Des figures sombres, des yeux grand ouverts, un décor à la fois précis et obscur,… Le monde dessinée de l’artiste raconte déjà une histoire graphique. Auparavant bucheron, Briac Queillé se décide enfin de publier un livre uniquement à l’âge de 40 ans. Profondément attaché à Brest, ses premières œuvres comme « Armen » (2008) [devenu ensuite Armen 43], « Les Gens de Lao-Tseu » (2010) et « Le Mystère Mac Orlan » (2014) se situent dans la grande ville portuaire. Avec « Méridien » (2022), Briac (et son scénariste Arnaud Le Gouëfflec) nous transporte au XVIIIème siècle en Amérique du Sud. L’expédition La Condamine est enfin illustrée. L’histoire est une véritable aventure (scientifique) où on se plaît à se perdre dans la jungle.

Entretien avec Briac, un artiste qui nous fait voyager entre l’ombre et la lumière.

.
.
.
.

Vous avez publié votre premier album, « Armen », à l’âge de 40 ans. Est-ce la motivation et l’expérience qui comptent avant tout ?

.
.
.
.
Il faut surtout avoir quelque chose à dire. J’avais besoin d’avoir une histoire qui avait un début et une fin – Pour cela, il faut de l’expérience et trouver sa propre voie. Je me suis nourri de bande dessinée mais aussi de cinéma, de littérature et de peinture.

.
.
.
.

.
.
.
.

Le dessin est-il un prétexte pour raconter une histoire ou l’aspect esthétique reste primordial pour vous ?

.
.
.
.

Je veux raconter une histoire mais le côté graphique a pour moi une importance capitale. Au même titre que le cinéma, ma technique picturale permet d’installer une certaine atmosphère – une ambiance dans laquelle je veux plonger le lecteur. Je veux le promener comme si ma bande dessinée était un tableau. Cependant, je ne fais pas de peinture mais de la narration.

.
.
.
.

Avec « Armen », vous abordez la cohabitation entre les hommes dans un phare. La Seconde Guerre mondiale était-elle le contexte parfait pour cet étrange huis clos ?

.
.
.
.
L’Histoire est en effet souvent un prétexte pour moi pour raconter une histoire. Le chaos provoqué par la guerre est comme concentré dans le phare d’Armen. Un critique a écrit que ma bande dessinée était d’une certaine manière une adaptation libre du « Silence de la mer » [livre publié clandestinement aux Éditions de Minuit en 1942]. Il a visé juste. Adolescent, j’avais été marqué par la lecture du roman de Jean Vercors et son adaptation cinématographique. Pourtant, en aucun cas, je ne voulais d’aspect romantique dans « Armen ». L’idée est également née lorsque je me suis beaucoup renseigné sur la vie des gardiens de phare notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont toujours vécu des conditions très difficiles – cela s’est accentué pendant le conflit. Le phare est alors devenu encore plus l’enfer des enfers.

.
.
.
.

Le phare d’Armen est un lieu qui vous a donc fasciné ?

.
.
.
.

J’ai eu l’occasion de l’apercevoir en bateau quelques années auparavant. Il est fascinant car c’est le phare le plus éloigné des côtes françaises et pourtant il a un aspect rachitique. Certains gardiens adoraient le lieu, d’autres en gardaient un mauvais souvenir.

J’ai échangé avec le grand spécialiste des phares et balises Vincent Guiguenot. Il y a sûrement quelque chose de mystique : Un phare ne meurt pas. Dans la nouvelle version, « Armen 43 »,  Armen est certes  détruit mais les ruines perdurent dans le lieu.

.
.
.
.

.
.
.
.

« Armen 43 » est-il la version définitive ?

.
.
.
.

Oui car pour des raisons que j’ignore la première version a été nommée juste « Armen ». 43 a été supprimé. Cette nouvelle édition m’a permis en outre de rendre hommage à l’auteur de bande dessinée Bruno Le Floch.

.
.
.
.

Les yeux sont très expressifs dans vos dessins. Est-ce une façon de traduire les sentiments et émotions de vos personnages ?

.
.
.
.

J’ai une grande fascination pour l’expressionisme allemand – que ce soit pour le cinéma, la peinture ou le théâtre. Avec « Méridien » notamment, il y avait tant de choses à retranscrire sans les dialogues. Les yeux sont également une forme d’écriture. Je veux exprimer des émotions comme le désespoir ou la joie. Ce sont des codes narratifs que connaissent bien mes lecteurs. 

.
.
.
.

Avec « Les Gens de Lao-Tseu », la Première Guerre mondiale et les colonies servent de terreau à votre intrigue policière. Cette aventure était une nouvelle excuse pour retourner dans le passé ?

.
.
.
.

