Rock stars, punks, métalleux, boys bands, actrices… Pierre Terrasson a été en France le photographe incontournable des années fin 70, 80, 90. Artisan selon ses propres termes, il a été laissé place à une certaine tendresse et à la rêverie dans ses créations. Les photos sont en effet authentiques car elles sont issues d’un véritable travail.

Serge Gainsbourg, Vanessa Paradis, Alain Bashung, Indochine,. François Hadji-Lazaro. Tous ces artistes ont été embellis par Pierre Terrasson.

Entretien avec un photographe unique au sein de son atelier d’Aubervilliers.

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Avant de devenir photographe, vous réalisiez de la mosaïque. Quel était votre style ?

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Ayant été diplômé d’arts plastiques aux Beaux-arts durant les années 70, j’ai fait 6 ans de mosaïque et pendant 4 ans, j’ai été en atelier. Nous étions après les événements de mai 68, par conséquent tout le monde était perché, nous réalisions des œuvres ensemble et j’aimais cette ambiance.

En mosaïque, j’ai fait de la déco, un chantier dans les foyers de Sonacotra et des halls d’entrée à Gerland, quartier de Lyon. J’ai également réalisé des tables basses et même des tombes- notamment une pour ma famille.

J’ai été prof de dessin pendant un an puis j’ai décidé de faire autre chose. Je suis parti dans la vraie vie (rires).

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Est-ce par amour pour la musique que vous avez décidé de devenir photographe ?

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Oui c’est certain. Cependant, j’avais déjà fait de la photo avant les Beaux-arts. Je faisais partie d’une bande d’adolescents « artistes maudits » à Colombes. Nous étions de doux rêveurs et j’avais déjà un labo photo.

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Malgré le fait que ce soit parfois un travail de commande, la photographie peut-elle permettre une certaine improvisation ?

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Mon travail photographique fonctionne surtout avec le feeling. Et même pour un travail de commande, on peut faire quelque chose d’assez perso. Dans mon atelier d’Aubervilliers, j’ai un jour construit une piste de ski à base de polystyrène pour une double-page de VSD.

Lorsque vous travaillez avec des artistes que vous aimez, cela peut devenir très constructif.

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Parmi les groupes de rock, la mise en scène était-elle la règle ?

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Ce n’était pas spécifique à eux mais oui – même pendant les concerts, il y avait de la mise en scène ! Pendant les années 80, je n’ai pas photographié un mec sans une clope et un regard par en-dessous… Tout était attitude. Cependant, j’ai pu rencontrer des artistes métal qui ont souri devant mon objectif.

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Être photographe c’est aussi être metteur en scène ?

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Oui il faut toujours avoir une vision. Dans les années 80, je m’étais la musique à fond dans mon atelier et je prenais des photos sans me soucier de ce que mon sujet allait me dire ou raconter. Seul le « climat » m’intéressait et le « climat » donnait une attitude à mon modèle. Je me souviens de séances pleines de lumière et de fumée avec l’actrice Carole Laure. Nous aurions cru être dans un film et Carole avait une présence incroyable.

J’ai réalisé des clips mais ce fut un exercice plus difficile : il faut le bon réalisateur mais aussi le bon artiste, la bonne chanson, la bonne ambiance. Je préfère les images fixes.

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Vanessa Paradis a-t-elle été un modèle à part (vous avez été son photographe exclusif pendant 3 ans) ?

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Je l’ai déterrée de la presse jeunesse et je lui ai donné une certaine crédibilité. J’ai pu permettre à ce qu’elle puisse être en couverture dans les Inrockuptibles. Éric Mulet s’occupait à l’époque du service photos du magazine. Je lui ai parlé du fait que je suivais Vanessa Paradis. Éric se marre en se moquant de la chanteuse de « Joe le Taxi ». J’ai rétorqué que Vanessa a un potentiel incroyable. J’avais pris des photos d’elle pour le magazine Rock News. Sans lui dire quoique ce soit, Vanessa jouait instinctivement avec la lumière, le mobilier, les éléments et le fond.

Pour changer son image, je n’ai pas hésité à la prendre en photo dans des endroits pourris – notamment en bord de mer à Sangatte et à Boulogne. Avec ces photos, j’ai convaincu Eric et Vanessa a été en pleine page dans les Inrocks.

J’ai ensuite réalisé les photos des singles « Maxou », « Mosquito », « Coupe coupe ».

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Votre atelier est en pleine cité d’Aubervilliers. Amener des artistes dans un tel environnement a-t-il été un défi ?

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Pendant les dix premières années de ma carrière de photographe, j’avais un atelier plus petit. Cependant, j’ai toujours travaillé à Aubervilliers. J’ai pu amener des artistes comme Bashung, le groupe allemand Scorpion dans cette cité HLM.

Pour une séance photo avec le magazine Best, j’ai emmené Serge Gainsbourg depuis son domicile rue de Verneuil jusqu’à Aubervilliers. Il a fallu lui mettre une couverture sur le visage pour qu’il puisse faire le chemin de l’entrée de la cité jusqu’à mon atelier à pied sans se faire reconnaître.

