Bien souvent, le premier roman est un cri du cœur, une nécessité pour celle ou celui qui a décidé de raconter. « Les Chairs impatientes » est une histoire intense sur le désir et la quête de liberté. Une femme témoigne de ses passions – celles qui font souffrir mais aussi celles qui font renaître.

Marion Roucheux, cofondatrice du média « Les Louves« , donne dans son premier livre la parole aux corps avec talent. « Les Chairs impatientes » est un récit où les forces se rencontrent et fusionnent. Le style est à la poétique et crue- tout pour raconter une histoire – celle de nos désirs.

Entretien.

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« Les Chairs impatientes » est une œuvre réellement féminine. S’adresse-t-elle tout de même aux hommes ?

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Je ne pense pas qu’il y ait des œuvres réservées aux femmes et des œuvres réservées aux hommes. Le désir féminin est un sujet universel à mon sens.

Suite à la sortie du livre, j’ai d’ailleurs reçu des messages d’hommes qui ont été bouleversés par ce qu’ils avaient lu et des lectrices, qui se sont identifiées à mon personnage.

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La littérature qui aborde la sexualité est-elle trop masculine encore de nos jours ?

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Oui certainement. Lorsque j’ai commencé à écrire sur le désir, j’ai relevé que peu d’œuvres sur le sujet avaient été écrites par des femmes et que plus généralement peu d’auteurs le traitent comme un sujet en tant que tel, avec toute sa dimension sensorielle. Le désir est souvent un à côté d’une histoire d’amour. Par mépris ou par méconnaissance, les sujets ayant trait au corps féminin ou encore la maternité sont trop souvent perçus comme de simples sujets de « bonnes femmes ».

Je pense que les autrices ont toujours voulu écrire sur leurs émois et émotions. J’imagine juste que certaines n’ont osé publier leurs histoires ou bien que les maisons d’éditions ont pu refuser de tels écrits. Peut-être parce qu’on confond encore trop récit sur la sexualité et pornographie ou textes à l’eau de rose, comme s’il n’y avait pas de juste milieu.

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Votre livre comporte plusieurs couches de lectures. Vous traitez de la sexualité, du corps qui se libère à nouveau mais également de la famille et de la nature. Pour un premier livre, ce fut une vraie difficulté de traiter une telle histoire ou finalement c’était une nécessité de s’exprimer par la littérature ?

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Je voulais écrire l’histoire d’une passion, comment on la vit et on la traverse. J’étais surprise et frustrée de constater qu’un sujet aussi universel que le sexe et le désir était si peu abordé.

Au départ, j’ai écrit des petits fragments de texte, avant que progressivement, mes écrits prennent la forme d’un roman.

J’ai peu à peu découvert mon personnage et j’ai creusé en elle pour découvrir l’origine de sa quête du désir, et peu à peu une histoire s’est dessinée. Celle d’une femme trentenaire qui redécouvre son couple à travers la parentalité, qui explore ses différentes identités, qui recherche la vérité à travers le sexe. À partir de là, plusieurs thèmes se sont entrechoqués ou juxtaposés dans mon texte.

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Êtes-vous critique à l’égard de cette femme ou même si vous êtes différente d’elle vous la comprenez ?

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Je ne suis pas critique vis-à-vis d’elle. Depuis le début, j’ai imaginé ce personnage comme une femme à travers laquelle tout lecteur pourrait se retrouver. J’ai volontairement évité les descriptions physiques, j’ai décidé de ne pas lui donner de prénom, je la voulais pures émotions et sensations. Quand j’ai relu mon texte plus tard, une fois que sais su qu’il serait édité, j’ai pu porter un autre regard sur elle :

À ma grande surprise, mon personnage m’a fait pitié. Je l’ai découverte pleine de faiblesses et de fragilité. Elle m’a rappelé beaucoup de femmes que j’avais croisé dans ma vie. J’ai été très émue de la redécouvrir, se débattant face à ses démons.

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La tentation de la mort est également présente avec cette scène terrible de tentative de suicide où la narratrice a le désir de se défénestrer avec son nouveau-né dans les bras. Est-ce là aussi le corps qui s’exprime ?

