La Révolution française est un événement profondément marquant de notre histoire. Indiscutablement, il y a un avant et un après 1789. Face au passé de l’Ancien régime, les révolutionnaires ont décidé de façonner une nouvelle ère – celle de la liberté. Suite à l’abolition de la monarchie, le 22 septembre 1792 est décrété par la Convention comme l’an premier de la République française. Il se trouve que ce jour est également celui de l’équinoxe d’automne. « L’ère vulgaire » prend alors fin et la commission Romme (du nom d’un député) est mise en place afin de concevoir le calendrier révolutionnaire. Ce dernier est adopté le 5 octobre 1793… pardon le 14 vendémiaire.
Alors que le mètre et le kilomètre ont perduré jusqu’à nos jours, le calendrier révolutionnaire est abandonné le 22 Fructidor An XIII (9 septembre 1805). Pour quelles raisons, l’ère républicaine a-t-elle mis fin à son propre temps ? Que nous reste-t-il de ce calendrier ?
Entretien avec Côme Simien, Maître de conférences en Histoire moderne à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne afin de mieux comprendre ce calendrier si révolutionnaire.
.
.
.
.
Alors que l’on impose le mètre et le kilomètre, que l’on met en place les départements aux dépends des régions, le calendrier républicain est-il un élément logique de la régénération de la société française durant la Révolution ?
.
.
.
.

Il est en effet pensé ainsi. Le calendrier républicain est imaginé comme la continuité et même le parachèvement du système métrique et décimal élaboré par les révolutionnaires. Donc comme l’ultime déclinaison de la régénération des mesures du monde entreprise par la Révolution. Lorsque le calendrier est présenté à la Convention par le député Gilbert Romme le 20 septembre 1793, cela fait un mois déjà que le système métrique (mètre, litre, gramme…), reposant sur la base décimale, a été adopté par la même Convention. Avec le calendrier révolutionnaire, le système décimal est transposé à la mesure du temps. Certes la découpe de l’année en 12 mois est préservée. Mais passé cela, la base décimale est introduite pour les mois (30 jours) et leur fractionnement (il n’y aura plus de semaines de 7 jours mais des décades de 10 jours). On proposera même de décliner les minutes et les heures du jour selon ce système à base 10. L’idée est d’introduire plus de raison, plus de logique, dans la mesure de l’écoulement du temps. Grâce à la base décimale, par exemple, un mois débutera toujours par un « primidi » (premier jour de la décade), et pas tantôt par un lundi, tantôt par un mercredi, tantôt par un vendredi…
.
.
.
.
L’an I de la République française est proclamé le 22 septembre 1792. D’une certaine manière est-ce que le calendrier républicain n’attendait qu’une chose : la bonne date pour être appliqué ?
.
.
.
.
Oui, on peut le dire. Mais il faut préciser aussitôt que le sentiment de vivre, avec la Révolution, un moment de bouleversement majeur dans la marche du temps, un bouleversement à ce point-là conséquent qu’il appellerait un réajustement de la manière de saisir et de dire le temps qui passe, est antérieur à septembre 1792. Par conséquent, d’autres dates que le 22 septembre avaient pu être retenues comme « point-bascule » avant l’avènement de la République. Prenons des exemples pour bien le comprendre. Dès les jours qui suivent la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, les révolutionnaires éprouvent la certitude qu’ils viennent de vivre une rupture sans pareille dans l’histoire, et le 14 juillet se mue aussitôt le « premier jour de la Liberté ». C’est tout sauf un phénomène passager : l’année 1790 devient dans beaucoup de lettres, dans les journaux, dans les actes des administrations, « l’An II de la Liberté » – mais l’année « 1790 » demeure également – ; 1791 l’an III de la liberté, etc. Avec la prise des Tuileries et la chute de la monarchie française, le 10 août 1792, on se met à parler de « l’An I de l’Egalité » – sans pour autant cesser de parler ni de « l’an IV de la liberté », ni de l’année « 1792 ». Enfin, le 22 septembre 1792 arrive. Avec lui, la France entre en République. Dès ce jour, la Convention nationale réorganise le temps autour de cet événement fondateur : l’établissement de la République. En ce 22 septembre 1792, le député Collot d’Herbois propose un décret (adopté) qui stipule que les actes publics seront désormais datés de « l’An I de la République française ». Si à cette date l’initiative est surtout symbolique (il n’y a pas encore à proprement parler de calendrier révolutionnaire), cette mention, « l’an I de la République française », commence effectivement à être employée dans les écrits officiels. On la voit même apparaître dans certains écrits intimes (journaux, lettres privées…). L’ordre du temps a donc connu un véritable changement dès les débuts de la Révolution, et ce changement se précipite ensuite avec l’avènement du régime républicain, en septembre 1792. Mais la République va bientôt vouloir aller plus loin. Quelques semaines seulement après sa fondation, alors que l’actualité politique est particulièrement chargée (le procès du roi vient de s’ouvrir), le Comité d’Instruction Publique de la Convention nationale est chargé de réfléchir à l’adoption d’un nouveau calendrier. Ses membres sont, pour la plupart, des savants et des hommes lettres.
Un an plus tard, le 20 septembre 1793, le conventionnel Romme, un député montagnard et un scientifique, membre éminent du Comité d’Instruction publique et figure majeure de la réflexion collective engagée sur le nouveau calendrier, présente son rapport à l’Assemblée. Il propose que le calendrier républicain débute le 22 du même mois. Ce choix est doublement symbolique, et cette double symbolique est évidemment mobilisée par Romme pour ce qu’elle confère d’aura quasi-miraculeuse, et donc de légitimité, à la République française : le 22 septembre est, en même temps, souligne-t-il, le jour où la France est devenue une République et le jour de l’équinoxe d’Automne. On ne pouvait trouver coïncidence plus heureuse pour les acteurs de ce temps, qui avaient fait du principe d’égalité l’un des fondements majeurs du nouveau régime. Car la date du 22 septembre est, en effet, pour eux, doublement synonyme d’égalité : d’égalité politique d’un côté (avec l’avènement de la République, il n’y aura plus de roi, partant tous les hommes seront enfin placés au même niveau dans l’ordre juridique) et, en écho, d’égalité naturelle (l’équinoxe est ce moment précis de l’année où le jour et la nuit ont une durée égale).
.
.

