Plus que jamais, le monde de la bande dessinée reste à explorer. Chaque mois, des albums orignaux et même audacieux sortent dans les librairies. Les œuvres de Robin Recht en font partie. Totendom, « Notre-Dame de Paris », « Désintégration », « La Cage aux cons », des adaptations des histoires d’Elric et de Conan le Cimmérien « La Fille du géant du gel« . A chaque fois, il y a un élément pertinent. Le graphisme, les couleurs, la psychologie des personnages,… Tout est soigné chez Robin Recht. Les projets vont bon train puisque qu’il publiera en début d’année prochaine une aventure de Thorgal, « Adieu Aaricia ». Nous reverrons à ce moment-là Robin Recht pour une seconde partie d’échanges.

Entretien avec un formidable dessinateur.

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Les jeux de rôles, le fantastique, l’heroic fantasy, l’adaptation, l’humour noir,… Est-ce qu’on peut finalement définir votre univers ?

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Cela se précise en tout cas. Pendant longtemps ce fut un vrai fouillis mais il y a toujours eu une ligne directrice : l’imaginaire, les héros de mon enfance et un certain gout pour la mélancolie. Cela est très clair lorsque j’ai dessiné l’adaptation des aventures d’Elric. Cet anti-Conan un peu dépressif et romantique qui m’avait tant marqué durant mon adolescence. Et puis, avec le temps on vieillit, on ajoute d’autres gouts et même si je n’ai jamais voulu faire disparaître cette partie populaire et fantastique, j’ai intégré un côté plus adulte à mon travail. « La Cage aux cons » (2022) est l’album qui montre bien cette évolution. J’y présente des problématiques plus matures, plus dures aussi.

Dans ce livre comme dans ceux où j’explore l’heroic fantasy, ce ne sont jamais des histoires très positives. J’ai une tendresse pour les mondes qui s’écroulent, pour un passé qui disparait.

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Pourquoi n’y a-t-il pas eu de 3ème acte de la série Totendom ?

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Les Humanoïdes associés n’en voulaient pas. Ils traversaient à l’époque une des graves crises financières qui ont émaillé leur histoire et mon éditeur m’avait signifié l’arrêt de la série. Avec le temps, et malgré le fait que Gabriel Delmas et moi avions commencé à travailler sur le dernier acte, nous sommes tous passés à autre chose. Totendom a été une série où pour la première fois j’ai réalisé un véritable travail d’auteur. C’était parfois maladroit, fouilli mais j’ai beaucoup appris sur ces livres. A l’époque, je souhaitais m’éloigner de l’univers de la bande dessinée pour puiser mon inspiration dans d’autres sources. Je crois qu’il est dangereux pour un artiste de se nourrir toujours de la même culture, il faut sans cesse se régénérer loin des habitudes. C’est vers l’univers cinématographique de Sergueï Eisenstein que je me suis tourné pour Totendom – En particulier son film « Ivan le Terrible » (1944).

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Vous avez également dessiné le premier album du second cycle du « Troisième Testament »- Julius. Est-ce que ce fut facile d’intégrer l’univers du scénariste Xavier Dorison ?

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Xavier et Alex sont deux personnes à la fois très douées, bienveillantes et professionnelles, ce fut un vrai plaisir de travailler avec eux et un honneur qu’il me propose d’être le dessinateur de la série. Avec le recul, je ne pense pas avoir été le bon choix pour cet album. Cette préquel a bien sûr été une très belle opportunité professionnelle pour moi mais il se trouve que parmi mes très nombreux défauts il y a celui de ne pas être capable d’obéir. Xavier et Alex avaient besoin d’un dessinateur qui interprète fidèlement leurs pensées. Clairement je n’étais pas le bon outil. Par chance, j’ai été suivi par Thimotée Montaigne qui lui, a été formidable.

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Pourquoi avez-vous décidé de réaliser l’adaptation de « Notre-Dame de Paris » avec le dessinateur Jean Bastide ?

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J’ai été inconscient. J’avais envie d’adapter une histoire médiévale en bande dessinée. Le Moyen-Âge peut vous apporter le côté épique et romantique. De plus, j’avais lu le roman de Victor Hugo et je trouvais l’histoire formidable. Beaucoup d’adaptations avaient mis de côté des personnages importants tels que Pierre Gringoire. Je voulais justement traiter l’histoire d’une façon différente.

J’ai proposé l’idée à l’éditeur mais il m’a répondu que Jean Bastide souhaitait faire la même chose. Nous nous sommes entendus pour réaliser « Notre-Dame de Paris » ensemble. Même si je suis heureux de notre travail, je pense qu’aujourd’hui j’aborderais l’histoire de manière très différente. 

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Êtes-vous un éternel insatisfait ?

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Définitivement.

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L’album « Désintégration », outre le fait qu’il s’agisse d’une œuvre sur la politique a-t-il été un défi visuel ?

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C’est un travail où j’ai fait un vrai pas de côté sur le plan graphique. J’ai travaillé sur un gaufrier strict avec une approche assez intellectuelle.

Même si l’histoire de « Désintégration » était difficile à adapter (comment rendre passionnant des réunions de travail ?), j’ai trouvé l’exercice intéressant. Matthieu Angotti, ancien collaborateur de Jean-Marc Ayrault à Matignon, avait réellement vécu ce qui était raconté dans l’album et le défi a été de me mettre au service de sa pensée. Tout mon travail était fait pour que je disparaisse, je devais juste être l’interprète de son histoire. 

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Avec les albums d’Elric, vous dessinez aux côtés de Didier Poli et Julien Telo. Eric de Ménilboné est un anti-héros albinos et drogué. Comment on aborde un tel personnage ?

