Pour les enfants du quartier, le parc est un inoffensif jardin public. Mais pour Providence, son gardien à l’allure inoffensive, les lieux grouillent de sombres créatures qu’il fait tout pour dissimuler. Le bestiaire tout droit sorti de l’univers de l’écrivain américain d’Howard Philips Lovecraft à inspirer la dessinatrice Daria Schmitt. Après le gothtique « Ornithomaniacs« , « Le Bestiaire du crépuscule » surprend par son inventivité. Le noir et blanc est précis, les couleurs décapent. En avançant progressivement dans le récit, le lecteur découvrira même la nouvelle de Lovecraft « L’Etrange Maison haute dans la brume » (1931) que Daria Schmitt réussit à illustrer parfaitement.

« Le Bestiaire du crépuscule » est un exercice surprenant qui nous a donné envie d’en savoir plus sur cette collaboration Lovecraft-Schmitt.

Entretien.

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Après plusieurs albums sur le monde fantastique (Acqua Alta, Ornithomaniacs,…), vous réalisez cette fois un album sur un des grands maîtres du genre, Howard Philips Lovecraft. Comment avez-vous eu cette idée ?

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A la lecture de l’essai de Michel Houellebecq, « H.P. Lovecraft, Contre le monde, contre la vie » (1991), j’ai eu envie de relire les nouvelles de Lovecraft, et je me suis plongée dans la lecture exhaustive de cet auteur. Mais au-delà des histoires, c’est le personnage lui-même qui m’a intéressée. J’ai voulu mettre en scène quelqu’un qui lui aurait ressemblé. Ce fut un long processus car il y avait beaucoup de contraintes, de pièges même peut-être, mais ce fut un exercice passionnant.

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Personnalité obscure, ambigüe et froide, Lovecraft est-il un héros à part entière ?

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Un anti-héros, sans l’ombre d’un doute, et plein de contradictions ! Il vit au bord d’un  monde en pleine mutation, qui lui échappe et le glace. Sa vie peut facilement  devenir une véritable source d’inspiration pour construire un personnage décalé qui a du mal à trouver sa place. Sa biographie de référence est restée sur ma table pendant deux ans !

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Vos recherches vous ont amenée en effet à presque tout lire sur Lovecraft et son univers. Est-ce une façon d’installer un décor (vous qui en avez imaginé d’autres pour Disney et le théâtre) ?

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C’est vrai que j’aime digérer les choses avant de les mettre en scène… et en parlant de décor, j’ai travaillé sur un lieu que je connais très bien un parc parisien du  XIVème arrondissement. Dans « Le Bestiaire du crépuscule », les enfants  jouent dans les lieux que j’ai fréquentés pendant toute mon enfance.

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Est-ce un défi d’illustrer l’indicible ou au contraire c’est un véritable jeu ?

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Un peu les deux. Mais si c’est indicible, on peut tout imaginer ! Le monde de H.P. Lovecraft a été très utilisé, c’est une véritable référence. Cela peut être un peu écrasant, au début, puis j’ai décidé de faire un pas de côté,  de me décaler et de jouer des codes. L’utilisation de la couleur, le ton un peu narquois, font partie du côté ludique du livre.

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La couleur incarne donc une ambiance particulière ?

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Elle est intégrée à la narration qu’elle rend, je l’espère, plus fluide. Dans « Le Bestiaire du crépuscule », deux mondes s’entre-choquent. Les couleurs illustrent celui de l’imaginaire. L’ « horreur cosmique » que décrit H.P. Lovecraft, m’a poussé à choisir une gamme de couleurs  inspirée des images de nébuleuses…vives, un peu psychédéliques ! Lovecraft était un scientifique refoulé qui aimait l’astronomie. Plus l’histoire avance vers la folie, plus le lecteur rentre dans le lac et plus la couleur envahit les planches.

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Les vieilles dames accompagnent Providence tout au long du récit. Quelle est votre préférée ?

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Il s’agit d’un trio indissociable. Ce sont les trois Parques,  mais elles font également référence aux  femmes qui ont accompagné Lovecraft tout au long de sa vie : Sa mère et ses tantes. Ce sont finalement les personnages du « Bestiaire du crépuscule » qui ont le plus de recul par rapport aux événements, celles qui s’adaptent à toutes les situations.
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Comment avez-vous imaginé le titre ampoulé de votre livre lovecraftien ?

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En référence au style d’écriture de H.P. Lovecraft, et au bestiaire élaboré à partir de son œuvre. La fin de la vie de Lovecraft a été terriblement crépusculaire.

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La directrice du parc, véritable centaure toujours perchée sur son cheval, a également un langage très ampoulé…

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C’est également un personnage un peu décaler : elle emploie le vocabulaire de l’entreprise pour l’appliquer à la gestion d’un parc public. Comme le gardien, elle a sa rhétorique et n’en démord pas ! À l’origine, son cheval  était inspiré de celui qui apparaît derrière le rideau du tableau de J.H. Füssli « Le Cauchemar » (1781).

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Les créatures sont présentes, envahissantes mais ne semblent pas féroces. Est-ce une sorte de parade ?

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Les carpes peuvent ressembler aux ballons que l’on vend dans les kiosques du parc, mais en beaucoup, beaucoup plus gros !… Elles  surgissent, mais donnent lieu à différentes interprétations selon les observateurs, peu enclins à la remise en question de leur monde : gonflables événementiels pour les promeneurs et la directrice, monstres venus d’une dimension cauchemardesque pour le gardien.

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La nouvelle « L’étrange maison haute dans la brume » est intégrée à votre récit. Est-ce la vraie lettre d’amour adressée à l’œuvre de Lovecraft ?

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Le texte décrit le lieu  idéal pour la « retraite » de mon gardien. Ce monument perché sur une roche inaccessible où le protagoniste dialogue avec des créatures imaginaires, me semblait une allégorie parfaite de l’écrivain, témoin isolé de scènes que les hommes doivent ignorer. Cette nouvelle n’appartient pas aux récits horrifiques de Lovecraft, c’est presque un long poème, un condensé très visuel de son univers.

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Et le chat Malodoror ?

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C’est un clin d’œil à un autre monstre sacré, créé par le poète franco-uruguayen Lautréamont.

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Avez-vous définitivement fermé le livre avec Lovecraft ?

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Je suis restée dans son monde pendant trois ans, je tourne donc la page pour explorer autre chose, Lewis Carroll peut-être ?…

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