.
.
.
.
Y’a-t-il des opposants au principe même ?
.
.
.
.
Oui. Du côté des contre-révolutionnaires on l’imagine, évidemment. Les frères du roi et leurs partisans de l’intérieur ou de l’extérieur, les princes et les nobles émigrés, continuent de dater selon l’ancien calendrier et n’envisagent jamais de changer de système de mesure du temps pour adopter celui des révolutionnaires – qu’ils abhorrent. Cela dit, quelques réticences ont pu exister jusque chez les révolutionnaires. C’est le cas, notamment, de Sieyès, un député, auteur de la célèbre brochure Qu’est-ce que le tiers état, publiée au début de l’année 1789 et qui avait si fortement pesé, alors, sur les premiers développements de la Révolution. En 1793, à un moment où la réflexion sur le nouveau calendrier est engagée mais où rien n’a encore été décidé, il exprime ses réserves quant à la pertinence même de l’entreprise de refonte calendaire. Elle lui apparaît trop ample, trop conséquente dans ses implications, trop précoce surtout. Précipitée, en somme. Reste que la majorité des députés de la Convention nationale est favorable à l’initiative.
.
.
.
.
L’année conserve 365 jours, 12 mois. Il y a cependant pour chacun de ces derniers seulement 30 jours. Les 5 jours restants sont placés à la fin de l’année et sont nommés les sans-culottides. Le nom devient ensuite en l’An III les jours complémentaires. Peut-on y voir la fin des sans-culottes ? (Fête du Travail, de l’Opinion, du Génie) ?
.
.
.
.

Oui, il faut évidemment le lire ainsi. C’est l’un des marqueurs de la grande rupture que représente l’an III (1794-1795) dans la dynamique révolutionnaire. La décision d’appeler les 5 derniers jours de l’année républicaine les « sans-culottides » avait été adoptée à l’été-automne 1793, à un moment où la Convention nationale était dominée par les Montagnards et où le mouvement sans-culotte était à son apogée. Le terme est abandonné un an plus tard à un moment, l’an III donc (« l’automne de la Révolution », disait Sergio Luzzatto), où la Convention tente d’en finir avec le mouvement populaire et son autonomie. Le renversement de Robespierre et de ses proches est passé par-là. Selon l’expression consacrée, les Thermidoriens (ceux qui dominent désormais la Convention) souhaitent fonder une « République sans Révolution ». L’échec des insurrections de germinal-prairial an III (printemps 1795) marque les derniers feux du mouvement sans-culotte. Déjà affaibli, il est cette fois assez largement vaincu. Cela a des incidences très concrètes : arrestation des leaders, désarmement des militants, fermeture des clubs (tout cela a pu débuter dès l’automne 1794). Mais il y a également tout un versant symbolique à cette entreprise de « dépopularisation » de la Révolution, c’est-à-dire de dépolitisation des humbles – quoique les sans-culottes étaient loin d’être majoritairement des pauvres. Le terme « sans-culotte » lui-même, après avoir été un mot-clé et positif de la rhétorique révolutionnaire, devient synonyme de « terrorisme ». Les symboles du sans-culottisme (la pique, le bonnet phrygien…) disparaissent. Fait essentiel : on réécrit l’histoire du passé le plus récent. Les deux années écoulées (1793-1794), désormais qualifiées de « règne de la terreur », sont érigées en période de folie collective, durant lesquelles un peuple naïf et crédule, immature, enfant, aurait été égaré par les « robespierristes ». L’an II de la République aurait été un temps d’anarchie