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Elric a beaucoup compté dans mon adolescence. Maigre comme un clou, solitaire et timide, j’étais le môme qui dessinait au fond de la classe et je m’identifiais tout à fait à ce personnage qui est le contraire du mâle alpha. C’est clairement l’anti-Conan le Cimmérien. Les livres de Moorcock s’adressent à un public très adolescent. Elric n’assume pas sa vie et ne devient puissant que lorsqu’il récupère une énorme épée. Avec cet aspect phallique, rien d’étonnant à ce que de nombreux adolescents se soient identifier à un tel anti-héros.

De plus, Moorcock a écrit ses livres à l’époque du flower power et au moment où les empires britanniques et français s’effondrent définitivement. Cet aspect de son travail m’a toujours touché. Comme le souvenir d’un paradis perdu tragique.

La collaboration avec Didier Poli fut à la fois impure et très enrichissante. Un peu comme un mariage contre-nature qui malgré tout aurait fait de beaux enfants. Ayant travaillé chez Disney, Didier a par exemple un vrai sens de l’anecdote, du populaire et de l’efficacité que je n’ai pas forcement. C’est aussi quelqu’un de plus positif et plus solaire que moi.

Si j’avais été seul, il est certain que mon Elric aurait été plus sombre, maigre et maladif.

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Comment s’est passé le lien avec l’écrivain Michael Moorcock ?

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Ce fut une très belle rencontre. Moorcock a été une figure importante de la culture pop. Il a connu Tolkien, Philip K. Dick ou encore Alan Moore.

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« Pour moi, Recht dépasse Howard » écrit Moorcock. Comment avez-vous décidé d’adapter une histoire de Conan le Cimmérien, « La Fille du géant du gel » ?

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Après Elric, je voulais enfin réaliser un album seul. Les éditions Glénat lançaient alors une collection d’adaptations des nouvelles de Howard sur Conan et j’ai profité de l’aubaine pour leur proposer d’en signer une. Le jour même, j’ai reçu la liste des textes encore disponibles. La première nouvelle de Howard que j’ai lu n’était pas dans cette liste mais c’était la plus courte: « La Fille du géant du gel ». Ma lecture s’est arrêtée là, elle était parfaite. Il y avait tout ce que j’aime dessiner et tout ce que j’aime dans Conan là-dedans ! Mon éditeur n’était pourtant pas très chaud pour me suivre sur ce choix. Il considérait la nouvelle inadaptable. Après plusieurs réunions, j’ai finalement convaincu l’équipe éditoriale et j’ai pu commencer à travailler.

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Vous montrez Conan jeune mais puissant. Est-ce un héros avec finalement des failles ?

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Conan est un fantasme. Les adolescents complexés aimeraient être ce mâle alpha à la fois dominateur, sans peur, séducteur et sanguinaire. Heureusement, ce n’est pas possible ni souhaitable (rires).

Conan assume ce qu’il est, sans aucune once de culpabilité. C’est une force qui est et qui va.

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Une scène (Tôm Tôm) est magistrale car elle est sonore. Qu’avez-vous voulu exprimer dans ce combat entre Conan et Atali ?

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Pour Conan, il est important de ne jamais se soumettre. Dans son monde très hiérarchisé et conservateur, Atali, fille du dieu Ymir, est au-dessus des héros et des hommes et en tire profit. Face à elle, Conan dit simplement non et veut imposer sa propre loi. Avec cette scène, j’ai voulu montrer son obstination à ne pas se soumettre. Ce n’est pas un choix intellectuel, Conan est viscéral. Pour la première fois, Atali se retrouve contrée puis dominée par un simple mortel.

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Avec ses grandes pages d’illustration, est-ce que « La Fille du Géant du gelé » a été une chance car c’est justement une histoire courte ?

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Il s’agit d’une nouvelle de Robert E. Howard qui ne connaît aucun virage., c’est juste une ligne droite. J’ai donc eu beaucoup d’espaces pour travailler le visuel et le symbolisme. Ce n’est pas une histoire avec des anecdotes – les rebondissements sont inexistants, par contre il y a beaucoup de symboles. Lorsque vous adaptez une œuvre, vous devez la violenter avec beaucoup de tendresse. Une redit est inutile – le livre se suffit alors à lui-même, ce serait juste le commentaire d’un commentaire. Les écrits de Robert E. Howard ont été un point de départ et je voulais que ma vision d’auteur soit le point d’arrivée.

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Comment avez-vous conçu le personnage Atali ?

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Je ne voulais pas qu’elle soit une pin-up trop féminine. Je la voyais plutôt comme une adolescente juvénile et séductrice : une lolita. Elle s’amuse à plaire aux hommes pour mieux les écraser. Atali devait être transgressive et venimeuse.

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Avec « La Cage aux cons », vous avez voulu réaliser un huis clos, une ambiance théâtrale loin du monde de Conan ?

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Il est clair que je voulais explorer un univers très différent. Après un long travail sur Conan, j’ai eu besoin de changer d’air et de me régénérer. J’avais lu un roman peu connu de Franz Bartelt, « Le Jardin du Bossu » qui m’avait beaucoup plu. J’ai voulu m’en inspirer pour réaliser une histoire qui me permette à la fois de rigoler et de mêler la bande dessinée avec le cinéma des années 60.

Et puis, l’histoire est beaucoup moins légère qu’elle n’en a l’air.
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Quels sont vos projets ?

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Je viens de finir un gros one shot sur Thorgal: « Adieu Aaricia ». C’est mon premier scénario qui n’est pas une adaptation et même si j’en sors épuisé, je me suis régalé. De nouveau j’ai eu l’immense bonheur de me replonger dans un univers de mon adolescence.

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