Yves Saint-Laurent, Karl Lagerfeld, Andy Warhol, Mick Jagger,… Toutes ces icônes de la seconde moitié du XXème siècle ont su être de remarquables modèles pour le photographe Philippe Morillon.

Par leur véracité, de simples photos souvenirs peuvent en effet devenir le véritable reflet d’une époque. Habitué des lieux emblématiques parisiens tels que le Palace, les Bains douches ou encore les Folies Bergères, Philippe Morillon a su en effet capter une intense énergie aujourd’hui disparue. La folie des années 70-80 a disparu progressivement avec les conséquences de la drogue et du Sida.
Pourtant, les images demeurent.
Témoin précieux d’une époque artistique exceptionnelle, Philippe Morillon expose actuellement ses plus belles photos à la galerie 90 (Marché Biron – Puces de Clignancourt – Paris).

Entretien avec un artiste-témoin (“le meilleur biographe de l’époque” selon le grand couturier Karl Lagerfeld).

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Vous commencez votre carrière en tant qu’illustrateur (avec une technique de l’aérographe à l’acrylique). Le fait d’innover sans cesse plaisait à cette époque ?

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L’aérographe consiste à mettre de la peinture dans un godet et de la pulvériser pour faire des dégradés fins. Très à la mode à l’époque. Beaucoup de pochettes de disques ont été réalisées à l’aérographe. Moi-même j’ai notamment illustré des albums de Patrick Juvet, Ceronne et de Gérard Lenormand. C’était avant tout dans mon style un peu « PopArt ».  J’ai aussi illustré des disques de rock anciens des années 50. L’exercice nécessitait cependant une certaine maîtrise. De nos jours, c’est un style passé de mode.

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Les papiers peints c’était une façon d’être iconoclaste ?

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Il s’agissait surtout de s’amuser. J’ai exposé mon travail à la galerie du Passage à Paris, au Musée des arts décoratifs et Pierre Bergé en avait dans sa salle de bain. Pas très commercial tout cela.

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Les œuvres d’Ultra Lux s’amusent avec l’œil du spectateur. Est-ce aussi une façon de rendre hommage aux maîtres de la peinture ?

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Oui. « Ultra Lux » est une complication de travaux commerciaux et de travaux personnels dans les années 70-80. Plein de références picturales.

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Alors que certains étaient hippies, travestis, punks, vous avez personnellement choisi le style années 30. Était-ce par rejet du présent ou s’agissait-il de se démarquer de l’époque ?

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Je m’adaptais à toutes les modes. Dans les années 70, j’ai effectué un voyage à Katmandou (Népal). J’avais les cheveux longs et des habits hippies. j’ai ensuite suivi la mode rétro 1930, mais en 1977 avec la vague punk, j’ai une nouvelle fois changé mes tenues. Vestimentairement aussi, la période était très créative.

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Malgré l’extravagance, avez-vous su capturer une certaine timidité (la vôtre face à Roland Barthes, Yves Saint-Laurent,…) ?

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Yves avait un réel souci de communication. De plus, étant une célébrité dans le milieu de la mode, il était sans cesse accosté. Tout cela faisait qu’il était difficile d’échanger avec lui.  Moi je n’étais pas timide.

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Vous dites que vous preniez des photos en permanence comme s’il s’agissait de photos de famille. La photographie a-t-elle été une évidence pour vous ?

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L’appareil photo était avant tout un outil et de la documentation pour les dessins. Je prenais des photos lors de toutes mes sorties et mes déplacements. Elles étaient publiées épisodiquement dans les magazines où je travaillais. Avec l’accumulation d’images, je me suis dit que je pouvais devenir photographe. Bien plus tard.
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Que représente le noir & blanc pour vous ?

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Beaucoup de magazines comme Interview étaient publiés en noir & blanc , ce qui donnaient un aspect plus glamour aux images . Dans les boîtes de nuit, c’était plus simple d’utiliser le noir & blanc. Avec les photos couleur, la peau brillait et le maquillage coulait sur les visages si le film était sous exposé. D’une certaine manière, le noir & blanc sauvait les apparences. Mes photos montrent avant tout une vision idéalisée des nuits parisiennes.