Lorsque le groupe de hip hop Benny B est venu en voiture de location. Ce fut l’émeute. Des jeunes slameurs de la cité ne les aimaient pas trop et leur voiture a été vandalisée pendant la séance photos. J’ai fait beaucoup de presse pour les jeunes dans les années 90. Le phénomène Top 50 était incroyable. Quand les groupes Gold et Images sont venus, des fans tapaient sur les vitres de mon atelier. Certains gamins mettaient des poubelles au milieu de la route pour nous empêcher de partir rapidement. Je ne comprenais pas une telle frénésie. Lorsque j’ai suivi Patrick Bruel lors de ses tournées, j’ai pu voir encore la furie des fans.

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Comment a été réalisée la photo de Serge Gainsbourg au commissariat ?

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Il venait de sortir l’album studio « You’re under arrest » (1987). Ayant été en garde à vous un an auparavant au commissariat d’Aubervilliers pour violence envers un agent, j’ai eu l’idée de photographier Serge au même endroit. J’ai alors contacté Jack Ralite, le maire d’Aubervilliers de l’époque, que je connaissais bien et j’ai pu avoir l’autorisation de réaliser cette session au commissariat. A mon arrivée avec Serge, les policiers m’ont dit : « On vous connaît vous! » (rires). Nous avons pris la photo dans le bureau avec un flic de dos. Serge tenait à ce qu’on éclaire le buste de Marianne qui avait le visage de Catherine Deneuve. Il a mis les menottes à ses poignets – mise en scène assez classique chez lui.

Gainsbourg avait reçu une relation particulière avec la police. Il collectionnait les médailles et aimait passer ses nuits dans les commissariats. D’ailleurs, les premiers à avoir écouté l’album « You’re under arrest », ce sont les flics.

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Vous aimiez passer chez Gainsbourg, au 5 bis rue de Verneuil ?

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Oui. Pendant les prises, Serge me jouait du piano, du Chopin. Comme des passants sonnaient à sa porte pour le rencontrer, j’ouvrais de temps en temps mais pour leur indiquer de partir. Le lieu était particulier. A la mort de Serge, Bambou, sa compagne, m’a demandé de le prendre en photo l’intérieur de la rue de Verneuil.

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Avec des artistes comme Jacques Higelin et Alain Bashung, les liens étaient fluides ?

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Oui. J’ai d’ailleurs toujours fait un métier fluide. La seule fois où j’ai eu un souci avec quelqu’un – ce fut avec la chanteuse Juliette. Elle n’a pas aimé mes photos. Autrement, je n’ai jamais rencontré de problèmes avec d’autres artistes.

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Prendre en photo les artistes anglo-saxons c’était une autre façon de travailler ?

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C’était très chronométré et professionnel. Je n’ai notamment eu qu’une heure de photos avec Mick Jagger à Londres. Je suis arrivé avec mon assistant et un tas de boîtiers argentiques chargés. Parlant français, Mick Jagger m’a fait comprendre qu’il ne voulait pas perdre son temps et ni le mien d’ailleurs. Toutes les photos ont été réussies et Jagger a choisi l’une d’elles pour illustrer un de ses singles.

Lou Reed fut un modèle plus compliqué car immobile. Au bout de 30 minutes, j’ai alors décidé de partir. Ce fut une vraie déception.

Ayant aimé mes photos, Nancy Sinatra m’a alors proposé de la suivre aux Etats-Unis. Dès que j’entends la chanson « These Boots are made for walking », je pense au fait que j’aurais pu avoir une vie totalement différente (rires).

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Les femmes ont d’ailleurs été de grands modèles pour vous (Zazie, Julie Delpy, Elsa, Françoise Hardy, France Gall, Rama Yade…). Quelle est leur place dans votre travail ?

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Ce sont des modèles plus simples que les hommes et j’aime beaucoup les femmes. Mes photos donnent souvent une grande part aux rêves. Les femmes sont d’excellentes inspirations.

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Dans les années 90, vous avez pris en photo les boys bands et les stars de sitcoms comme Hélène Rolles (Hélène et les garçons). Après les groupes de punks et de métal, était-ce étonnant d’avoir de tels modèles ?

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Oui. Je me souviens avoir notamment suivi le groupe Motörhead à Hammersmith (Londres) et lors de leur venue en France. Ils avaient une présence incroyable.

Mais j’ai finalement préféré mon temps avec Hélène Rolles pendant une semaine à Taïwan que passer quelques minutes avec Lou Reed, l’austère.

Même si vous n’aimez pas leur musique, vous pouvez très bien avoir une excellente expérience avec un modèle. Il faut trouver sans cesse du positif.

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Le vinyle en tant qu’objet d’art exige des photos magnifiques ?

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Oui. J’ai d’ailleurs été triste lorsqu’il fut éclipsé par les ventes de CD. Une banale photo prise par n’importe qui peut très bien passer sur un CD à cause de son format mais sur un vinyle, vous ne pouvez pas tricher. Cela nécessitait une véritable mise en scène. D’ailleurs, de nos jours, le numérique manque clairement de sérieux. Quelle tristesse !

Heureusement des photographes continuent de travailler à la chambre mais jusqu’à combien de temps ? Tout travail sérieux nécessite un coût.

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Quels sont vos projets ?

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Je prépare actuellement une grande exposition sur ma vie de photographe à Azay-le-Rideau (Indre-et-Loire) pour l’été 2023. Il y aura probablement une autre expo sur le thème de la nuit, donc des photos prises au Palace.

En septembre prochain, un autre événement aura lieu à Lausanne (Suisse).

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Toutes les photos sont la propriété de ©Pierre TERRASSON.

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