La rue est toujours pleine de surprises. Le street art peuple à présent nos murs mais si on regarde le sol on peut trouver de temps en temps du carrelage. Ememem comble les trous de la chaussée mais pas seulement : Il embellie la rue, il la rend encore plus artistique et avant tout nous fait réfléchir. Le flacking est même devenu une véritable signature pour ce raccomodeur-artiste. Nous pouvons retrouver ces œuvres à Lyon mais également dans une bonne partie de l’Europe de l’Ouest (ainsi qu’en Guadeloupe).

Autour de Em, une équipe de passionnés du flacking s’est organisée. L’aventure ne fait que commencer…

Entretien avec la Team Ememem.

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Comment est née cette idée de flacking ? Ememem a horreur du vide ?

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Crédit photo : ememem

Avant d’être Ememem, «proto-Ememem» était déjà artiste plasticien et mosaïste. Il cherchait, il cherchait, mais il ne trouvait pas. Un jour, il a rafistolé l’entrée de l’allée conduisant à son atelier. Une vieille ruelle sombre et émoussée. Il lui a fait des petits pansements colorés avec des chutes de céramique à sa disposition. Dans l’atelier suivant, c’est un énorme nid-de-poule qui l’accueillait chaque matin. Alors avant de se vautrer dedans, il empoigna un jour la truelle et se mit à lui faire un pansement sur mesure. Un manteau haute-couture greffé à même l’asphalte. Le premier flack était né et Ememem avec. Il s’était passé un truc. Le gars, il a compris qu’il allait passer le reste de sa vie à en refaire un autre, et un autre, et un autre..

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Peut-on dire que c’est de l’artisanat de rue ?

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On dit ce qu’on veut, vraiment, et que chacun l’appelle comme il l’entend. Pour Ememem, le flacking, c’est une formule mathématique :

Forme + couleurs + amour = flacking.

Pour les plus littéraires, c’est une technique low-tech qui raccommode et poétise nos espaces communs. Ça a séduit beaucoup de néo-flackistes partout sur la planète. C’est une nouvelle branche de street art qui va un jour entrer dans le dictionnaire !

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D’où viennent ces morceaux de carrelage ? Les couleurs choisies ont-elles une signification particulière ? Le carrelage est-il scrupuleusement choisi selon le lieu public ?

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Ememem pratique la récup à un très haut niveau 😉

Les pièces qui constituent ses oeuvres sont issues de dons de matières par des revendeurs (fins de collection, invendus, paquets cassés etc) et de dons de particuliers. Partout où il intervient, son équipe met en place des collectes afin que les matériaux soient recyclés et issus d’un lieu à proximité pour éviter aussi au max le transport. Donc voilà la première grosse contrainte de choix de carreaux dans les compo !

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Crédit photo : Ememem

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Dans votre art, est-ce le regard du passant qui est le plus important ?

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Le truc avec la satisfaction devant le sourire des gens, c’est venu après, en bonus. Le truc motivant, non ce n’était pas de la motivation. C’était une sorte d’obsession. Ememem c’est un malade. Il souffre d’un syndrôme peu commun. Il a cette attirance pour les trucs cassés qu’il ne contrôle pas. Il faut qu’il rebouche les trous. Sur le divan, on parlerait de manque traumatique lié à l’enfance à combler vous voyez ? En mythologie, on serait plus sur les Danaïdes et leur châtiment perpétuel de remplir un sceau percé. Mais le flacking peut-il se comprendre par son auteur ? Vous avez quatre heures.

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La réaction des passants est-elle différente selon les villes ? Les pays ?

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Pas vraiment non. L’accueil est partout hyper chaleureux. C’est plutôt par le contexte social qu’il y a une différence majeure sur la symbolique ou la puissance des oeuvres. Par exemple, au lendemain des grandes manifestations indépendantistes qui avaient mis la catalogne à feu et à sang, les pansements pour trottoir ont eu un retentissement fou. Elles étaient un symbole de la reconstruction de l’espace public meurtri, un début de dialogue vers la résilience. Les chaînes d’info et les journaux locaux ont écrit de belles choses là-dessus.

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Crédit photo : Ememem

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Lyon a-t-elle une place à part ?

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Bien sûr, c’est la que se concentrent les œuvres. La ville est truffée de flacking, dans tous les quartiers, tous les arrondissements, les communes de la métropole… Là à Lyon, ce n’est pas Ememem qui choisit les nids-de-poule, c’est eux qui l’appellent.

Dans les autres villes, il faut faire vite, il n’est que de passage, donc il choisit quelques emplacements en fonction de leur pouvoir poétique. A Lyon, pas besoin de choisir. Tôt ou tard, chaque trou sera rebouché 🙂

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Y’a-t-il avant tout une envie de surprendre ?

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Oui mais comme pour la découverte du regard des passants, c’est venu après coup. Ememem aime surprendre mais encore une fois ce n’est pas ça qui a été l’élément déclencheur, ni le cœur de la recherche. Mais c’est sûrement parce que le flacking avait ce pouvoir de surprendre qu’Ememem a plongé dedans.
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L’anonymat c’est également pour mettre en avant le côté « amour » (aime aime aime) ?

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C’est une vaste question, tu as encore 5 minutes ? L’anonymat, c’est parce que déjà, le gars, il n’est pas très doué en comm’ tu vois. Il ne parle que par flack interposé sur le trottoir des gens. Franchement c’est mieux comme ça !

Crédit photo : Ememem

Mais aussi, bien sûr, l’anonymat, c’est pour le rêve ! Le côté Zorro quoi ! Le chevalier des nids-de-poule ! La mère Thérèsa des trottoirs délaissés ! L’homme qui murmurait à l’oreille du bitume ! Bref, autant de surnoms qu’il a vus naître avec le sourire parce que c’est ça la démarche, le flacking : interrompre le normal, laisser ouverte une brèche pour ce que vous voulez !

Bon et puis un dernier point quand même : l’anonymat c’est trop la classe dans le street art ! le mystère, c’est tellement attirant non ?

Et si vous le croisez dans la rue et que vous lui demandez si c’est lui Ememem, il répondra simplement que non, lui c’est Banksy !

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Ememem c’est avant tout un travail d’équipe ou l’esprit d’un seul artiste ?

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C’est un seul gars mais c’est aussi une ville, Lyon, et ses habitants, qui ont adhéré et participé à construire le mythe. Ememem n’a eu qu’à endosser le rôle que les gens avaient envie de lui attribuer. Le super-héros des trottoirs en détresse, ce n’était pas une vocation. C’est juste arrivé. Donc on peut dire que c’est un seul esprit guidé par des centaines ou des milliers d’autres dont le désir ou la créativité convergente a permis à «Ememem» d’être quelque chose, quelqu’un.

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 Quels sont vos projets ?

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Cet été, c’est la tournée des festivals d’art contemporain : France, Irlande, Italie et Norvège.

Puisque la portée du flacking s’amplifie aux contacts de contextes socio-politiques sensibles, de prochains voyages en « zones fragiles » sont en préparation : Après la Guadeloupe l’année dernière pendant le couvre-feu, Il y a Mirandola, ville italienne traumatisée par un tremblement de terre en 2012, au programme cet automne.

Beyrouth (Liban) et La Nouvelle Orléans (Etats-Unis) sont aussi dans le viseur du raccommodeur de bitume.

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Crédit photo : Ememem
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