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La rencontre avec Andy Warhol a été un moment pivot de votre vie. Vous sentiez-vous réciproquement artistiquement proches (dessinateur, photographe) ?

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.Lui-même illustrateur commercial dans les années 50, Warhol a par conséquent été intéressé par mon travail. Venant à Paris plusieurs fois dans l’année, il était quelqu’un de très social et aimait les mondanités. Avec une bande de jeunes gens autour de lui, Warhol me retrouvait au Palace ou à des dîners avec plaisir je crois.

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Était-ce un excellent modèle?

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Warhol était un personnage très amusant et doté d’un humour anglo-saxon. Cependant, face à l’objectif, son sourire devenait très sérieux. La perruque devait être de travers et aucun sourire ne devait être visible. Il voulait garder une image imperturbable d’artiste particulier et désabusé.

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Vous avez été également modèle. Est-ce un rôle à part entière?

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J’ai souvent joué les personnages en arrière-plan des photos d’Helmut Newton. Ce dernier s’intéressait aux femmes nues au premier plan. Je n’étais qu’un simple figurant vêtu d’un smoking.

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L’expérience au sein d’Interview a-t-elle été bénéfique?

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Etant devenu assez mondain à Paris, je prenais des photos des soirées pour ce journal tous les mois, là encore il s’agissait d’amusement.

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Vous devenez ensuite directeur artistique du magazine Egoïste ce fut plus sérieux ?

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Oui même si les numéros paraissaient moins souvent. Je travaillais avec d’autres photographes tels que Helmut Newton et Richard Avedon. Toujours des images en noir & blanc. Françoise Sagan écrivait les textes. C’était du haut de gamme.

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Vous avez pris en photo Eva Ionesco, Jodie Foster alors jeunes ou encore Christophe Bernard dit le petit Christophe. La jeunesse était-elle un objet de fascination ?

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Il y avait en effet beaucoup de jeunes de 14-15 ans qui trainaient au Palace. Ils faisaient le mur et venaient se défoncer. C’était une autre époque…Des personnes âgées pouvaient également passer. J’ai le souvenir d’avoir croiser Roland Barthes mais aussi Louis Aragon. Le Palace était une réussite car c’était un lieu où toutes les catégories sociales et tous les âges se retrouvaient.

Toutes ces soirées symbolisent cette atmosphère de fin des 30 glorieuses. Le plein emploi perdure, Paris est une ville accessible à tous les points de vue, le Sida ne s’est toujours pas propagé. Cette période était comme un rêve.

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Dans quelles circonstances, avez-vous pris en photo Sœur Emmanuelle ?

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Mon père étant un catholique très engagé, il a eu l’occasion de travailler auprès de Sœur Emmanuelle. Venant parfois déjeuner à la maison, j’ai pu la prendre en photo.

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Le monde de la nuit avec ses fêtes et ses extravagances vous fascinait-il, s’agissait -il avant tout d’apparences ? (Karl Lagerfeld, Mick Jagger travesti)

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Dans le milieu de la mode, tout était prétexte au déguisement. Tout en s’amusant, les gens profitaient de ses soirées pour se rencontrer, remplir leur carnet d’adresses ou trouver un nouvel amant/amante.

Il était possible d’avoir l’occasion d’échanger avec Yves Saint-Laurent et Marie-Hélène de Rothschild. Les portables avec appareil photo n’existaient pas. Aujourd’hui, protégées par des gardes du corps, les stars sont très difficiles d’accès.

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L’ambiance du Palace était-elle belle car éphémère ?

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40 ans après, il est clair que la période est glorifiée à juste titre. L’ambiance à bien changé….

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Kenzo a été inhumé dans le même caveau que Fabrice Emaer, le fondateur du Palace. Les lieux sont-ils des personnages à part entière ?

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Les lieux existent encore mais avec un aspect si différent.

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En tant que « meilleur biographe de l’époque » selon Karl Lagerfeld, pensez-vous que l’époque avait aussi ses défauts ?

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Il y a eu le revers de la médaille : Les conséquences de la drogue et du Sida. La grande liberté sexuelle est devenue un problème. Les périodes créatives meurent également.

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Toutes les photos sont la propriété de © Philippe MORILLON.

Dernière photo © Brieuc CUDENNEC 2022

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