Production américaine, les éditions Sarbacane ont eu la riche idée de faire voyager « November » de l’autre côté de l’Atlantique. Sorti en 4 tomes aux Etats-Unis, le comic book se transforme en 2 volumes pour les lecteurs français (« La Fille sur le Toit » et « La Voix au bout du fil« ). L’œuvre ne perd rien de sa valeur.

« November » est un polar percutant où 3 jeunes femmes sont entrainées dans une spirale infernale. Ecrit avec une grande justesse par un habitué de l’univers Marvel, Matt Fraction, magnifiquement dessiné par la virtuose Elsa Charretier (« The Infinite loop », Star Wars, « Elle qui chevauche les tempêtes ») et enfin colorisé par le génial Matt Hollingsworth, le récit captive jusqu’à la dernière case.

«Si en novembre il tonne, l’année suivante sera bonne» souffle le vieux dicton populaire. Grande nouvelle 🙂

Entretien avec Elsa Charretier.

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Comment est né le projet de travailler avec Matt Fraction ?

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J’ai rencontré Matt et son épouse Kelly Sue DeConnick à la Comicon de Paris de 2016. Nous étions invités et installés dans le même hôtel pendant 3 jours. Nous avons donc profité pour faire connaissance. J’admirais le travail de Matt notamment sur « Hawkeye – The Saga of Barton & Bishop » (2021).

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J’ai ensuite eu l’occasion de venir chez Matt et Kelly Sue à Portland. Le projet de réaliser un livre ensemble est venu petit à petit.

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Matt s’est rappelé d’une histoire qui lui était arrivée 15 ans auparavant. Alors qu’il jouait avec son fils de deux ans dans son jardin, le jeune garçon a trouvé une arme à feu chargée. La veille, la police était intervenue en raison d’un crime et quelqu’un avait dû jeter son revolver dans la propriété de Matt. Heureusement son fils n’a pas pressé la gâchette, il y aurait pu avoir une tragédie. C’était le mauvais endroit au mauvais moment. Cet épisode a inspiré Matt pour écrire « November ». Le personnage Emma-Rose trouve elle aussi par hasard un revolver chargé. 

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« November » se déroule en 2 volumes. Avez-vous voulu faire 2 albums distinctifs (concernant l’ambiance) ou au contraire « La Fille sur le Toit » et « La Voix au bout du fil » se font clairement écho ?

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Contrairement aux éditions françaises, l’édition originale est constituée de 4 volumes. Chaque partie est focalisée sur un personnage. « La Fille sur le Toit » se focalise sur Dee alors que « La Voix au bout du fil » se concentre sur Kay. L’histoire est alors vue selon la perspective de chacune.

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« November » est un comic qui réunit 3 artistes. Comment vous êtes-vous accordés avec le célèbre coloriste Matt Hollingsworth ?

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Il était évident pour moi que son nom devait apparaître sur la couverture. Encore de nos jours en France, les coloristes, au même titre que les lettreurs, sont injustement méconnus des lecteurs alors qu’ils ont une part majeure dans la réalisation d’un album de bande dessinée. Aux Etats-Unis, les comics les mettent en valeur depuis peu. 

Les couleurs de Matt [Hollingsworth] sont de véritables outils de story tellings qui renforcent l’histoire de « November ». Chacune des héroïnes ont des palettes de couleurs uniques. De plus, ces dernières représentent une période particulière de l’intrigue. Il y a en tout une vingtaine de palettes de couleurs différentes. Matt définit toujours une vraie cohérence. Les couleurs créent une unité dans mon travail. Je l’apprécie alors colorisé.

A présent, je travaille exclusivement avec Matt car il connaît parfaitement mon travail et met en valeur mes lignes. J’ai un tel respect pour les coloristes que je considère que je n’ai pas besoin de leur donner d’instructions.


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Kay, Dee, Emma-Rose ont des caractères et des physiques différents mais ont le point commun d’être des combattantes. Comment avez-vous conçu ces trois figures féminines ?

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Mon style de dessin se rapproche du cartoon. Par conséquent, il y a une simplification du trait pour tous les personnages. Les tailles, les coiffures et les morphologies ne doivent pas être différentes. Le character design renforcent également l’identité du personnage. En clin d’œil, avec ces codes, le lecteur doit déterminer sa personnalité.

Pour « November », j’ai construit le même plan : Kay est un personnage qui a beaucoup souffert. Elle a certes un aspect dur mais conserve une part de tendresse. Par conséquent, je l’ai dessinée ronde. Dee, quant à elle, étant une junkie, est beaucoup plus maigre. Son visage est anguleux donc androgyne car elle ne correspond pas au modèle féminin.

Je me laisse souvent guider par mon instinct. Quand je réfléchis trop au design d’un personnage, je n’arrive plus à avancer. Par conséquent, je laisse les choses se faire toutes seules.

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Est-ce un exercice plus libre que l’on doit proposer dans la bande dessinée Star Wars où la règle est de reprendre les visages d’acteurs ?

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Je n’ai pas l’impression d’être restreinte lorsque je travaille sur l’univers Star Wars. C’est par contre plus difficile. Il y a un visage à transmettre mais il ne faut en aucun cas proposer un dessin trop réaliste. Je risquerais alors de perdre mon propre style. J’essaye toujours de privilégier ce dernier plutôt que le visage de l’acteur.

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Il y a une case (page 49) qui rappelle « Nighthawks » du peintre Edward Hopper. Reprenez-vous les codes de la culture américaine pour mieux montrer un univers de défaite ? (« La fin de ce foutu monde »)

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C’est en fait un écho à « Batman : Year one » (1987) de David Mazzucchelli qui fait référence au tableau d’Edward Hopper. Il y a d’ailleurs d’autres cases de « November » qui font référence au travail de ce dessinateur que j’affectionne tout particulièrement.

Notre livre est un comic book mais il s’agit d’une histoire qui pourrait tout à fait se dérouler ailleurs qu’aux Etats-Unis.

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Le sang est partout. Il colle aux vêtements, aux billets de banque, aux corps. Aucun personnage n’est indemne de cette histoire ?

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« November » traite de la modernité, de la ville et de la corruption. Tout le monde peut devenir une victime dans un tel environnement. Alors que Dee se trouve confronter à une telle situation car elle se drogue, d’autres comme Emma-Rose et Kay sont en fait au mauvais endroit et au mauvais moment.

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La dernière partie fait-elle place à l’espoir comme la plupart des contes ?

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Matt avait en premier lieu imaginé une fin bien plus noire. A partir du volume 3 de l’édition américaine, nous nous sommes interrogés sur le dénouement. C’était un contexte particulier puisque c’était le début de la pandémie de Covid-19. Matt a alors renoncé à faire souffrir davantage ses personnages. Il a par conséquent changé la fin.

J’ai moi-même travaillé pendant longtemps sur « November ». Dessiner une fin plus optimiste m’a d’une certaine manière fait du bien.

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Pensez-vous retravailler avec Matt Fraction ?

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J’adorerais. Matt écrit à présent beaucoup pour la télévision. Il est notamment le scénariste de la série Apple « Godzilla and the Titans ». J’ai moi-même de nombreux projets. Par conséquent, un nouveau travail ensemble n’est pas d’actualité mais sera le bienvenu un jour ou l’autre.  

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Quels sont d’ailleurs vos projets ?

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Je travaille depuis deux ans avec Tom King sur « Love Everlasting ». Nous terminons actuellement le numéro 11.

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