« Que ne fait point un cœur – Pour plaire à ce qu’il aime, et gagner son vainqueur ? » Ecrite il y a pourtant plus de 300 ans, la grande tragédie de Jean Racine reste toujours autant jouée sur scène. « Bérénice » évoque cette reine de Judée du Ier siècle. Amante malheureuse du futur empereur Titus, elle affronte les éléments et accepte dignement son sort.
Muriel Mayette-Holtz a su mettre en scène avec force « Bérénice » au TNN (à sa création, à Nice) puis à La Scala (à Paris et à Avignon). Le texte est identique mais le décor et les tenues vestimentaires font écho à notre époque. Bérénice devient alors une héroïne contemporaine.
Ayant déjà incarnée la reine de Judée pour la télévision, Carole Bouquet rayonne dans cette tragédie.
Entretien avec Muriel Mayette-Holtz.
.
.
.
.
Pour quelles raisons avez-vous choisi d’adapter Bérénice dans une ambiance plus contemporaine ?
.
.
.
.
Il était important pour moi que chacun puisse se retrouver dans cette histoire et surtout qu’une esthétique trop historique ne l’éloigne pas de nous. Plus simplement je n’imaginais pas Bérénice en coturnes et en toge, car cette histoire d’amour traverse les siècles, mais elle est avant tout humaine et nous concerne toujours. La famille d’Angleterre en est la preuve constante !
Je ne cherchais pas à la rendre contemporaine, je cherchais un cadre juste où elle puisse se dérouler : et l’idée du lit est venue. Une histoire d’amour se raconte autour d’un lit… Il me fallait un cadre très beau, royal et presque neutre, ou irréel, c’est pourquoi j’ai voulu un tableau de Hopper, pour que la contemporanéité n’ait plus d ‘âge.
.
.
.
.
Quelle est la part de la musique ?
.
.
.
.
La musique est donnée par le rythme des alexandrins, ce langage n’est pas naturaliste et j’ai choisi d’accompagner cette musique intérieure par une musique composée et créée par Cyril Giroux pour les acteurs… Cela permet de rentrer plus facilement dans les alexandrins, et de mettre en exergue la dimension presque psychanalytique de la pièce. C’est aussi assez cinématographique et la parole est la voix intérieure des personnages à laquelle Racine nous donne accès.
.
.
.
.
Le décor est-il une référence aux tableaux d’Edward Hopper ?
.
.
.
.
Oui une chambre intemporelle, belle mais vide, avec un lit au centre et le déroulé du ciel pendant cette journée d’adieu. Pour que tous les sentiments d’une rupture aient toute la place. Un espace où la vie bascule. L’adieu à l’amour et le coucher du soleil.
.
.
.
.
.
.
.
.
Titus et Antiochus semblent avoir des relations ambiguës (affrontements et respects profonds). Qui sont-ils ?
.
.
.
.
Des amis qui aiment la même femme, ce sont en effet des sentiments ambigus. Titus ne peut se passer d’Antiochus, il va même jusqu’à lui confier son amour et Antiochus aime Bérénice sachant qu’elle est la femme de son ami. L’un et l’autre ont partagé la guerre, frôlé la mort, vécus en débauchés, ils sont amis d’armes, ils sont princes, du même milieu et leur amitié les lie absolument et presque de manière amoureuse. Titus supplie Antiochus d’emmener Bérénice…
.
.
.
.
Carole Bouquet montre une Bérénice sonnée mais forte face aux événements. Est-elle le personnage qui sort de l’histoire le moins démoli ?
.
.
.
.
Elle est surtout le plus courageuse, elle est féministe avant l’heure car c’est elle qui dit « vivons » Lorsque l’on prend une décision on semble plus fort, elle prend la décision de partir et de ne pas mourir, elle semble plus forte, mais lorsque l’on renonce au cœur, à l’amour quelque chose meurt… Elle accepte donc cette douleur, mais une part d’elle meurt.
.
.
.
.
Que symbolise le lit?
.
.
.
.
Le lit c’est la réalité de l’amour, la sexualité, la complicité, la tendresse, l’habitude, la complémentarité, l’intimité… Un lit qui se défait, s’ouvre et se vide… C’est toute l’histoire d’une rupture, il faut quitter ce lit.
.
.
.
.
.
.
.
.
Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans cette pièce (même après l’avoir adaptée)?
.
.
.
.
Je l’ai coupée, je ne l’ai pas adaptée !
La pureté des mots me surprend, me touche profondément, la beauté de cette langue, si simple, si musicale et surtout si intérieure. C’est un chant d’amour, cette pièce est d’une beauté fracassante et c’est la beauté qui peut sauver le monde…
.
.
.
.
Photo de couverture : ©Sophie Boulet