« Armen » a été épuisant. Lorsque les éditions Télégramme m’ont demandé un nouvel album, j’ai choisi de travailler sur une intrigue policière. Je me suis beaucoup impliqué dans cette histoire plus que je le pensais au départ. J’ai pu aborder la ville bretonne qui me fascine le plus : Brest et le milieu anarcho-syndicaliste des années 20. Dans « Les Gens de Lao-Tseu », j’ai également dessiné un ami breton qui avait des traits asiatiques.

Cependant, 10 de mes planches ont été retirées. Cela se sent dans l’album. La sortie a été mauvaise car la maison d’éditions était en train de sombrer.

.
.
.
.

La ville de Brest est-elle un personnage à part entière ?

.
.
.
.

Oui. Je traite cet aspect dans « Quitter Brest ». J’ai réalisé ce recueil en 2012 pour la SNCF édité par Sixto éditions. J’ai ensuite approfondi le thème avec l’écrivain Yvon Coquil. Mais par ce titre, je voulais montrer que je disais vraiment au revoir à la ville. J’ai cependant collaboré par la suite, à la rédaction de la revue brestoise CASIERS consacrée à la bande dessinée. Comme dit souvent Yvon, on quitte Brest pour mieux revenir… Il est possible que je retravaille sur la ville finistérienne.
.
.
.
.

« La Nuit Mac Orlan » vous a permis de mêler une figure historique et littéraire et le fantastique social. Ce fut un exercice périlleux ?

.
.
.
.
Connaissant très bien l’univers de l’écrivain Pierre Mac Orlan, Arnaud Le Gouëfflec, le scénariste, a fait un travail remarquable. Il a vraiment écrit l’histoire pour moi – Il voulait que je puisse retranscrire les atmosphères. Dans « La Nuit Mac Orlan », il y a un côté lumineux dans l’obscurité. C’était également une première pour moi de travailler avec un scénariste. J’ai ainsi pu ainsi me consacrer davantage sur le dessin et la technique que j’utilise à présent.

.
.
.
.

Avec « Méridien » (2022), vous racontez l’histoire d’explorateurs qui partent en Amérique du Sud afin de mesurer la longueur du méridien de un degré à proximité de l’Equateur. Avez-vous été fidèles aux faits historiques pour cette histoire ?

.
.
.
.

Nous avons pratiquement passé autant de temps à concevoir cette fable historique qu’a duré l’expédition La Condamine  

J’ai toujours eu envie de concevoir un album sur l’Amérique du Sud. Je suis fasciné par les écrits d’écrivains comme Gabriel Garcia Marquez et Jorge Amado. Cependant, je voulais garder un point de vue européen. En 2012, j’ai entendu parler de l’expédition La Condamine et j’ai tout de suite adapté cet épisode.

Un peu inhibé par le foisonnement de l’histoire, j’ai demandé à Arnaud Le Gouëfflec de prendre en charge  le scénario. Nous avons ensuite connu quelques déboires éditoriaux et ce n’est qu’au 4ème éditeurs, Locus Solus, que nous avons pu nous lancer dans l’aventure. « Méridien » est clairement l’album dont je suis le plus fier.

Même si nous avons fidèlement retranscrit tous les faits historiques, j’ai fantasmé un Pérou que l’expédition était en train d’explorer. Au cours de la réalisation de l’album, nous avons dû réfléchir à une couverture. Ce fut loin d’être évident et j’ai voulu faire une pause. Pendant des jours, j’ai arrêté de dessiner « Méridien ». Je me suis ensuite forcé à reprendre le travail en griffonnant un épisode dans la jungle. J’ai envoyé le dessin à Arnaud qui m’a répondu que ma couverture était parfaite. Ce n’était pas mon intention mais cela s’est décidé ainsi.

« Méridien » fut un exercice passionnant. À tel point que quelques semaines après la publication de l’album et un certain succès, je dois avouer que je me sens un peu perdu. Je dois pourtant à présent travailler sur d’autres projets.

.
.
.
.

La violence est-elle un totem dans votre travail ?

.
.
.
.

Elle est surtout psychologique. Lorsque je retranscris un certain passé, ce dernier reflète souvent notre présent. La violence fait partie de notre monde. Avec « Méridien », je voulais traiter l’histoire de la colonisation. L’actualité montre encore ses effets : au large du Costa Rica, l’épave d’un navire espagnol a été retrouvée. Une bataille a été lancée par des chercheurs d’épaves, également par les autorités costaricaines car la cargaison au fond de l’océan est estimée à 14 millions d’euros. Tous ces navires européens sont les symboles des pillages de l’Asie, de l’Afrique et des Amériques. Que devons-nous faire de l’héritage des crimes de la colonisation ?

.
.
.
.

Quels sont vos projets ?

.
.
.
.

Je travaille sur un scénario qui devait initialement être adapté pour le cinéma. Cela traite d’un musicien punk qui hérite de la maison de sa tante sur le bord d’une falaise bretonne. Il va faire face à une vague de suicides inhabituelle.

J’aimerais également adapter en bande dessinée le livre de Louis Guilloux, « Le Sang noir » (1935).

.
.
.
.

PARTAGER