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« Les Chairs impatientes » c’est aussi l’histoire d’une femme qui se recroqueville sur elle-même. La narratrice est en pleine crise identitaire, pour se retrouver elle se dégage de son rôle de mère et d’épouse. Cette scène de tentative de suicide (qui n’est jamais nommée comme telle) a été l’une des dernières que j’ai écrites : jusqu’au bout je me suis demandé quel avait pu être l’élément déclencheur, pourquoi cette femme avait besoin de se couper du monde. Je crois que l’une des réponses est qu’elle se sent dépassée par tout ce qu’elle vit. Fracasser son corps sur le sol est une façon pour elle de reprendre le contrôle.

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La narratrice des « Chairs impatientes » n’a pas de nom. Malgré cela, au même titre qu’un lecteur peut le faire, lui avez-vous donné un prénom ?

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Pas du tout. Dès le début j’ai voulu écrire une histoire incarnée et sensorielle à la première personne du singulier. Nommer mon personnage aurait été trop artificiel, ça ne sonnait pas juste.

L’amant a eu un temps un prénom puis un surnom [L’autre] mais j’ai renoncé là aussi : je ne voulais aucune indication qui trahisse mes personnages, je voulais des êtres libérés de tout a priori.

Je n’ai pas donné de prénoms aux enfants non plus. Le seul à qui j’ai donné un prénom est le mari : peut-être parce qu’il est le plus connecté au réel.

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Quelle est la part du lac dans le récit ?

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Pendant toute l’écriture des « Chairs impatientes », j’ai eu une dévotion pour ce lac. Il a été le fil conducteur de l’histoire.

D’ailleurs j’ai écrit mon texte en deux temps. J’ai achevé une première version puis trois mois plus tard, une phrase m’est venue et ne m’a plus lâchée : « Je n’ai pas épuisé le lac ». J’ai compris que mon récit n’était pas fini, et j’ai répondu à cet « appel du lac » en le prolongeant.

Dans l’histoire, le lac est toujours présent pour la narratrice. Face à la nature, elle se révèle à elle-même et se libère. Dans la seconde partie du roman, elle va à la rencontre du lac, on peut y voir un lâcher prise total ou une métaphore du désir, chacun peut l’interpréter comme bon lui semble.

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Le fait d’être mère change-t-il la pensée d’être amante ?

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Oui, je pense que devenir mère chamboule entièrement nos identités de femmes et notre sexualité. La maternité vous détache d’une certaine façon de la sexualité mais vous y ramène autrement aussi. A travers la grossesse et l’accouchement, chaque femme vit une expérience unique, des émotions et sensations sans commune mesure. Je pense que d’une certaine façon ce nouveau corps de mère demande à être réveillé, désire connaître à nouveau des sensations fortes, et cela peut passer par le sexe.

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L’amant (Lui) est-il avant tout un corps ?

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Il est un prétexte pour la narratrice, une façon pour elle de retrouver son propre corps. On ne sait pas qui est cet homme, ni ce qu’il pense et ressent. Lui et elle ne sont que dans le pur instant. Finalement je connais peu de cet amant – je ne sais que ce que la narratrice voit en lui.

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Comment avez-choisi la couverture du livre ?

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Elle a dépendu du titre. Lorsque ce dernier a été enfin trouvé, nous avons réfléchi à l’image qui l’illustrerait. Finalement mon éditrice m’a envoyé par mail une première version : quand j’ai vu cette femme dénudée, son mystère et sa fausse nonchalance, j’ai pleuré. C’était mon corps qui me disait que c’était la couverture parfaite pour moi. D’ailleurs plus le temps passe, plus je l’aime, tout comme le titre me paraît être une évidence.

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Écrire est une passion dévorante pour vous. Où souhaitez-vous vous orienter à présent ?

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Je n’ai qu’une certitude : je n’ai jamais arrêté d’écrire et j’écrirai toujours. C’est vital pour moi. Est-ce qu’il y aura un second roman ? Je l’espère.

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