le tour des commerçants qu’elle aimait. C’est comme s’il emmenait sa mère faire le marché une dernière fois.  Dans notre société le deuil est très encadré. Pourtant, chacun est différent et doit trouver son chemin pour passer à autre chose. Dans les civilisations occidentales, la mort est encadrée de manière aseptisée. J’ai notamment une aversion absolue pour les enterrements.    
Après la parution de « La Part des anges », des lecteurs se sont confiés et m’ont raconté comment ils avaient fait leur deuil à leur manière, et d’autres m’ont dit : « Maintenant je sais ce que je dirait à mes enfants de faire lors de mon décès ». C’est une belle récompense pour un écrivain de comprendre qu’il a visé juste.

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Quels sont vos projets ?

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Je suis en train de finir mon roman le moins autobiographique. Il se déroule au XIXème siècle en Amérique et en Asie. Mais il fait la synthèse de beaucoup de mes préoccupations d’aujourd’hui. J’ai toujours du mal à parler de mes livres avant qu’ils soient terminés, mais cela ne devrait plus tarder.

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Photo de couverture : © Astrid DI CROLLALANZA

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